En avril de l'an passé, j'ai écrit un feuilleton (Les Palestiniens qui font l'éloge d'Israël ) qui a révélé un fait surprenant: les Palestiniens - y compris des leaders tels que Yasser Arafat et Salah Khalaf – font assez souvent publiquement l'éloge d'Israël. Ils reconnaissent que, en termes d'état de droit, de sécurité personnelle et de liberté religieuse, c'est mieux que les États arabes ou la propre société des Palestiniens.
Mais ce n'est pas toute l'histoire. Les Palestiniens aussi ont des façons de voir très intéressantes sur le rôle des Etats arabes dans le conflit israélo-arabe. A la base, les Palestiniens estiment que les dirigeants arabes ne veulent pas qu'ils l'emportent dans leur conflit avec Israël. Le sentiment d'isolement qui en résulte conduit à la suspicion, à l'amertume et à l'intransigeance. Ces sentiments ont souvent empêché les Palestiniens de tirer profit des opportunités dont ils bénéficient.
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Commençons par les craintes palestiniennes. Celles-ci se concentrent sur la conviction que chaque fois que la cause contre Israël est sur le point de réussir, les dirigeants arabes intercèdent pour la bloquer. Selon les mots lapidaires de Salah Khalaf (plus connu sous le nom d'Abou Iyad), le défunt numéro deux de l'organisation de libération de la Palestine, «Toutes les révolutions conçues en Palestine sont avortées dans les capitales arabes. » Emile Habibi, le romancier israélien ayant obtenu un prix, a une expression ironique pour désigner ce scénario : al-Faraj al-Arabi, ou « la délivrance arabe »
Les médias palestiniens racontent la même histoire. Une station de radio a noté que «chaque fois que les Palestiniens font des progrès vers la réalisation des objectifs de l'intifada [soulèvement]– le sacrifice, la liberté, l'Etat indépendant, et la libération de Jérusalem de la souillure de l'occupation - certains Arabes des régimes portant une robe[c'est-à-dire, les Arabes du Golfe persique] commettent des crimes multiples contre le peuple palestinien et leur leadership unifié, l'OLP ». La station conclut, d'un ton caustique: «Ils s'inclinent devant le dicton sioniste qu'un bon Arabe est un Arabe mort».
Les Arabes du Golfe ne sont pas les seuls à être critiqués. Écoutez dans les cafés de Naplouse et de Gaza et vous entendrez tous les dirigeants arabes - le roi Fahd, l'émir Sabah, le roi Hussein, Hosni Moubarak, Hafez al-Assad, Saddam Hussein – être accusés publiquement pour des péchés à la fois réels et imaginés.
De cela, les Palestiniens concluent parfois que les Arabes sont plus un fléau pour eux que ne le sont les Israéliens. Yasser Arafat a déjà soutenu ce point de vue, en 1969, quand il a déclaré: «Franchement, les problèmes que nous affrontons dans nos relations avec certains de nos frères arabes sont bien pires que ceux que nous affrontons avec Israël. » Faisant écho à ses paroles, l'intellectuel palestinien Fouad Moughrabi a récemment observé que les gouvernements arabes ont prouvé « être beaucoup plus dangereux pour le nationalisme palestinien que l'Etat d'Israël. »
Mais pourquoi les dirigeants arabes sapent-ils la cause palestinienne? Les interprétations varient. Certains Palestiniens pensent que l'Etat OLP - par ses vertus remarquables - déstabiliserait leurs propres régimes douillets et corrompus. D'autres, comme Habibi, jugent que les Etats souhaitent seulement utiliser la cause palestinienne comme un levier dans la politique intra-arabe, comme un moyen « pour mener leurs guerres interarabes. »
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Il y a une certaine vérité à la suspicion palestinienne. Les Etats arabes ont attaqué Israël en 1948, 1967 et 1973 pour gagner du terrain, et non pas pour faire place à un Etat palestinien. Les Etats ont empêché les Palestiniens de s'installer pour garder vivante la cause anti-sioniste. Et (selon l'estimation d'un chef du renseignement de l'OLP), ils ont tué les trois quarts des Palestiniens qui ont perdu la vie dans le conflit israélo-arabe.
Mais il est absurde de suggérer une conspiration arabe pour nuire aux aspirations politiques palestiniennes. Les rois, présidents et émirs arabes n'ont rien fait de plus pernicieux que de poursuivre leurs propres intérêts. En parlant pompeusement des droits des Palestiniens ils agissent- comme on pouvait s'y attendre- en accord avec la raison d'état. Ceci explique pourquoi, selon les termes de Fouad Ajami, «les Arabes ont quitté la cause palestinienne tout en jurant fidélité éternelle aux Palestiniens. »
La perception de la perfidie des Arabes laisse certains Palestiniens, en particulier ceux qui sont plus jeunes, en proie à des sentiments extrêmement amers et avec des rêves de briser ces Etats. Un villageois de Cisjordanie a affirmé en 1990 que «le monde arabe doit être détruit et nous devons recommencer ; il n'y a pas beaucoup de chances de réformer les choses de l'intérieur de ce qui existe. » Un agent de voyages exprime quasiment les mêmes sentiments: «il n'y a pas un seul parti ou groupe honnête dans le monde arabe ... Les Arabes sont des menteurs, dans et hors de la politique. » Est-ce que cela signifie qu'il n'y a aucun espoir? « Si, il y en a », a-t-il répondu, « si nous détruisons tout et recommençons à partir de zéro. »
La recherche par sondage suggère que cette rage anti-arabe dépasse en fait tout ce que les Palestiniens ressentent contre l'Occident ou Israël. Hilal Khashan, professeur à l'Université américaine de Beyrouth, a trouvé, au printemps de 1991, que 92 pour cent des Palestiniens vivant dans le camp 'Ayn al-Hilwa du Liban se sont identifiés avec le séparatisme palestinien, et seulement 5 pour cent avec le nationalisme panarabe. Quand il a posé la question au sujet du terrorisme, il a trouvé que 54 pour cent d'entre eux ont approuvé son utilisation contre l'Occident, 88 pour cent ont soutenu son emploi contre Israël, et un étonnant 96 pour cent [l'ont approuvé]contre les régimes arabes.
Reflétant le nihilisme qui prévaut, Saïd K. Aburish, un écrivain palestinien, conclut d'une série d'entretiens qu'il a eus avec les résidents de Cisjordanie que ces derniers voient
la corruption, l'ignorance, l'abus de pouvoir et de richesse, la désintégration sociale et politique et les complots de la part de la classe dirigeante et des soutiens occidentaux contre le peuple. Il n'y avait aucun aveu que quelque chose de bon soit arrivé aux Arabes dernièrement, aucune acceptation du fait que l'argent du pétrole ait pu sortir par petites doses pour le peuple. Leur préoccupation portait sur ce que la richesse pétrolière avait fait au caractère arabe. Tous les gouvernements en place, les mouvements politiques et les organisations étaient traités sans ménagement; pas un seul n'était jugé digne de respect.
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L'intensité de cette méfiance palestinienne envers les dirigeants arabes a deux implications pratiques. D'abord, elle va bien pour expliquer l'extrémisme de la politique palestinienne. En voyant la trahison dans toutes les directions, craignant les abandons futurs, les Palestiniens répondent en adhérant à leurs principes quel que soit le coût, que ceux-ci soient nationalistes, fondamentalistes musulmans ou communistes. En réaction au fait de s'estimer trahis, ils s'en tiennent à l'idéologie pure. C'est du moins ce qui explique en partie la colère généralisée palestinienne à l'accord de l'OLP du 13 septembre avec Israël.
Deuxièmement, la colère des Palestiniens contre les Etats arabes a des implications qui pourraient prendre un tour violent. Certains groupes (notamment, le Front Populaire de George Habash pour la Libération de la Palestine) préconisent la révolution dans le monde arabe avant de s'attaquer à Israël, et beaucoup d'autres Palestiniens croient que la route de Jérusalem passe par Amman, en Jordanie. Cela met en évidence un problème: indifférents à la manière dont les négociations en cours avec Israël se passent, les Palestiniens risquent de plus en plus de diriger la violence contre les Etats arabes. Vous l'avez lu ici d'abord.