Diplômé de la prestigieuse Université d'Harvard, Daniel Pipes fut l'un des rares analystes à avoir compris la menace de l'Islam militant, et cela au tout début des années 80. Historien et géopolitologue, M. Pipes fait partie du Groupe de Travail Spécial en matière de Terrorisme et de Technologie au Département Américain de la Défense. Il siège dans cinq comités de rédaction, il a témoigné devant beaucoup de commissions du Congrès Américain, et a participé à la gestion de quatre campagnes présidentielles. Il est un des plus sérieux spécialistes de l'islam contemporain et l'auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient (Syrie, Iran, etc…) et sur l'islam.
Interview réalisée par Mohamed Ibn Guadi
Daniel Pipes bonjour. Merci de m'accorder cette interview pour reinfo-israel. À l'heure où se dessine une guerre contre l'Irak, tout le monde semble se souvenir que les Etats-Unis ont favorisé les islamistes dans le monde. Cette théorie jouit d'un certain succès en Europe et surtout parmi les anti-américains en France. Cette thèse est-elle fondée ?
Non, cette thèse n'est pas juste. Il y a eu des circonstances où le gouvernement américain a estimé utile d'avoir des relations en coopération avec les islamistes, en particulier en Afghanistan durant les années quatre-vingts. Mais, en principe, il y a toujours eu des tensions entre les Etats-Unis et les islamistes. Par exemple, en 1992, Washington à été en accord avec le gouvernement algérien sur l'interruption des élections en Algérie.
Y a-t-il réellement eu des liens entre Al Qaida et l'Irak de Saddam Hussein ?
Tout semble prouver que ce type de relations a bien eu lieu, mais ce n'est pas le plus important. Dans sa persistance à vouloir acquérir des armements nucléaires, l'Irak reste un danger pour le monde entier.
Jusqu'ici nous n'avons guère entendu la Syrie. Bachar El Assad, le président syrien, tient-il à ce que cette guerre ait lieu ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Le nouveau président de la Syrie, Bachar El Assad, est un jeune homme inexpérimenté en matière de politique. Il est tout aussi difficile de dire, et pour lui et pour nous qui voulons savoir, ce qui va se passer. Je ne peux pas le prédire.
On a toujours parlé de l'Irak et des relations avec al Qaida. La Syrie entretient-elle des rapports avec l'organisation d'Oussama Ben Laden ?
C'est fort probable. Il existe, par ailleurs, des relations relativement étroites entre Damas et le Hezbollah. De la même manière, des éléments montrent qu'il existe des liens entre Al Qaïda et le Hezbollah.
Les preuves que Colin Powell a présentées aux Nations Unies ont-elles été assez convaincantes aux yeux de la presse ?
À vrai dire, tout dépend de ce que l'on a pensé avant qu'il ait parlé. Ceux qui étaient convaincus auparavant ont estimé qu'il avançait des preuves très fortes, et ceux qui n'étaient guère convaincus avant ont dit que cela n'était pas suffisant. En définitive, je ne pense pas que cela ait beaucoup d'importance. Ma position est déjà établie.
Pensez-vous, Daniel Pipes, que les Nations-Unies voteront une résolution en faveur de la guerre ?
Je pense que oui. Car, en définitive, les gouvernements souhaiteront être du côté des vainqueurs, et donc des Etats-Unis. Mais ce désir n'a rien à voir avec la morale ou les principes. C'est simplement une question de 'realpolitik'.
Une fois que Saddam Hussein aura été évincé de la région, Yasser Arafat perdra un allié de poids, non ?
Bien entendu. Saddam a toujours soutenu financièrement Yasser Arafat. La chute de Saddam Hussein se soldera par une faiblesse de l'OLP.
Justement, sur qui pourrait compter l'OLP si la carte de la région est redessinée ?
Vers la foule ou des groupuscules, mais certainement pas du côté des gouvernements.
La menace islamiste est-elle plus dangereuse aux Etats-Unis ou en Europe ?
Elle est beaucoup plus dangereuse en Europe, incontestablement. La menace est nettement plus avancée. Par exemple, il y a quelques jours, en Angleterre, lors du procès d'Abou Fayçal, le juge a décidé qu'il n'y aurait, parmi les jurés, ni Juifs ni Hindous. D'un point de vue américain, c'est totalement incroyable. On ne trouvera jamais ce genre de décision chez nous.
Nous avons été témoins des dissensions qui ont secoué les relations entre l'Europe et les Etats-Unis sur la crise irakienne. Selon vous, pourquoi l'Europe agit-elle de cette manière ?
Il y a de multiples raisons à cela. Tout d'abord, parce que l'Europe n'a pas la puissance militaire. Ensuite, l'Europe a eu, au cours des 60 dernières années, un certain succès dans le domaine de la diplomatie. N'étant plus en guerre, les Européens ont tendance à penser que le dialogue est le meilleur remède dans un conflit. Cela marche en Europe, mais au Moyen-Orient, les choses fonctionnent de manière totalement différente. Là-bas, on n'est pas prêt pour cela. Et puis, dernière chose, l'Europe entretient, depuis la Première Guerre Mondiale, un sentiment de culpabilité. Dès lors, elle considère que l'on ne peut pas imposer ses idées aux autres, comme dans le cas de l'Irak, notamment.
Richard Perle, le président du «Defence Policy Board» du Pentagone, disait récemment que la France n'était plus un allié de poids pour les Etats-Unis. N'est-ce pas ce qu'a toujours pensé l'administration américaine ?
Non, je ne pense pas. Monsieur Perle est un homme très brillant. Il est aussi un homme connu pour être très provocateur. Cela dit, depuis la fin de la Guerre Froide, la question s'est posée de temps en temps de savoir si la France était avec nous ou non. Par ailleurs, la déclaration de Richard Perle ne reflète certainement pas la position officielle.
Ne pas agir contre Saddam Hussein, est-ce que ce n'est pas, à terme, exposer Israël à un plus grand danger ?
Bien sûr. C'est un danger encore plus grand qu'il ne l'était hier. Car, si nous attendons, et que Saddam Hussein dévoile son armement nucléaire, le risque, pour Israël, ne cessera d'empirer. La situation était meilleure hier qu'elle ne l'est aujourd'hui ; elle est meilleure aujourd'hui qu'elle ne le sera demain.
Si nous ajoutons à cela les récentes déclarations de la Corée du Nord, qui menace les USA de représailles si les Américains bombardent les infrastructures nucléaires, ne sommes-nous pas à la veille d'une crise qui peut contaminer le monde ?
Effectivement. Nous autres, Américains, avions déjà évoqué la menace, il y a des décennies de cela. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à deux pays possédant l'arme nucléaire ou sur le point de l'avoir. En effet, nous y voilà. Et c'est un moment décisif pour le monde.
Saddam Hussein ne cesse de répéter à qui veut l'entendre qu'il ne possède pas d'armes de destructions massives. Mensonge, ou simple provocation ?
Les déclarations de Saddam Hussein ont toujours été caractérisées par le mensonge. S'il venait à tenir des propos contenant des vérités, j'en resterais médusé.
Daniel Pipes, je vous remercie.