Les tarifs de taxi illustrent parfaitement la situation économique en Egypte au milieu des années 80. Pendant de nombreuses années le prix d'une course de taxi a été fixé par le gouvernement à [la valeur de] cinq cents [en monnaie américaine] pour le premier demi kilomètre, chaque kilomètre supplémentaire coûtant dix cents [en monnaie américaine]. Ce prix était réaliste en 1971, quand j'ai vécu pour la première fois au Caire, et pendant quelque temps par la suite. L'argent était rare, et un sou valait encore quelque chose. Cependant à la fin de la décennie, après l'inflation induite par le pétrole qui a frappé la ville et fait que le revenu disponible a augmenté de façon spectaculaire en raison des transferts de fonds par les travailleurs dans les champs de pétrole et de la politique porte ouverte, plus de gens ont commencé à prendre le même nombre de taxis, et c'est devenu plus difficile de trouver un taxi. Année après année, le prix réel a continué de baisser et la demande a continué de croître.
Puis quelque chose s'est passé qui ferait plaisir aux partisans de l'économie de marché. Durant plusieurs jours, tous les chauffeurs de taxi ont abandonné leur compteur et ont commencé à facturer aux prix du marché - environ quatre fois les anciens prix. Aujourd'hui, les compteurs, parfois tournent, parfois non - dans les deux cas, ils n'ont aucune incidence sur le tarif, qui est établi par convention ou, à défaut, est objet de marchandage entre le chauffeur et le passager.
Les tarifs des taxis mélangent un contrôle des prix archaïque avec un marché libre sauvage non réglementé. Ils codifient l'irrespect pour la loi et transforment les transactions quotidiennes en affaires complexes à négocier. En petit, les tarifs des taxis montrent les problèmes économiques de deux époques: le socialisme sous Gamal Abdel Nasser et le capitalisme sous Anouar Sadate. De l'avis de nombreux égyptiens, ils ont hérité le pire des deux systèmes économiques.
Une vue de la partie européenne du Caire. |
Parce que ce bénéfice immense va au locataire plutôt qu'au propriétaire, le propriétaire n'a ni l'incitation ni les moyens d'entretenir correctement le bâtiment. Extérieurs non peints, intérieurs vétustes, escaliers abîmés, ascenseurs cassés, et couloirs sans lumière sont la norme. A l'intérieur, vous ne savez jamais ce que vous trouverez. Certains appartements sont merveilleusement entretenus et élégamment meublés, d'autres ont des murs noirs de suie, des vitres brisées, et un sol plein de trous. Trop souvent, les bâtiments sont autorisés à ainsi se détériorer et parfois ils peuvent même s'effondrer. Le Caire est une ville en cours de décomposition.
Les tarifs des taxis et de sous-location ne sont que deux des conditions exotiques résultant de l'économie faussée de l'Egypte. D'autres symptômes incluent les subventions à la consommation, qui dévorent désormais un tiers du budget du gouvernement - mais auxquelles aucun politicien qui se souvient des émeutes du pain de 1977 n'oserait toucher; l'absence de capital généré en interne ; et un taux incroyablement élevé de natalité. Environ un million de personnes s'entassent chaque année sur les terres arables minuscules de l'Egypte et engloutissent les terres agricoles pour le logement et les routes.
Lors d'une récente visite, plusieurs Egyptiens ont souligné que l'économie n'était qu'un aspect des échecs de leur pays. Ils ont souligné que la justice sociale, la réussite militaire, et la stabilité politique restent également hors de portée de l'Egypte. Déçus par les efforts des deux régimes d'Abdel Nasser et de Sadate, beaucoup d'entre eux cherchent d'autres approches. Certains se tournent vers l'islam pour des solutions, d'autres, étonnamment, regardent en arrière la période de la monarchie avant 1952 avec un nouvel intérêt et une nostalgie sans précédent.
Toutefois, pour le visiteur, ces préoccupations semblent moins immédiates que l'autre grand sujet de discussions dans la capitale: les infrastructures. Lorsque les Britanniques ont conçu le plan de la ville moderne du Caire au début de ce siècle, ils ont envisagé une population éventuelle de moins d'un million de personnes. À en juger par des photographies aériennes récentes, les démographes estiment que la population actuelle est évaluée à peu près entre 12 et 15 millions - et elle continue de croître rapidement. En conséquence, la foule humaine est devenue le problème le plus omniprésent du Caire. Ses symptômes frappent le visiteur en pleine face. Les trottoirs sont quasiment impraticables: voitures en stationnement, pavés brisés, vendeurs, et matériaux de construction en font des courses d'obstacles. La pression terrible de la foule rend habituellement plus facile de marcher dans la rue, là où le plus de piétons finissent.
La circulation automobile est à elle seule terrifiante, bien sûr, et pas seulement pour les piétons. La possession d'un véhicule privé a été multipliée durant les années 1970 en raison d'une baisse des frais d'importation, mais le Caire manquait d'installations pour accueillir toutes les voitures neuves. Les voitures garées étaient donc là garées où c'était commode, les camions effectuaient des livraisons de partout dans la rue, des charrettes à ânes et à vélo ralentissaient la circulation dans les rues peu larges, et le résultat a été un flirt quotidien avec le blocage total.
Dès ses premiers jours en fonction, Hosni Moubarak a consacré une attention considérable à ces problèmes de transport, et des améliorations dans ce domaine se distinguent en tant que principale réalisation de son régime. Des viaducs surviennent aux intersections trop passantes, des routes surélevées s'étendent sur des kilomètres, la construction du système de métro qui passe vingt-quatre heures d'affilée, et la police assure la libre circulation du trafic en distribuant des amendes sévères. Cependant des problèmes demeurent Les viaducs défigurent la ville et ne font que transférer les embouteillages vers le haut. La mauvaise essence raffinée dégage des fumées qui rendent les rues désagréables et parfois produisent des maladies. Les voitures garées continueront de faire obstruction à toutes les formes de transport jusqu'aux garages à étages multiples qui augmentent dans le centre-ville. La qualité de vie continuera de diminuer jusqu'à ce que l'ensemble de l'infrastructure du Caire soit remaniée - y compris les lignes d'égouts, d'électricité et de téléphone, les artères principales et les transports publics.
Le Caire a une énorme importance dans la vie politique de l'Egypte: il est non seulement le « home » pour presque un tiers de la population du pays, mais il est le seul endroit où les actions entreprises par les citoyens peuvent secouer le gouvernement. Ainsi, les problèmes ordinaires de la vie cairote, s'ils ne sont pas traités, peuvent constituer une menace plus grande pour Moubarak que les questions plus prestigieuses telles que la démocratie et la paix.