Certains groupes musulmans aux Etats-Unis ont lancé une campagne pour entraver la nomination de Daniel Pipes au conseil d'administration de l'Institut pour la Paix des Etats-Unis (United States Institute of Peace : USIP). [Cet organisme], l'USIP, est une institution financée par le contribuable ayant pour mission de promouvoir «la résolution pacifique des conflits internationaux. » M. Pipes, un candidat du gouvernement Bush, est un érudit de l'Islam et du Moyen-Orient et un critique virulent des islamistes militants.
Bien que le Washington Post, entre autres, ait publié un éditorial contre sa nomination, la controverse doit être replacée dans le contexte de la guerre civile d'idées dans le monde musulman - entre ceux qui veulent concilier le respect de leur foi avec la modernité et ceux qui cherchent le rétablissement d'un passé mythique glorieux. La nomination de Pipes est devenue une épreuve de force pour ces islamistes qui souhaitent dépeindre la guerre contre le terrorisme comme une guerre contre l'islam. S'ils peuvent rallier les musulmans américains à leur cause, ils seraient en mesure de limiter la portée du débat sur les questions islamiques dans les paramètres qu'ils auraient fixés. Cet objectif ne sert pas les intérêts des États-Unis ou des musulmans.
Beaucoup de revivalistes islamiques ou islamistes, se sont tournés vers le terrorisme, dans le but de détruire la domination militaire, économique, culturelle et technologique de l'Occident. Surtout, ils n'admettent pas et résistent à la libre circulation des idées au sein de la communauté musulmane et avec l'Occident. En matière de terrorisme, les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d'ignorer les idées - et le manque d'ouverture dans le discours musulman - qui génèrent la pensée terroriste. Alors que les détracteurs de Mr. Pipes lui collent l'étiquette d' «islamophobe», le bras de fer est moins au sujet de Daniel Pipes et plus sur les conditions de l'engagement des Etats-Unis vis-à-vis des musulmans du monde , y compris de nombreux citoyens américains. Mr. Pipes n'a probablement pas toujours raison dans tous ses arguments. En tant que musulman, je suis en désaccord avec plusieurs de ses recommandations politiques. Mais ses vues ne sont ni racistes ni extrémistes, elles restent dans les limites du débat scientifique légitime.
Les musulmans ont beaucoup souffert de leur tendance à fuir la discussion d'idées, notamment celles relatives à l'histoire et la religion et leur impact sur la politique. Les Jusqu'au-boutistes purs et durs ne toléreront pas la remise en cause de leurs opinions [à savoir] que l'islam n'a rien à apprendre des «mécréants» ou que les musulmans ont le droit de soumettre d'autres religions, par la force si nécessaire. La notion d'un Etat et d'un régime islamiques - soutenus par les extrémistes, objets de questions de la part des modérés - est également une question qui doit être diffusée. Promouvoir un tel débat doit être un élément essentiel de l'engagement américain avec le monde islamique. Cet objectif est mieux servi en incluant et en débattant les idées des intellectuels tels que Mr. Pipes qu'en les attaquant.
Les Américains sont désireux de comprendre pourquoi certaines personnes les détestent suffisamment pour vouloir lancer des avions contre des immeubles et se faire exploser tout en essayant de tuer des civils. Mais une introspection similaire n'existe pas chez les musulmans. Ne devraient-ils pas se demander pourquoi est-ce si difficile pour eux de critiquer le terrorisme sans craindre d'être étiquetés anti-islamiques? Tout comme les Etats-Unis ont besoin de comprendre pourquoi les musulmans n'apprécient pas leur pouvoir, les musulmans doivent arriver à comprendre pourquoi ils ne peuvent pas gagner la confiance et le respect de l'Amérique.
Les ennemis extérieurs de l'islam, et leurs complots réels ou perçus comme tels, sont au centre de la plupart des discours dans le monde musulman. La domination coloniale et, depuis lors, les injustices infligées aux musulmans sous l'occupation non musulmane dans plusieurs pays sont de vrais problèmes qui doivent être abordés. Mais l'échec des sociétés musulmanes - en particulier les dirigeants – pour englober l'enseignement, l'expansion des économies ou pour innover, cela ne peut pas être attribué uniquement à des facteurs extérieurs. Les causes profondes se trouvent également dans la crainte de certains musulmans d'inclure un débat raisonné et des échanges intellectuels, de peur que cette ouverture dilue en quelque sorte la pureté de leurs croyances.
La campagne contre Mr. Pipes est un exemple de cette tendance à faire échouer la discussion. Les musulmans qui ne partagent pas son point de vue devraient lui répondre avec des arguments qui leur sont propres. Le calomnier peut aider à attirer à eux les musulmans laïques et islamistes, mais cela n'élèvera pas le niveau de discours concernant les questions islamiques. Il est temps, pour les leaders musulmans aux Etats-Unis, de briser le modèle d'agitation qui a caractérisé les réponses musulmanes à l'Occident.
Mr. Haqqani, chercheur invité à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, a servi comme conseiller des Premiers ministres du Pakistan, Benazir Bhutto et Nawaz Sharif.