La montée en puissance des musulmans radicaux chiites est peut- être le développement politique le plus surprenant de ces derniers temps. Il y a seulement 20 ans, l'Islam était méprisé par les Moyen-orientaux instruits comme étant arriéré et stagnant. A la place, le nationalisme arabe et d'autres idéologies laïques prédominaient.
Dans The Vanished Imam (Cornell University Press, 228 pages, 17,95 $), Fouad Ajami utilise l'histoire d'un homme religieux - Moussa Sadr - comme un moyen pour expliquer le type de forces derrière l'évolution politique de l'islam. Mr. Ajami, professeur d'études islamiques à l'Université Johns Hopkins et récipiendaire du prix MacArthur Prize, connaît bien son sujet. C'est un livre d'une grande puissance et d'un talent inhabituel.
L'histoire de Moussa Sadr peut être rapidement brossée. Né en Iran d'une éminente famille cléricale d'origine libanaise, il s'installe au Liban en 1959, à l'âge de 31 ans. Prenant une position modeste dans la hiérarchie religieuse chiite, Sadr a immédiatement commencé à essayer de mobiliser la communauté chiite.
Il fait face à trois problèmes principaux. Tout d'abord, les chiites étaient la secte la plus opprimée des nombreuses sectes du Liban. Ils étaient les seuls à être sans organisme communautaire ni milice. La situation était si mauvaise que les centaines de milliers de chiites de Beyrouth manquaient de cimetière et devaient prendre leurs morts pour les transporter dans les villages de leurs ancêtres. Deuxièmement, la tradition chiite de soumission et de passivité politique qui commandait d'accepter leur sort alors que d'autres pouvaient le modifier, signifiait que le changement était difficile à réaliser. Troisièmement, il y avait la tendance des Arabes instruits à dénigrer l'islam.
Les attributs personnels de Moussa al Sadr - son charme, sa beauté et son éducation – ont aidé à surmonter ces obstacles. Le calcul politique, un flair pour la publicité et beaucoup de dur travail furent aussi décisifs. Mais ce qui a rendu Sadr unique fut l'insistance mise sur le fait que la foi n'était pas d'abord une question de rituel, mais aussi une question de préoccupations sociales et politiques. Il a introduit un nouveau langage pour le discours politique. Faisant appel « au poids de l'histoire chiite," il a extrait de sa tradition des symboles de révolte et de nouvelles formes de solidarité. « L'histoire chiite au Liban a changé pour de bon, ses symboles et le patrimoine ont été réinterprétés par l'imam et en leur donnant un penchant militant", écrit M. Ajami. De cette façon, Sadr a purgé le chiisme de sa passivité et de son défaitisme. Dans le même temps, son travail a préparé la voie pour les efforts de l'ayatollah Khomeiny en Iran.
Sadr s'est également engagé dans l'organisation de la communauté. Les riches ont été poussés à donner des fonds à des fins communautaires, on souffla aux agriculteurs de faire des demandes pour des travaux d'irrigation et de demander des prix du tabac plus élevés, les voyous furent organisés en une milice chiite. Il a même convaincu le monde extérieur d'abandonner le nom péjoratif sous lequel les chiites du Liban étaient connus.
En 1969, les chiites étaient devenus des participants actifs dans la vie publique libanaise et Sadr était devenu leur leader incontesté. Comme récompense pour son leadership, Sadr est venu à être connu, sous les acclamations générales, comme «l'imam», un titre extraordinaire ayant de forts accents messianiques.
La régénération par Sadr du chiisme était achevée au moment où la guerre civile libanaise éclatait en 1975. Dans ce climat de sauvagerie, les méthodes tranquilles de Sadr avaient perdu leur utilité, et il était devenu sans but et troublé. Puis, en août 1978, est venu l'événement qui a mis fin à la vie de Sadr et de façon permanente a consacré sa réputation. Au cours d'un voyage de six jours en Libye, il a rencontré le dirigeant libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, et a ensuite disparu sans laisser de trace. À ce jour, son destin reste un complet mystère
Ce qui rendit la disparition de l'imam si importante, c'est que cela correspondait exactement aux attentes millénaristes du chiisme, une religion fondée sur la disparition de dirigeants justes et leur réapparition à la fin des temps. (Le parallèle chrétien le plus proche serait un saint persécuté en étant crucifié par un tyran.) La disparition de Sadr a eu une résonance profonde chez les chiites. "Muammar al Kadhafi et Moussa al Sadr", écrit M. Ajami, "auraient pu être facilement tirés de la littérature chiite et des miniatures persanes qui reproduisent des scènes de lutte et de défaite: un soldat impitoyable et un invité sans méfiance qui était entré dans un endroit dangereux. "
La disparition a achevé la mission de l'Imam. "Son aura plane au-dessus du monde en ruines du chiisme au Liban, et sa politique est devenue, à bien des égards, un combat sur l'hypothèse de l'Imam disparu." Aujourd'hui, Mr. Nabih Berri conduit le courant chiite dominant pour occuper une place de choix au Liban, gagner ces avantages si longtemps refusés. Muhammad Hussein Fadlallah conduit ceux qui font l'apologie du pouvoir et, contre toute attente, voudraient créer un gouvernement de style iranien au Liban, au mépris de la population morcelée du pays et des nombreuses religions.
Ce livre peut être lu pour son information, dont une grande partie n'est pas autrement accessible. Mais The Vanished Imam offre beaucoup plus qu'un compte-rendu utilitariste sur les récents développements au Liban. Il prend les choses brutes de la politique quotidienne et les transforme en un compte-rendu classique de la réussite et des conflits humains. Les détails sont locaux, mais Mr. Ajami confère à l'histoire une signification universelle. Son récit de l'étranger qui transforme un peuple et puis, quand son travail est terminé, reconstitue son drame le plus sacré, a la puissance littéraire d'un chef-d'œuvre
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Mise à jour du 7 décembre 2011: trente-trois ans après la disparition de Moussa Sadr et quelques mois après la mort de Kadhafi, certains indices apparaissent sur le sort du leader libanais. Ceci tiré d'un article dans le journal Daily Star de Beyrouth, basé sur une source anonyme du Conseil national de transition en Libye:
"l'Imam Moussa Sadr est mort dans sa cellule de prison où il était détenu depuis sa disparition par les membres [de la sécurité]du régime Kadhafi en 1978," a dit la source locale du jour, Al-Liwaa dans une interview publiée mardi. La source a déclaré que Sadr était mort de causes naturelles durant l'été 1998. Il était détenu dans une cellule souterraine à la prison centrale de Tripoli, a ajouté la source. Son corps a été gardé à la morgue de la prison jusqu'aux premiers jours de l'éclatement de la révolution libyenne, selon la source. ...
la source a dit que l'enquête initiale menée par le Conseil national de transition a montré que le cadavre a pu être sorti de la morgue par les forces de Kadhafi pour "couvrir le crime." Selon certains éléments de preuve et les récits d'un certain nombre de témoins, la source dit que le corps de Sadr est probablement enterré dans une fosse commune qui a été récemment découverte dans une banlieue de Tripoli. La source libyenne a déclaré que le Conseil n'avait aucune idée sur le sort des deux compagnons de Sadr.