Meron Benvenisti est fier de posséder des références impeccables à la fois en Israël et aux États-Unis. Son propre père était également l'un des pères fondateurs d'Israël. S'agissant de lui-même, l'auteur a occupé un poste élevé dans le gouvernement israélien (adjoint au maire de Jérusalem), a dirigé un petit mais important « think tank » [Groupe de réflexion] analysant la situation en Cisjordanie, a enseigné dans une université de premier plan, et écrit une rubrique pour le journal le plus prestigieux du pays.
Benvenisti a également des références américaines de premier ordre. Il a étudié la politique à l'Université de Harvard. Deux grandes fondations, la Fondation Rockefeller et la Ford, ont parrainé son travail. Le New York Times cite régulièrement ses analyses, et, en effet, le chroniqueur du Times, Thomas L. Friedman, a écrit, dans une préface élogieuse à Ennemis intimes, que Benvenisti est "l'expert du Moyen-Orient que des experts du Moyen-Orient choisissent pour obtenir un conseil." Le président de l'Association pour les études d'Israël, professeur à l'Université de Pennsylvanie, approuve chaleureusement le livre et déconseille d'essayer de comprendre Israël sans le lire. La maison d'édition University of California Press* [*U.C. Press est une maison d'édition américaine associée à l'université de Californie, spécialisée dans la presse universitaire (NDLT)] le salue pour sa "passion rhétorique et son honnêteté acerbe de prophète biblique."
Meron Benvenisti - on peut l'affirmer sans trop s'avancer- se classe parmi les interprètes israéliens du conflit israélo-arabe que l'establishment libéral américain estime le plus.
En ouvrant son livre sur Juifs et Arabes sur une terre commune c'est donc une surprise de trouver non pas un essai faisant autorité et équilibré, mais quelque chose de très différent- à la fois affichage d' ignorance, fantaisie politique, et laïus anti-Israël.
Commençons par l'affichage de l'ignorance. Pour l'expert des experts, Benvenisti fait quelques erreurs assez rudimentaires. Il semble peu versé dans ce qui touche les affaires mondiales: comment, à la lumière de l'expérience nazie et soviétique, peut-il généraliser et dire que "les Etats souverains prennent des décisions basées sur des considérations concrètes et pragmatiques, dans lesquelles l'idéologie joue un rôle secondaire"?
Il ne connaît pas l'histoire du Moyen Orient: il appelle le Koweït "une création des intérêts anachroniques de Grande-Bretagne," ignorant de toute évidence que les racines du Koweït en tant qu'Etat remontent au dix-huitième siècle, ce qui est bien antérieur à la domination britannique.
Ni l'économie: il dit des Palestiniens expulsés d'Arabie après la guerre du Koweït qu'ils ont amené la Jordanie au "bord de la faillite" ; en fait, ils ont injecté dans le pays de nouveaux capitaux et une énergie nouvelle.
Ni la diplomatie: il écrit que les Palestiniens ont connu une «symétrie symbolique» avec Israël lors de la conférence de Madrid en 1990 – ce qui est difficilement le cas alors que les Palestiniens n'avaient pas leur propre délégation, mais étaient un complément à la délégation jordanienne.
Ni l'islam: il écrit à plusieurs reprises du cri de ralliement Allah Akbar hua (c'est en fait Allahu Akbar).
Et il ne connaît surtout pas Israël: les menaces de Saddam Hussein contre Israël en 1990 ont fait que «la plupart des Israéliens ont poussé un soupir de soulagement"? La réception de missiles irakiens en 1991, qui a apporté «un sentiment de soulagement »? Ce doit être une blague.
Sur cette fragile base factuelle, Benvenisti propose une solution fantastique pour le conflit israélo-arabe: une Confédération Israël / Palestine, un Etat binational dans lequel les deux peuples partagent le pouvoir dans le gouvernement central tout en vivant dans des cantons homogènes du point de ethnique qui jouissent d'une autonomie culturelle et religieuse. Cela vous semble familier? C'est le système qui a si bien marché au Liban et en Yougoslavie. Bien sûr, nous allons tirer vers le bas l'Etat juif et l'essayer en Israël aussi.
Sauf que, avec une unanimité rare, les Israéliens et les Palestiniens rejettent le binationalisme. En effet, ils l'ont écarté il y a si longtemps qu'un défenseur américain de cette approche écrit qu'en 1946 c'était déjà "hors de question." Aujourd'hui, les deux peuples cherchent désespérément à se désengager l'un de l'autre. Benvenisti ignore leur souhait, préférant rêver d'une étreinte israélo-palestinienne. C'est son droit, mais cela soulève de sérieux doutes sur son bon sens.
Le laïus anti-Israël confirme ensuite ces doutes. Bien que Benvenisti dise que son père lui inculqua « un profond attachement à l'idéologie sioniste », ce qui ressort ici est une violente colère contre son pays et son gouvernement- une frustration du fait qu'il leur manque le bon sens pour partager son rêve. Il condamne les Israéliens de tous bords politiques pour vouloir «garder les Arabes en dehors ». Son attaque contre eux rappelle des passages de l'ancien cahier d'écriture de l'OLP. Il qualifie Menahem Begin et Ariel Sharon d'"auteurs" de la guerre de 1982 au Liban, ce qui implique que leurs actions furent criminelles. Il caractérise le traitement par Israël des Palestiniens au cours du dernier quart de siècle, comme «la violence légale ... utilisée indifféremment contre un groupe ethnique dominé et sans défense». Il trouve le traitement israélien des Palestiniens similaire au système de l'apartheid en Afrique du Sud.
Et quand Benvenisti est bien lancé , sa rage lui inspire des mots lourds de sens plus forts les uns que les autres. La domination israélienne sur la Cisjordanie et de Gaza est jugée avec divers qualificatifs «macabre», «absurde», «ridicule» et «sévère». Le terme qu'il semble préférer entre tous est celui de pitoyable [«pathetic » en anglais (NDLT)], parce qu'il l'utilise au moins trois fois dans ce contexte.
Les Palestiniens ne sont pas des anges non plus, mais il ne semble pas beaucoup s'en soucier. Oui, dans les années 1930, ils se sont engagés dans "une politique intransigeante et dans des actes de violence", mais dans un autre endroit Benvenisti qualifie leur comportement à l'époque d'«héroïque». Il ne se pose pas de question sur les références de Yasser Arafat en tant que leader des Palestiniens, ni sur ses intentions à long terme. Sa fureur, en bref, est dirigée contre ceux qui l'ont repoussé, ses compatriotes israéliens. Les défauts de Ennemis intimes soulèvent une question intéressante: Pourquoi l'establishment libéral américain attache tant de prix au travail de Benvenisti? Est-ce qu'il rêve aussi de binationalisme ? Ou est-ce qu'il ferme les yeux sur ses faiblesses, car il trouve qu'un Israélien qui méprise son propre pays est très utile ? C'est là une idée qui dérange.