Daniel Pipes est une personnalité connue des medias américains. Journaliste et ancien universitaire, il publie régulièrement dans le Washington Times une chronique qui est largement reprise par d'autres grands journaux des Etats-Unis. Il nous a accordé cette interview lors d'un bref passage en Israël.
Le P'tit Hebdo: Daniel Pipes, vous êtes venu pour quelques jours en Israël: dans quel but?
Daniel Pipes: Je fais partie d'une mission venue recueillir des éléments sur le terrain auprès des Arabes israéliens. Nous nous sommes rendus entre autres à Baka Al Garbia, Oum el Fahm, Nazareth, et avons assisté à plusieurs conférences. J'ai participé à cette visite pour tenter de mieux comprendre le contexte dans lequel vivent les Arabes israéliens. Et j'avoue que la question est assez complexe. J'ai remarqué notamment que personne, parmi les Arabes modérés que j'ai rencontrés, n'était prêt à parler de l'Islam alors qu'il s'agit pour ma part d'une question essentielle. Mes interlocuteurs arabes ont prétendu que leurs problèmes en Israël portaient davantage sur des questions économiques et sociales et ils ont revendiqué plus de respect à leur égard. Voici mon article à ce sujet: https://fr.danielpipes.org/10876/arabes-israel-paradoxe.
LPH: Vous êtes un spécialiste de l'Islam et fermement opposé à toute politique de compromis avec les Palestiniens. Selon vous, comment Israël devrait-il mener sa politique dans le cadre du conflit avec les Palestiniens et les Etats arabes?
DP: Il faudrait qu'Israël revienne à la politique qu'il menait entre 1948 et 1993, basée sur la dissuasion. Cela fait près de 20 ans qu'il ne l'applique plus. Israël doit chercher à vaincre ses ennemis, ce qu'il ne fait plus depuis 1993.
LPH: Faites-vous allusion notamment à ce qui se passe dans le sud? Comment Israël devrait-il se comporter selon vous?
DP: Il faut qu'Israël définisse l'objectif de sa politique vis-à-vis du Hamas de Gaza. Après l'avoir déterminé, il doit établir une stratégie. Mais ce n'est pas ce que fait le gouvernement israélien. La crise actuelle consiste en des attaques de roquettes sur le sud d'Israël. Auparavant, il y a eu une autre crise lorsque l'Autorité palestinienne a tenté de faire reconnaître par l'Onu l'existence d'un Etat palestinien. Chaque fois qu'une crise éclate, on essaie d'y mettre fin sans voir plus loin.
LPH: Comment expliquez-vous cette faiblesse israélienne?
DP: D'une part, en Israël, on est fatigué des guerres et de l'autre, on a un sentiment de supériorité, d'arrogance. La situation n'est pas prise au sérieux comme elle l'était auparavant. A l'époque, entre les années 1950-1970, Israël était l'Etat doté de la meilleure stratégie au monde. A l'heure actuelle, il est très faible. On ne veut plus se concentrer sur les affaires de la guerre, on préfère s'occuper de musique, de technologie,…
LPH: Vous êtes opposé à la création d'un Etat palestinien et vous avez dénoncé le retrait israélien de la bande de Gaza (en 2005). Estimez-vous possible aujourd'hui la signature d'un accord entre Israël et l'Autorité palestinienne?
DP: Il est impossible aujourd'hui de signer le moindre accord, étant donné que nous nous trouvons encore en pleine guerre. On ne termine pas une guerre avec un bout de papier. Il faut que l'un des protagonistes soit vaincu. Si c'est Israël, on dira qu'il a essayé d'établir un Etat juif et qu'il a échoué. S'il s'agit des Palestiniens, ils admettront avoir tenté d'annihiler l'Etat juif et accepteront leur défaite en s'accommodant de cet Etat sans pour autant l'aimer. Ils ne tenteront plus de l'éliminer et s'inclineront devant le fait accompli. C'est l'un ou l'autre.
LPH: Ce que vous dites au sujet d'Israël n'est pas très encourageant…
DP: Je suis optimiste: je pense qu'Israël est fort. Il n'y a aucune comparaison possible entre ce qu'on trouve à Jérusalem et ce qu'on voit à Ramallah. Je ne vois pas de grand danger à l'heure actuelle, mis à part le défi iranien.
LPH: Comment peut-on relever ce défi? Israël doit-il attaquer l'Iran?
DP: Pour moi, il faut avant tout agir pour que le gouvernement islamique d'Iran n'acquière pas l'arme nucléaire. Cela peut se faire par des pressions économiques ou militaires, venant soit d'Israël soit des Etats-Unis. Mais à mon avis, on doit utiliser la force militaire. Ceci étant, je pense que nous ne disposons pas de toutes les informations sur la question.
LPH: Israël devrait-il attendre d'obtenir le soutien des Etats-Unis?
DP: Israël n'a pas besoin d'obtenir le soutien des Etats-Unis. Il ne l'a pas demandé lors de son attaque en Irak en 1981 (sur la centrale nucléaire d'Osirak) ni en 2007 lors de son opération en Syrie. Donc, je ne pense pas que cela soit nécessaire.
LPH: Ces dernières années, vu vos prises de positions très pro-israéliennes, vous avez fait l'objet de nombreuses critiques. Que vous reproche-t-on?
DP: Aux Etats-Unis, je suis tout à fait accepté au sein du parti républicain, Gingrich et Santorum (candidats républicains aux présidentielles) ont les mêmes idées que moi. Israël est très populaire aux Etats-Unis ; ce sont surtout les universitaires qui s'opposent à la pensée américaine ainsi que les artistes et les journalistes. J'ai suivi la même formation qu'eux mais je me trouve à présent au sein de la politique américaine. En Europe, en revanche, on me considère peut-être comme un extrémiste.
LPH: Que pensez-vous de la politique du président américain Barack Obama?
DP: De façon générale, en tant que républicain, je m'oppose totalement à sa politique. C'est le quatrième président démocrate depuis un siècle à tenter de changer l'équilibre entre l'Etat et les citoyens après Woodrow Wilson, Franklin Roosevelt et Lindon Johnson. Mais sa politique au Moyen-Orient n'est pas tellement différente de celle de Bush. Et à l'heure actuelle, comme sous le mandat de Bush, il n'y a pas de crise entre Israël et Washington. Si Obama est réélu, ce sera totalement différent étant donné qu'il fait partie de la composante socialiste extrémiste du parti démocrate. Jusqu'à présent, il a dû se retenir, mais s'il est réélu en novembre prochain, il pourra faire ce qu'il veut et c'est à ce moment là qu'on doit craindre une crise entre Israël et l'administration américaine.
LPH: Pensez-vous qu'il a des chances d'être réélu?
DP: Certainement, mais il est encore trop tôt pour se prononcer. Huit mois, c'est très long en politique.
LPH: Que pensez-vous de la politique actuelle de Binyamin Netanyaou?
DP: Je pense qu'elle est assez bonne. Le dernier dirigeant israélien fort était Itshak Shamir et depuis cette époque, il n'y en a pas eu d'autres. Lors de son premier mandat, Netanyahou était faible. Mais maintenant, je trouve qu'il dirige mieux les affaires de l'Etat. Ceci dit, on ne peut porter aucun jugement sur sa rencontre récente avec Obama, étant donné qu'on ignore la teneur de leur conversation.