Dans son étude excellente et fiable, Robin Wright distingue trois grandes époques au sein de la décennie (de février 1979 à juin 1989) du gouvernement de l'ayatollah Khomeiny en Iran.
Les quatre premières années, elle les dépeint comme une période de survie. Un groupe de mollahs politiquement inexpérimentés a dû créer de nouvelles institutions, puis s'assurer que celles-ci étaient faites pour durer. Leur tâche a été rendue d'autant plus difficile étant donné la grande hostilité que la Révolution islamique a inspirée. Washington semblait toujours menacer, bien que peu de mesures contre Téhéran aient été prises; Bagdad a réellement déclaré une guerre, et les Moudjahidine du peuple [appelés aussi Moudjahidin e-Khalq (NDLT)], le principal groupe d'opposition dans le pays, a tué plus d'un millier de représentants du gouvernement dans une période de quatre mois en 1981.
Selon Melle Wright, les quatre années suivantes (de 1983 à novembre 1986) ont marqué une ère d'expansion de la République islamique. À l'intérieur du pays, le gouvernement a réformé les institutions- des banques aux écoles- en vue de les rendre compatibles avec la vision de Khomeiny d'un ordre islamique fondamentaliste. A l'étranger, les forces iraniennes sont passées à l'offensive contre l'Irak, ont aidé les combattants afghans à se battre contre l'Armée rouge, et ont développé le double instrument du terrorisme suicide et de la prise d'otages, principalement dirigé contre l'Occident.
Les deux dernières années, plus une demi-année , qui ont duré de la révélation de l'affaire Iran / Contra [L'affaire Iran/Contra ou Irangate, allusion à un scandale politique survenu aux Etats-Unis dans les années 1980 ; les Contras étaient un mouvement contre-révolutionnaire du Nicaragua (NDLT)] à la mort de Khomeiny, ont été caractérisées par le repli. « Le coût de l'arrogance et de l'isolement qui avaient été si essentiels au rêve de [Khomeiny] avait été énorme. » Comme les défauts de la République islamique étaient devenus tout à fait évidents, la survie du régime était redevenue la première préoccupation. Même les classes inférieures en Iran ne soutenaient plus Khomeiny comme autrefois. La ferveur de tous, même celle des plus enthousiastes avait été refroidie par huit années de guerre, un déclin économique constant et un régime géré par des fonctionnaires bornés. Le combat avec l'Irak avait finalement si mal tourné que Khomeiny avait dû laisser tomber la guerre, un acte qu'il avait qualifié de « plus mortel que de boire [le poison] la ciguë.» Bien que Khomeiny ait encore essuyé beaucoup de coups portés contre lui -l'édit contre Salman Rushdie avait de nouveau montré la profondeur de son radicalisme – les années fortes de la Révolution islamique étaient clairement passées au moment de sa mort au printemps dernier.
Pour l'avenir, Melle Wright laisse penser que la clé de l'avenir du régime résidera dans ses priorités. Pour que la révolution iranienne survive une deuxième décennie, écrit-elle, il «faudra presque certainement qu'elle redirige son énergie, se concentrant moins sur l'exportation de la révolution et plus sur les problèmes intérieurs. » La recette qu'elle propose pour y parvenir est presque identique à l'intérieur et à l'étranger. Téhéran peut gagner plus de soutien interne en montrant une plus grande tolérance envers les sensibilités et croyances diverses, et il peut gagner plus de soutien à l'étranger en laissant tomber le bellicisme et en se comportant selon les normes habituelles. En bref, pour que ça dure, « la révolution devra s'attaquer à ses restrictions »
Bien qu'elle n'analyse pas en détail l'évolution politique depuis la mort de l'ayatollah Khomeiny, Melle Wright laisse entendre que la tendance est favorable à la stabilité. La décennie de Khomeiny a été témoin d'un litige interminable de l'idéalisme contre le réalisme, de la pureté contre le pragmatisme, et de la révolution contre l'Etat. Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, le nouveau président de l'Iran, a un rôle essentiel en fermant ce champ de bataille dangereux, car « tout comme l'ayatollah personnifiait la révolution, Rafsandjani en est venu [en 1988] à personnifier l'État. » Il est probable, en d'autres termes, que le gouvernement iranien à l'avenir poursuivra des objectifs moins radicaux.
L'étude de Melle Wright sur la décennie de Khomeiny est l'illustration des points forts et des points faibles habituels que comporte un compte-rendu d'un journaliste. Sur le plan positif, elle écrit bien et donne des détails pour confirmer la théorie. Elle sait flairer pour son récit le détail révélateur: le gâteau d'Oliver North emporté en Iran était casher; la barbe portée par les soldats iraniens rend inefficaces les masques à gaz, et les franchises expropriées de Kentucky Fried Chicken [« Poulet frit à la Kentucky » est une chaîne de restauration rapide, fondée par le colonel Harland Sanders. Restaurants gérés en franchise (NDLT)] en Iran ont remplacé l'image du colonel Sanders par l'image d'un homme ressemblant au premier président de la République islamique, Abol Hassan Bani Sadr.
Sur le plan négatif, Au Nom de Dieu souffre de l'incapacité de l'auteur à parler ou lire la langue persane. En conséquence, la plus grande partie de l'information savante, journalistique, et de première main sur l'Iran lui est complètement inaccessible. Pire encore, elle semble se fonder uniquement sur les sources de langue anglaise, de sorte qu'elle n'a même pas accès à l'information dans d'autres langues européennes. (Pour réaliser à quel point cela est gênant, il faut imaginer un journaliste français spécialisé dans les affaires américaines, mais incapable de parler ou de lire l'anglais!)
Aussi , Melle Wright est peu solide quand il s'agit de la culture et de l'histoire de l'Iran. Elle ne parvient pas, par exemple, à expliquer que Khomeiny avait lancé une expérience dans le domaine de la réglementation théologique absolument sans précédent dans l'histoire iranienne, une [réglementation] presque aussi étrangère aux Iraniens qu'elle l'était aux Américains. L'avenir de la République islamique ne peut être correctement évalué que par la compréhension juste du degré de profondeur de la tentative de Khomeiny qui vient en contradiction avec les traditions culturelles iraniennes. En effet, la connaissance de ces traditions renforcerait probablement le scepticisme de l'analyste au sujet de la puissance durable du régime de Khomeiny.
Ces réserves mises à part, Robin Wright a produit un compte-rendu qui vient en temps opportun, fiable et digne de confiance sur la décennie la plus singulière de l'Iran.