Bernard Lewis commence son enquête remarquable surl'histoire du Moyen Orient en évoquant un simple café [un café comme au 18e siècle (NDLT)]dans un pays comme la Turquie, l'Egypte ou l'Iran. C'est une scène banale « les hommes assis à une table en buvant une tasse de café ou de thé, peut-être en fumant une cigarette, lisant un journal, jouant à un jeu de société, » avec la radio ou la télévision jouant dans le coin.
Mr. Lewis se met ensuite à déconstruire les principaux éléments de cette image, opération au cours de laquelle il montre comment ses éléments presque tous proviennent de l'Occident. Les habitués du café portent des vêtements de style occidental, les lunettes et la montre qu'ils portent ont été entièrement mis au point en occident. Tables et chaises sont arrivées avec le colonialisme, remplaçant coussins et poufs. Le tabac vient d'Amérique. Les journaux viennent d'Europe, bien sûr, comme le fait la quasi-totalité de leur contenu, de la couverture politique à la bande dessinée. Il en va de même pour la radio et la télévision, y compris les programmes musicaux. Seul le café et les jeux de société peuvent se vanter d'avoir une origine locale.
Ce cadre du café permet à Mr. Lewis d'établir habilement un des grands thèmes de son livre: comprendre le Moyen-Orient aujourd'hui, c'est comprendre le «changement rapide et forcé» qu'il a enduré sous une agression occidentale qui dure maintenant depuis deux siècles. Et voir l'influence occidentale dans le contexte exige à son tour une immersion plus profonde dans l'expérience du Moyen-Orient. C'est précisément ce que Mr. Lewis entreprend d'offrir au lecteur dans une histoire révolutionnaire du passé du Moyen-Orient depuis deux millénaires.
De plusieurs façons, la version Lewis de cette histoire améliore celle offerte par ses prédécesseurs. Tout d'abord, elle ne commence pas avec le septième siècle, quand l'Islam prend naissance, mais elle remonte à l'époque de Jésus. Tout en reconnaissant que «l'avènement de la domination islamique ... a clairement marqué le début d'une nouvelle société » l'auteur prend soin de montrer les continuités avec le Proche-Orient ancien. Cela a pour vertu principale de placer l'histoire islamique dans son contexte, plutôt que de la voir comme une innovation presque complète.
Deuxièmement, Mr. Lewis aspire à faire plus que réciter des noms et des dates ; il espère faire passer quelque chose de la texture de la vie du Moyen-Orient. Comme l'image du café le suggère, la sienne est une histoire résolument moderne, pleine de détails frappants et de personnalités qui en sont l'illustration. Le récit politique nécessaire est là comme épine dorsale de l'histoire, mais les domaines social, économique et culturel, précisément ceux qui sont les plus susceptibles d'intriguer le lecteur occidental- sont ce qui étoffe l'étude. Par exemple, Mr. Lewis note succinctement une différence subtile en apparence dans l'agriculture qui a de profondes implications « En Europe occidentale, l'agriculture et l'élevage ont été étroitement associés, souvent, en effet, dans les mêmes mains. Dans le Moyen-Orient, il y a eu depuis toujours séparation et conflit entre le paysan et le nomade. " Une grande partie de l'histoire du Moyen Orient résulte de ce simple fait, y compris son expérience politique et ses rythmes économiques.
Bien que certaines de ses informations seront sans aucun doute familières à un lecteur ayant des connaissances de base sur le Moyen-Orient, Mr. Lewis s'inspire largement de sa propre recherche originale, assurant qu'une grande partie de son livre serait un roman, même le côté du Moyen-orient le plus pratique . Plus: son livre Une brève histoire aspire à la sophistication que l'on trouve dans l'histoire de l'Europe et des États-Unis - une réussite remarquable étant donné la façon combien légère, par rapport à ces régions, dont le Moyen-Orient a été étudié.
Troisièmement, l'auteur résiste à l'orthodoxie mesquine du politiquement correct. Plutôt que d'obéir au rituel qui consiste à blâmer l'impérialisme européen pour les malheurs actuels du Moyen-Orient, il fait l'éloge de l'ère de la brève domination anglo-française du Moyen-Orient comme «un intermède de l'économie libérale et de la liberté politique. » Plutôt que d'accepter l'enthousiasme actuel du Moyen-Orient pour l'islam fondamentaliste comme une répudiation des manières occidentales, il regarde en dessous de la surface et trouve que la région s'occidentalise malgré elle: «le rejet de l'Occident et de ses offres est loin d'être aussi complet et autant sans discernement que ce que la propagande peut indiquer »; pas mal d'importations en provenance des terres de l'incroyance, note-t-il, restent vraiment les bienvenues ».
Enfin, le livre est extrêmement bien écrit. Récemment étiqueté comme «l'un des grands prosateurs de ces cinquante dernières années», Mr. Lewis a un talent pour l'image, la tournure de phrase, et la citation rapportée ; en outre, il dénoue les problèmes complexes (tels que l'impact des idées révolutionnaires françaises sur le Moyen-Orient), de sorte que l'on remarque à peine leur difficulté.
Quant à l'avenir, Mr. Lewis voit les deux siècles du Moyen-Orient sous le joug de l'Occident tirant à leur fin et il voit la région au début d'une ère nouvelle. Les puissances étrangères ont récemment établi très clairement que, tout au plus, elles «agiront pour défendre leurs propres intérêts, c'est-à-dire, les marchés et le pétrole, et les intérêts de la communauté internationale, » mais pas plus. Le renversement de Saddam Hussein? C'est aux Irakiens de décider. Reconstruire le Liban et l'Afghanistan? Non merci, ce n'est pas notre affaire. Pour le fait que les Moyen-Orientaux continuent de blâmer l'Occident pour résoudre leurs problèmes, il écrit eux seuls « peuvent décider si et comment utiliser cette opportunité qui se présente alors que, dans un intervalle de leur histoire moderne troublée, elle reste ouverte. »
Mr. Lewis a écrit son premier article publié en 1936. Maintenant, à la veille de son 80e anniversaire plus tard ce mois-ci[Bernard Lewis est né le 31 mai 1916 (NDLT), il a écrit la touche finale à sa longue carrière, traitant dans les grandes lignes des tas de sujets à propos desquels il a déjà écrit en détail. Le lecteur peut maintenant bénéficier de cette vie d'étude dans les pages d'un livre unique.