Trois incidents relatés par Amir Taheri dans sa biographie passionnante et instructive, L'Esprit de Dieu (Adler et Adler, 349 pages, 18,95 $), résument la carrière politique de l'ayatollah Ruhollah Khomeini.
En 1930, lorsque M. Khomeiny avait 28 ans et n'était qu'un mollah (dignitaire religieux) ayant une position sociale mineure, il traversa la petite ville iranienne de Semnan. Le fait que les membres de la foi Bahai pratiquent ouvertement leur religion, choqua Mr. Khomeini, car il considérait le bahaïsme comme une abjuration de l'Islam et par conséquent illégale. Révoltée par cette impudence, Mr. Khomeini essaya d'organiser un mouvement anti-bahaï à Semnan. Il ne l'obtint nulle part, mais cet incident lui valut le sobriquet de «fauteur de trouble», sous lequel il continua à être connu jusqu'à ce qu'il devienne dirigeant de l'Iran 49 ans plus tard.
Le second incident se produisit en 1945, lorsque Mr. Khomeini fut envoyé par l'ayatollah chef suprême de l'Iran pour rencontrer le shah pour la première fois. Le shah fit attendre Mr. Khomeini 10 jours pour une audience, puis il arriva avec une demi-heure de retard pour la réunion. Mr. Khomeini riposta en restant assis en présence du Shah. Prévue pour 15 minutes, l'audience ne dura que la moitié de ce temps; comme l'un des compagnons de Khomeiny a expliqué, ce fut « la haine, dès la première fois. »
Le troisième incident eut lieu juste après le retour de Mr. Khomeini en Iran en 1979 en tant que dirigeant du pays. Un de ses premiers ordres fut de censurer les photos de lui en train de sourire, au motif que cela lui donnait l'air pas sérieux. Mr. Khomeini expliqua plus tard: « Un régime islamique doit être grave dans tous les domaines Il n'y a pas de blagues dans l'islam. Il n'y a pas d'humour dans l'islam . Il n'y a pas d'amusement dans l'islam »
Anti-Bahai, anti-Shah, anti-humour, Mr. Khomeini déteste aussi les Juifs, les chrétiens et les musulmans qui comprennent l'islam comme une religion humaine, tolérante. Il déteste à la fois l'Union soviétique («un camp de concentration") et les Etats-Unis ("un bordel à l'échelle universelle"). Il déteste presque toutes les importations occidentales, de l'idéologie à la musique, parce qu'il les considère comme destructrices de l'Islam.
Mr. Taheri, un éminent journaliste iranien qui vit maintenant en exil, montre que l'ayatollah avait déjà adopté ces opinions extrêmes dans les années 1920 et il les a conservées, pratiquement inchangées, durant les six décennies qui ont suivi. En conséquence - et Mr. Taheri souligne à juste titre ce point - le fauteur de troubles a occupé une position marginale dans la politique iranienne durant la plus grande partie de sa vie. En désaccord avec les efforts du shah visant à l'occidentalisation, Mr. Khomeini passa quelque temps en prison et 15 ans en exil, en apparence un perdant anachronique. Aussi tard qu'en 1975, il avait si peu d'importance que le Shah pouvait hausser les épaules: «Khomeiny ? Personne ne le mentionne plus en Iran, à l'exception, peut-être, des terroristes. »
Mais toutes ces années en marge du pouvoir ont servi de leçons à Mr. Khomeiny, leçons qu'il a appliquées avec brio pour tracer son chemin vers le pouvoir de 1977 à 1979. Dans un passage pénétrant, Mr. Taheri explique la stratégie de "diriger à partir de l'arrière" que Mr. Khomeini a adoptée. Pour empêcher ses agents - pour la plupart des mollahs - de tomber entre les mains de la police, Mr. Khomeini ordonnait à ses partisans de faire semblant de soutenir les leaders de l'opposition laïque. Enchantés de cette attention inattendue, ces dirigeants se laissaient emporter par leur propre importance, et se retrouvaient vite en prison. Pendant ce temps, les disciples de Mr. Khomeini restaient libres.
Le pilotage par l'arrière avait un autre avantage essentiel. La majorité des Iraniens, qui n'étaient pas d'accord avec l'objectif d'une République islamique qu'avait Khomeyni, ont été trompés en pensant que lui et les mollahs étaient de simples figures de prestige qui reviendraient à leurs mosquées après la chute du shah. Il a fallu plusieurs années aux Iraniens pour réaliser pleinement que les mollahs au pouvoir étaient déterminés à mettre en œuvre la vision radicale de Mr. Khomeini.
Cette vision est en partie exposée dans un livre de Mr. Khomeiny publié en 1961. Le livre a été traduit en anglais récemment par J. Borujerdi, sous le titre Une clarification des questions (Westview Press, 432 pages, 32 $). La plupart des réponses de Mr. Khomeiny à environ 3000 questions sont très proches de celles données par d'autres ayatollahs, et traitent de questions non politiques telles que les rituels de pureté, les prières, le jeûne, l' aumône et le partenariat d'affaires.
Mais Une Clarification donne aussi un aperçu direct et inquiétant sur la conception qu'a le dirigeant iranien sur les questions plus sensibles, tels que le statut des femmes et des non musulmans. En ce qui concerne l'éducation des femmes, M. Khomeini écrit qu'une femme peut poursuivre ses études à moins que cela ne nécessite qu'elle se mêle aux hommes étrangers. Sur la question des non musulmans, il dit qu'il est honteux pour les musulmans de travailler sous l'autorité des juifs. Et les Bahaïs qui refusent de renoncer à leur religion doivent être exécutés.
Malgré ses 80 ans , l'ayatollah Khomeiny reste l'extrémiste au sein de son gouvernement radical, le promoteur d'une réforme drastique, même au prix d'importants bouleversements. La situation en Iran aujourd'hui ressemble un peu à celle de la Chine il y a une décennie. Mr. Khomeini, comme Mao Tsé-toung, est seul, gardant son pays dans la tourmente parce qu'il craint qu'une accalmie dans la révolution signifie la fin de ses réalisations. Tout comme la mort de Mao a rapidement fait dévier vers la modération, il est ainsi probable que la disparition de Mr. Khomeini conduira à un retour à la normale en Iran.