Si on retourne un siècle en arrière, les voyageurs écrivaient de nombreux livres sur le Moyen-Orient publiés aux États-Unis. Ils obéissaient à un schéma stéréotypé: le voyageur se rend dans les grandes capitales des régions (Istanbul, Le Caire) sur le chemin de Jérusalem ; il est consterné et horrifié par les conditions de vie des indigènes, il revient en toute sécurité à son domicile, plus sage et rendu meilleur par ses efforts . Quelles que soient leurs limites, ces récits de voyage avaient le triple mérite d'être généralement instructifs, bien écrits et intéressants.
Aujourd'hui, le voyageur amateur au Moyen-Orient n'a plus un marché pour ses récits . Le journaliste professionnel l'a remplacé. Curieusement, le nouveau genre ressemble à l'ancien de plusieurs façons. Il a pour but d'édifier et de divertir le lecteur confiné à la maison. Il contient de la couleur locale et de piquantes conversations. Il a un programme bien établi, il mélange des matériaux originaux (interviews et impressions personnelles) avec des matériaux de seconde main (versions abrégées, analyses politiques).
Mais le nouveau genre est beaucoup plus difficile à réaliser, et seuls quelques écrivains remarquables réussissent l'exercice. V.S Naipaul a écrit un classique du genre avec son livre de 1981, parmi les croyants. Thomas L. Friedman a réussi un best-seller De Beyrouth à Jérusalem de 1989. Mais la plupart des efforts sont voués à l'échec. Le compte-rendu de Jonathan Randal en 1983, Going All the Way: christian Warlords, des aventuriers israéliens, et la guerre au Liban est tout aussi mauvais que les titres le laissent entendre. Charles Glass a peut-être écrit le pire du genre en 1990 « Tribes with Flags » [littéralement « tribus avec des drapeaux » [NDLT)].
Maintenant Milton Viorst, un journaliste qui a voyagé ces dernières années au Moyen-Orient pour The New Yorker, tente sa chance en tant que journaliste voyageur. Il ne résiste guère mieux que Randal ou Charles Glass. Pour sûr, son châteaux de sable montre un talent de journaliste compétent. Il peut relever une citation surprenante (un habitant de Gaza lui a dit: «Les Arabes disent qu'ils sont nos amis, et nous traitent pire que ne le font les Israéliens") et il peut écrire de manière incisive (le président Hafez al-Assad de Syrie est un homme pour qui « un air mystérieux est une affaire d'Etat »). Mais une formule originale ne sauve pas un livre bourré de prétention, d'erreurs factuelles, d'incompréhension culturelle, et de partialité politique.
La prétention commence par le sous-titre: en quelque sorte, Viorst se flatte en faisant croire que quelques voyages au Moyen-Orient et quelques entretiens avec des gros bonnets lui donnent une base pour l'interprétation de l'expérience arabe avec la modernité. Pour lui il n'estime pas nécessaire le long travail pénible consistant à consulter les nombreuses analyses scientifiques sur cette question, pas nécessaire de vivre dans la région, ou consacrer des années à étudier la langue arabe. Eh bien, il n'est guère besoin de souligner que la pensée de Viorst sur ce sujet est aussi superficielle que ce qui en dérive.
Quant aux erreurs de fait, Viorst en commet sur l'histoire ancienne (nom inexact, par exemple, de l'un des petits-fils du prophète Mahomet cité comme Abbas, alors que c'était en fait Hassan). L'histoire actuelle est encore plus un fiasco. Jimmy Carter a énoncé la doctrine Carter pas en 1981, comme l'affirme Viorst, mais en 1980: la rébellion d'Abu Musa contre Yasser Arafat n'a pas eu lieu en 1982, mais en 1983. Les troupes irakiennes ont envahi le Koweït non pas le 1er août 1990, mais le 2 août. La doctrine du parti Baath ne comprend pas les Kurdes, seulement les arabophones.
Pire encore sont les erreurs qui font douter que Viorst gardait les yeux ouverts en voyageant. Comment un visiteur qui est allé plusieurs fois à Damas peut-il affirmer que le président Assad a « évité la création d'un culte de la personnalité »? En fait, la représentation d'El-Assad est omniprésente au sein de la Syrie. Ses portraits ornent les bureaux du gouvernement, les magasins, les maisons privées, les bus et les voitures. Les salles de classe ont plus d'une dizaine de photos du chef. Dehors, des affiches apparaissent partout depuis les carrefours urbains animés jusqu'aux tranquilles routes rurales, alors que des images héroïques de lui souhaitent la bienvenue aux voyageurs des villes syriennes. Festivals, fêtes et campagnes électorales fournissent la toile de fond pour une louche supplémentaire de portraits d'Assad. Les conducteurs de taxis exhibent des décalcomanies avec un coeur rouge à côté d'une image de leur président. Asad a des portraits sur les immeubles de cinq étages, des statues énormes de 20 pieds de haut et des portraits minuscules; son image taillée apparaît même parmi les morceaux de viande exposés dans les boucheries. Ce n'est pas un culte de la personnalité?
« Châteaux de sable »contient des passages illogiques. Nous apprenons à un endroit que Asad n'a fait face à aucun défi à son autorité depuis 1970; sept pages plus loin, Viorst rapporte sur le carnage à Hama en 1982 que cela a résulté précisément d'un tel défi. À la page 330, Viorst nous dit que les Irakiens ont critiqué ouvertement Saddam au printemps de 1991; deux paragraphes plus tard, il observe que la peur des Irakiens de la police secrète est restée toujours aussi grande. Est-ce que cet auteur relit jamais ses notes?
Sur la politique, Viorst trahit une perspective bien trop familière dans son compte-rendu: il s'en prend aux alliés de l'Amérique, dépeint nos adversaires favorablement. Son chapitre sur la Turquie (généralement pas connue comme un pays arabe, mais incluse ici de toute façon) est hérissé de pointes d'antipathie. Il décrit Istanbul (dans une expression échappant aux règles grammaticales) comme la « ville mélancolie» et exploite le mauvais temps lors de sa visite comme une métaphore pour le manque d'attrait de la Turquie. Au Koweït, Viorst grossit chaque petite manie de la famille régnante et insiste avec délectation sur les défauts de la population. Israël, bien sûr, est blâmé pour les décennies de conflit israélo-arabe. Fait révélateur, il raconte ses efforts pour convaincre les Koweïtiens de ne pas être tellement en colère contre les Palestiniens qui sympathisaient avec Saddam Hussein. Ce n'était pas tellement qu'ils haïssaient le Koweït, leur a-t-il expliqué, c'est qu'ils nourrissaient des griefs contre ce qu'il appelle «la préférence qui dure depuis longtemps de l'Amérique pour Israël qui est au-dessus de leur propre cause."
Ce commentaire en dit long sur la vision qu'a Viorst du Moyen-Orient. Il souligne également un autre thème rebattu, déplaisant: celui de blâmer l'Amérique. Viorst rejette comme « vraiment un peu simpliste » l'idée que le personnage méchant de Saddam Hussein a provoqué la crise du Koweït. Il préfère une autre explication, excessivement complexe qui accuse le gouvernement des États-Unis. (Son argument a quelque chose à voir avec Washington signalant aux Koweïtiens qu'il les soutiendrait s'ils avaient des ennuis avec l'Irak pour la surproduction de pétrole.) Mais le passage le plus caustique qui résume les opinions politiques désespérément à la mode de l'auteur est celui dans lequel il nous raconte comment Saddam Hussein lui rappelle Richard Nixon! Toute personne qui établit cette comparaison se disqualifie automatiquement comme mon guide pour « les Arabes à la recherche du monde moderne. »
En fait, pas grand-chose a changé depuis le XIXe siècle ; comme à l'époque de Mark Twain [écrivain américain né en 1835, auteur des « Aventures de Tom Sawyer » (NDLT)], nous continuons d'envoyer des innocents à l'étranger.