Comme le pétrole, la révolution et la guerre attirent de plus en plus l'attention sur le golfe Persique, des articles et des livres sur la région jaillissent en Occident. Pour la plupart, ils sont rédigés par des experts improvisés en l'espace d'une nuit, ou des flagorneurs, des auteurs entravés par l'ignorance profonde des coutumes exotiques et obnubilés par la perspective de devoir partager l'immense richesse de la région s'ils disent ce qui est vrai. Selon les propres mots de Kelly, «une interminable procession de sages, d'oracles, de sophistes et de faux scientifiques» épiloguent sur le Golfe "avec toute la perspicacité d'un bédouin arabe discutant des points les plus subtils de la Constitution des États-Unis."
Même si la compétition n'était pas si lugubre, le livre de JB Kelly se distinguerait comme un chef-d'oeuvre. Mr Kelly a de vastes connaissances, un style d'écriture forte et une vision politique claire, et il a écrit une grande étude, sage, et pleine de colère. Des excès occasionnels peuvent être trouvés dans son travail, mais ils ne nuisent pas à ses principaux thèmes qui réussissent à détruire les mythes du Golfe et à alerter l'occident sur le cours tragique dans lequel il est actuellement engagé. Kelly soutient que la politique des pays du Moyen-Orient envers l'Occident est motivée par une haine profonde pour l'Europe et par l'espoir que leur nouvelle richesse et puissance leur permettront de le vaincre. "Les actions des Arabes et des Persans, avant, pendant et depuis 1973, si elle sont replacées dans leur contexte historique, religieux, racial et culturel, n'aboutit à rien de moins qu'à une tentative audacieuse de mettre l'Occident chrétien sous le pouvoir de l'Orient musulman."
L'utilisation du pétrole comme une arme exprime ainsi «les sentiments puissants de griefs et de ressentiment contre l'Occident chrétien [qui a été ] longtemps caressé par les Arabes, qui se jugent eux-mêmes un peuple élu, le référentiel de la vraie foi, la race du Prophète , à qui la Providence a ordonné de recevoir la soumission des autres.» Contrairement à ce déferlement de confiance et d' 'agression musulmanes, l'Occident a perdu son sang-froid et le sens du but.
Ce déclin a commencé il y a déjà plusieurs décennies: «l'effondrement des empires européens en Asie et en Afrique était dû moins à la puissance des forces anticolonialistes qu'au travail de sape des puissances européennes [pour briser] une volonté commune de se prononcer» Cette «volonté de régner» s'est complètement effondrée au moment où la Grande-Bretagne s'est retirée d'Aden en 1967 et des États de la Trêve [groupe d'émirats dans le golfe persique sous protectorat britannique. La trêve signifiait l'arrêt de la piraterie contre les navires britanniques. (NDLT)] en 1971- deux événements peu connus, mais significatifs.
Aden et les États de la Trêve étaient, les deux, des régions primitives qui avaient longtemps bénéficié d'une protection britannique souple qui avait laissé la vie locale presque intacte. Dans chaque cas, ce sont des forces de l'extérieur qui voulaient que les Britanniques quittent: à Aden, des travailleurs migrants; dans le Golfe, les gouvernements saoudien, irakien et iranien. Dans un contraste saisissant, le peuple et les dirigeants de ces deux régions voulaient que les Britanniques restent.
Une indication de ceci se trouve dans le fait que les sultans d'Aden qui ne fuyaient pas leur pays d'origine assez rapidement après le retrait de 1967 furent assassinés, et par le fait que lorsque les Britanniques se plaignirent de la dépense occasionnée par le maintien de forces dans le Golfe, plusieurs cheikhs des Etats de la Trêve avaient offert de rembourser la Grande-Bretagne pour ses efforts, une somme tout à fait dérisoire, sans comparaison avec la valeur du pétrole dans la région.
Pourtant, les Britanniques ont persisté dans l'abandon de leurs engagements dans le Golfe. Comme le dit Kelly, «C'était ... une trahison de la confiance placée dans la fermeté britannique, une renonciation de responsabilités reconnues à une puissance impériale envers ses sujets." En d'autres termes, «une trahison de tout ce que (la Grande-Bretagne) avait fait et établi dans la région depuis 150 ans." Ce, malgré la valeur incalculable d'Aden pour le contrôle de la mer Rouge et l'océan Indien, et la possession par le Golfe des matières premières les plus précieuses du monde.
Les nerfs qui ont lâché peuvent seuls expliquer un tel retrait joyeux. Et comme la Grande-Bretagne il y a une décennie, l'Occident d'aujourd'hui répond par l'indécision et l'apaisement aux ennemis qui sont déterminés à nous appauvrir, à nous immobiliser, et enfin à nous dominer. Kelly dénonce les politiques de l'Occident pour leur amoralité et leur nocivité et fait retomber sur elles la faute de toutes les «tristes conséquences» du boom de l'OPEP [Organisation des pays exportateurs de pétrole (NDLT)]
de l'échec des puissances occidentales à être derrière les compagnies pétrolières quoi qu'il arrive dès les premiers mois de 1970, à arrêter Kadhafi en étant sur ses traces durant l'été de cette année, à crever la bulle d'illusions insensées du shah au sujet de son propre pouvoir et ses conséquences, à aider les entreprises à obtenir la haute main sur l'OPEP à Téhéran au début de 1971. Les entreprises ont perdu la compétition, non pas parce que leurs adversaires étaient plus forts, mais parce que leurs propres gouvernements étaient indécis et affaiblis par leur propre désunion.
Bien que l'Occident ait déjà perdu beaucoup - son contrôle sur Aden et le Golfe laissé aux potentats locaux, sa richesse en pétrole laissée aux producteurs de pétrole–il lui en reste assez entre les mains pour sauver la situation. Notre position stratégique peut être maintenue en tenant fermement Oman ; le problème du pétrole peut être résolu en brisant le cartel: «Il y a ..un seul moyen de faire face aux excédents [de richesse] de l'OPEP, et c'est de les réduire à des marges limitées- sinon à les effacer complètement- par la rupture de l'entente et en poussant à la baisse du prix du pétrole. Tous les autres expédients conçus pour absorber les excédents demandent à être prouvés, et quand ils sont prouvés ils s'avèrent inefficaces.» La période des empires a pris fin à la suite de la Seconde Guerre mondiale, suivie par une génération de rétractation et de retrait ; Kelly présente une argumentation étonnamment nouvelle pour l'ère post-impériale ; les Européens et les Américains peuvent encore renverser la tendance qui menace de les submerger. Ils ont besoin seulement de se débarrasser de leur culpabilité et de leur sentiment d'inutilité et une fois de plus se réaffirmer sur la scène mondiale. S'ils décident de le faire, personne ne peut les arrêter. Et de tels mouvements seraient bénéfiques non seulement pour eux, mais aussi pour les nombreux peuples du monde pillés par leurs propres dirigeants.
Deux autres excellentes caractéristiques de ce livre méritent d'être mentionnées. Tout d'abord, l'ouvrage contient dans les chapitres trois à six le plus beau compte-rendu en version imprimée de l'histoire interne de l'Arabie et du golfe, ce qui donne vie à des endroits comme Oman et le Koweït. Moi-même, qui suis historien du Moyen-Orient, j'ai trouvé les informations sur chaque page presque toutes nouvelles ; je serai enfin en mesure de faire face s'agissant de la différence entre Abu Dhabi et Dubaï ; qu'on s'en réjouisse ou non, c'est là une connaissance de plus en plus importante.
Deuxièmement, Kelly écrit avec une plume féroce, mais acérée. Deux exemples, pris presque au hasard, peuvent donner une idée de sa prose splendide. En ce qui concerne l'aide étrangère, tant vantée, donnée par les Etats de l'OPEP:
Pour repousser l'envie ou la critique parmi leurs collègues des gouvernements arabes (et ceux du monde afro-asiatique au sens large), ils ont fait toute une histoire à propos des sommes qu'ils donnaient comme aumône aux pays dans le besoin ou à des causes dignes d'être défendues, mais seulement à la hâte ils ont revu leurs estimations exagérées à la baisse quand ils ont trouvé toute la racaille et la canaille d'Asie et d'Afrique battre le pavé devant leurs portes, mendiant en tendant leur bol.
En ce qui concerne les régimes arabes radicaux:
Leur bel idéal du gouvernement n'est pas la vision douce et noble qui leur est attribuée par les Occidentaux crédules, des législatures élues au suffrage populaire honoré par les figures graves et dignes de tant de Cicéron, Scipion et Gracques orientaux. Au contraire, leurs parangons de vertu politiques sont les oligarchies qui s'auto-perpétuent et les politburos du genre de ceux qui gouvernent à Bagdad, Tripoli et à Aden, composée d'hommes au visage de pierre et vulpin, soutenus par l'usage des appareils de torture, et animés par un mélange de bigoterie virulente marxiste et de fanatisme musulman.
Par-dessus tout, cependant, à un moment où la position de l'Amérique et de l'Europe au Moyen-Orient ne s'est jamais présentée aussi mal, le livre de Kelly se distingue par l'information unique et précise qu'il fournit sur la zone la plus critique du monde, et par le plaidoyer claironnant de l'auteur adressé à l'Occident pour que fondamentalement il réévalue ses relations avec les pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient avant que la possibilité de le faire ne soit irrémédiablement perdue.