Tous les gouvernements qui comptent dans le monde ont condamné la tentative de coup d'État en Turquie, à l'instar des quatre grands partis représentés au parlement turc ainsi que du chef religieux, Fethullah Gülen, accusé d'avoir été à l'origine du coup d'état avorté.
Autant de réactions qui me donnent l'impression d'être un peu seul, moi qui avais tweeté vendredi, peu après le début du soulèvement : « #Erdoğan a volé les récentes élections en #Turquie et gouverne de façon despotique. Il mérite d'être chassé par un coup d'État militaire qui, je l'espère, réussira. »
Tweet de Daniel Pipes soutenant le coup d'État militaire alors en cours en Turquie. |
Cette prise de position étant quasi-unique, une explication de plus de 140 caractères s'impose. Trois raisons motivent mon soutien à l'éviction, par ce qui semble constituer les forces de la réaction, d'un président qui a été élu et gouverne sous des apparences démocratiques, Recep Tayyip Erdoğan :
Erdoğan a volé les élections. Erdoğan est un islamiste qui s'est d'abord fait un nom, tant comme maire d'Istanbul que comme Premier ministre, en respectant les règles du jeu démocratique. Puis, au fil du temps, il a de plus en plus dédaigné ces règles, particulièrement celles en matière électorale. Il a établi son monopole sur les médias d'État et a encouragé tacitement les agressions physiques à l'encontre de membres de partis adverses. Il a en outre volé les élections. À cet égard, le dernier scrutin national, qui s'est tenu le 1er novembre 2015, a montré, plus encore que les scrutins précédents, de nombreux signes de manipulation.
Erdoğan gouverne de façon despotique. Pas à pas, Erdoğan a établi son contrôle sur différentes institutions et ce, même depuis son accession, il y a deux ans, à la présidence de la république, une fonction qui pourtant est historiquement et constitutionnellement non politique. Résultat : une part sans cesse croissante de la population turque travaille sous son contrôle direct ou sous celui de ses laquais : le Premier ministre, le gouvernement, les juges, la police, les enseignants, les banquiers, les patrons des médias ainsi que d'autres dirigeants du monde des affaires. Si le commandement militaire a courbé l'échine devant Erdoğan, la récente tentative de coup d'État confirme néanmoins que le corps des officiers demeure la seule institution échappant jusqu'ici à son contrôle direct.
Erdoğan utilise ses pouvoirs despotiques à des fins pernicieuses, répandant ce qui est devenu une véritable guerre civile contre les Kurdes du sud-est de la Turquie, fournissant son aide à l'EI, agressant ses voisins, et se faisant le promoteur de l'islamisme sunnite.
Les affrontements entre Kurdes et forces de police ont fait de nombreux dégâts dans le quartier de Gazi, à Istanbul. |
Les interventions antérieures de l'armée se sont avérées efficaces. La Turquie est le pays où les coups d'État militaires ont eu les effets les plus positifs. Lors des quatre coups qu'a connus la Turquie moderne (1960, 1971, 1980, 1997), le commandement général a toujours eu une conscience disciplinée de son rôle – redresser la barre et remettre l'État sur les rails. Leur gouvernement par intérim a duré respectivement, 5 ans, 2 ans et demi, 3 ans et 0 jour.
La Turquie bénéficierait à présent d'une période de réajustement par l'armée qui aurait mis fin au pouvoir toujours plus encanaillé d'Erdoğan même s'il avait fallu pour cela accepter son remplacement par des personnalités islamistes plus raisonnables issues de son propre parti comme Abdullah Gül ou Ali Babacan.
Pour reprendre les termes mémorables de Çevik Bir, l'un des maîtres d'œuvre du coup d'État de 1997 : « La Turquie est le pays du mariage de l'islam et de la démocratie. L'enfant de ce mariage est la laïcité. Or il se fait que de temps à autre, cet enfant tombe malade. Les Forces armées turques interviennent alors comme le médecin qui agit pour sauver l'enfant. » Cet enfant est aujourd'hui très malade et a besoin d'un médecin. Cette fois malheureusement, le médecin a été empêché d'agir. On ose à peine imaginer l'ampleur avec laquelle la maladie va à présent se propager.
Le général Çevik Bir m'offrant un souvenir au quartier général de l'armée turque à Ankara, en 1997. |
On a déjà une petite idée de ce à quoi la situation va ressembler : 6.000 Turcs ont déjà été arrêtés, près de 3.000 juges et procureurs ont été limogés et les relations avec Washington ont pratiquement atteint un niveau de crise depuis qu'Erdoğan a demandé l'extradition de Gülen [exilé aux États-Unis depuis 1999, NdT]. Les certitudes qui prévalaient par le passé ont laissé la place à un avenir plus incertain que jamais.
En conclusion, je renouvelle ce que j'avais déjà prédit : la chute d'Erdoğan interviendra probablement sur le terrain étranger. En appliquant aux relations internationales l'attitude belliqueuse qui lui réussit si bien sur le plan intérieur, Erdoğan finira probablement par tomber, une fois qu'il se sera montré d'une agressivité telle que celle-ci se retournera contre lui. Alors, et après avoir payé le prix fort, la Turquie sera enfin débarrassée de ce mégalomane.