L'abandon par l'armée, le 19 mars, de tous les chefs d'accusation prononcés contre le capitaine des forces armées américaines James («Yousef») Yee – y compris ceux d'espionnage, de mutinerie, de sédition et d'aide à l'ennemi – est critiquée par d'autres membres du groupe d'assesseurs du tribunal militaire chargé de juger les cas d'espionnage comparables. L'un d'entre eux souligne que l'aumônier Yee est lié à une organisation faisant actuellement l'objet d'une enquête et qu'il exerça à la base de Guantánamo des activités très douteuses, concluant que «l'armée a eu une hésitation». La sanction du capitaine Yee s'est limitée à une simple réprimande.
Il reste néanmoins trois autres cas judiciaires traitant de Guantánamo et d'espionnage: (1) Ahmad F. Mehalba, un interprète civil accusé d'avoir menti à propos des cédéroms trouvés dans ses bagages et contenant des informations confidentielles provenant de Guantánamo; (2) le colonel de réserve Jack Farr, accusé d'avoir transporté des documents secrets de manière inappropriée et d'avoir menti aux enquêteurs; et (3) le caporal des forces aériennes Ahmad I. al Halabi, à qui est consacré le présent article.
Le caporal des forces aériennes Ahmad Al Halabi sous escorte à l'issue de sa comparution, mardi 13 janvier, à la base aérienne de Travis. Associated Press/Marcio Jose Sanchez
Halabi, un interprète de 25 ans d'origine syrienne, affirme avoir été naturalisé citoyen américain après avoir rejoint les forces aériennes, en janvier 2000, mais ce fait est contesté. Il travailla neuf mois durant comme interprète de langue arabe à Guantánamo et fut arrêté le 23 juillet 2003 à l'aéroport militaire de Jacksonville, alors qu'il se rendait en Syrie pour y célébrer son propre mariage. Lors de son arrestation, il transportait 186 documents classés secrets enregistrés sur son ordinateur portable.
Les 32 chefs d'accusation retenus contre lui et rendus publics en septembre 2003 comprenaient onze cas d'infractions à des dispositions légales générales, trois cas d'aide à l'ennemi, quatre cas d'espionnage, neuf cas de faux témoignage et d'autres de fraude bancaire et de violation de la loi fédérale sur l'espionnage. Plus précisément, il a été accusé d'avoir:
- téléchargé des documents classés secrets sur son ordinateur portable personnel;
- établi des contacts illégaux avec l'ambassade de Syrie à Washington;
- omis de signaler des communications non autorisées entre les soldats américains et les détenus;
- transmis par e-mail en Syrie des informations concernant les plans de vols de la base;
- tenté de fournir à des tiers des informations sur les détenus de Guantánamo; et
- collecté 180 messages de la part de ces détenus avec l'intention de les livrer à des ennemis.
La majorité des charges concernent des renseignements classés secrets (et leur formulation laisse supposer que, dans la plupart des cas, al Halabi n'est pas parvenu à livrer ces informations), mais trois autres inculpations ont de quoi faire dresser l'oreille. CNN décrivit ces trois chefs d'accusation comme suit:
L'un accuse al Halabi d'avoir fourni des aliments interdits, notamment des baklavas, aux détenus. Un autre accuse al Halabi d'avoir «exécuté des manuvres» auprès de sept banques visant à obtenir des crédits en fournissant des informations inexactes. Un troisième accuse al Halabi d'avoir nié posséder toute connaissance du wahhabisme, alors que cette «déclaration était totalement fausse». (...) La nature du lien entre le wahhabisme et l'espionnage, si tant est qu'il en existe un, n'est pas élucidée.
En janvier 2004, les forces aériennes abandonnèrent plusieurs des principaux chefs d'accusation, y compris celui d'«aide à l'ennemi», le seul pouvant motiver la peine capitale. Les autres chefs d'accusation écartés concernaient l'envoi par e-mail d'informations sur les détenus de Guantánamo et la transmission de renseignements à des destinataires non autorisés. Halabi doit maintenant encore répondre de 17 chefs d'accusation. La cour martiale qui devrait se tenir dès le 27 avril 2004 à la base des forces aériennes de Travis, au nord de la Californie, pourrait l'envoyer en prison pour le restant de ses jours.
Pendant l'instruction en cour martiale, les représentants militaires de l'accusation révélèrent que Halabi faisait également l'objet d'une enquête séparée, menée par les services de contre-espionnage, et qu'il pourrait avoir à faire face à d'autres chefs d'accusation.
(Pour compliquer encore les choses, l'on apprend que Marc Palmosina, un agent des services spéciaux des forces armées qui travaillait sur le cas Halabi, a été placé en examen pour avoir violé les règles de traitement des documents classés secrets puis a été écarté de l'affaire.)
Devant la cour martiale, Halabi prétendra probablement avoir ignoré que les documents étaient secrets. Mais ce sera difficile à démontrer vu qu'il avoua l'inverse précédemment aux enquêteurs et qu'il s'est également envoyé 60 pages de documents secrets par courrier postal à son domicile de Californie.
Et puis, il y a un autre élément de preuve, que je révèle ici et qui se trouve sur le site Internet personnel de Halabi, à http://www.geocities.com/ahmad564/ (geocities.com est un service d'hébergement gratuit, de sorte que ce site pourrait rester indéfiniment accessible, malgré l'incarcération de son détenteur).
Ce site contient divers éléments auxquels Halabi porte un intérêt. Il affiche les nouvelles en provenance des États membres de la Ligue arabe, les heures de prière islamique, des images de vedettes de musique pop arabe, d'avions et autres.
Et puis, il y a quelques objets plus intéressants. Ainsi, en cliquant sur la lettre «r» du mot «SrA/USAF», du côté gauche de la page, on accède à un lien secret menant à une page cachée plutôt romantique avec des fleurs, plusieurs images d'une femme et cet avertissement:
Cette page est privée et réservée à RANA DALI
Sa visite requiert une autorisation
Depuis là, un clic sur «Go to Ahmad's Picture in Cuba» conduit à trois pages d'images de Halabi.
- La première contient des images prises au domicile du capitaine Yee, avec en haut de page un monogramme, ou tughra, signifiant «Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux».
- La deuxième page affiche des prises de vue de style militaire montrant Halabi au Koweït – des images normales si l'on fait abstraction de la présence troublante du drapeau syrien flottant en haut de page.
- La troisième semble être consacrée exclusivement aux Musulmans, avec des légendes telles que «Réunion lors de la fête du Ramadan», «Fête du Ramadan, 6 décembre 2002. De droite à gauche: Ahmad, Tabasom, Katib, Chaplin Yousif et Ahmad» et «Sur le ferry de droite à gauche: Rabi, Tony, Bahlawan, Tariq et Ahmad». Cette page porte la tughra et le drapeau syrien.
Prise de vue par Ahmad al Halabi de ses collègues militaires célébrant l'Eid al-Fitr (NdT: fête marquant la fin de la période de jeune diurne du Ramadan) à Guantánamo, le 6 décembre 2002.
Lors des débats préliminaires, les représentants de l'accusation déclarèrent que quelqu'un avait accédé au site de Halabi et en avait modifié le contenu alors que lui-même subissait une audition préliminaire. Les talents informatiques de Halabi constituent l'un des motifs pour lesquels son incarcération pourrait être étendue à toute la durée de l'instruction. Ou, selon les termes du juge militaire, le colonel Barbara Brand, «ses prouesses informatiques restent une menace».
Le site Web de Halabi suscite deux réflexions. D'abord, Halabi semble disposer d'un savoir-faire en informatique suffisant pour avoir transmis des informations sans que les autorités américaines aient pu s'apercevoir de ce qu'il faisait.
Ensuite, selon le mandat de perquisition établi pour accéder à son courrier, Halabi «fit des déclarations critiquant l'attitude des États-Unis à l'égard de ses détenus ainsi que la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient», puis mentit en niant avoir fait de telles déclarations. Au vu de ses perspectives politiques hostiles et de la présence quasi exclusive d'images d'amis musulmans sur les pages de son site Web, il est permis de douter de la loyauté de Halabi.