JONATHAN MANN, CNN INTERNATIONAL ANCHOR: Sharon a le feu vert. Le président Bush soutient le plan de désengagement du premier ministre israélien Sharon. Les Israéliens quitteront Gaza et se replieront sur certaines zones de la Cisjordanie. Bonjour et bienvenue.
Le leader palestinien Yasser Arafat déclare que la tenue de négociations directes entre les États-Unis et Israël hors de la présence des Palestiniens pourrait empêcher toute progression du processus de paix.
Nous allons parler de cela avec Daniel Pipes, auteur, érudit et directeur du Forum du Moyen-Orient, un laboratoire d'idées promouvant les intérêts des États-Unis dans la région.
Merci infiniment d'avoir bien voulu nous rejoindre.
D'abord, pensez-vous que nous assistons aujourd'hui à un progrès ou à un revers du processus de paix?
DANIEL PIPES, FORUM DU MOYEN-ORIENT: Jonathan, je pense qu'il s'agit-là de la manuvre diplomatique la plus compliquée que j'ai jamais observée en direct. Tant de choses se passent à l'heure actuelle. Je dirais que dans l'ensemble, c'est un pas en avant, mais avec de très, très nombreuses réserves.
MANN: Pouvez-vous nous dire pourquoi vous êtes si circonspect?
PIPES: Et bien, avez-vous une heure ou deux à me consacrer? Il a tant d'aspects à considérer. Les réfugiés, les colonies, les affaires politiques de la région, les relations américano-israéliennes. Mais ce qui ressort le plus nettement des événements que vous avez évoqués, c'est la rencontre entre le président Bush et le premier ministre Sharon, leur envie de travailler ensemble, de laisser de côté la majeure partie de leurs différents pour s'épauler mutuellement, pour soutenir leurs initiatives réciproques et pour déclarer qu'ils vont uvrer ensemble. Comme si le président Bush avait désigné M. Sharon comme son allié dans cette partie du monde qui joue un rôle si décisif.
MANN: Mais les Palestiniens n'auraient-ils pas dû prendre part à ces discussions?
PIPES: Les Palestiniens y ont pris part dans une très large mesure depuis 1993. Rappelons la poignée de mains sur la pelouse de la Maison Blanche ce jour de septembre 1993. Et depuis lors, pendant huit ans, voire davantage, ils y ont pris part. Mais les incessantes violences, et la responsabilité de l'Autorité palestinienne, de Yasser Arafat, dans ces violences, ont conduit les dirigeants américain et israélien à admettre que le pouvoir palestinien, sous sa forme actuelle, ne souhaite pas mener des négociations de quelque forme que ce soit, qu'il souhaite détruire Israël, qu'il préfère utiliser la force plutôt que la diplomatie pour mettre fin au conflit. Et, en conséquence, qu'il n'est plus un partenaire approprié, et qu'il vaut donc mieux l'exclure du processus pour le moment.
MANN: N'avons-nous pas un cercle vicieux ici? Les États-Unis et Israël excluent le pouvoir palestinien en raison de ce qu'ils considèrent comme des liens avec les extrémistes et, partant de là, ils prennent des mesures, comme celles annoncées aujourd'hui, susceptibles d'exaspérer les extrémistes et de saper le moral des modérés au sein de la communauté palestinienne, ce qui améliore d'autant la position des extrémistes.
PIPES: On pourrait dire le contraire également. Je pense que l'issue inverse est plus vraisemblable.
Lorsque les Palestiniens verront que la violence ne sert pas leur cause, qu'ils sont maintenant beaucoup plus éloignés de l'instauration d'un État palestinien qu'il y a trois ans et demi, leur enthousiasme pour les actes de violence va s'émousser. Cette évolution me semble plus plausible. De même, il est intéressant de noter que la violence s'est accrue au cours des échanges diplomatiques. Je pense que les Palestiniens doivent comprendre qu'on ne peut pas mener de front un effort diplomatique et des actes de violence. Il faut faire un choix, c'est l'un ou l'autre.
MANN: À propos de choix, le président semble lui aussi tenter de pratiquer deux politiques apparemment contradictoires. L'une consiste à continuer de promouvoir le projet d'État palestinien. L'autre est de soutenir l'établissement, ou peut-être devrais-je dire l'existence, de colonies juives florissantes et grandissantes en Cisjordanie. Peut-on faire les deux? Israël peut-il avoir les deux – un État palestinien pacifique avec des colonies israéliennes en son sein?
PIPES: Certainement. Pourquoi un État palestinien devrait-il être exempt d'Israéliens? Il y a de nombreux Arabes en Israël: 20% environ de la population israélienne est composée d'Arabes. Pourquoi n'y aurait-il des Juifs ou des Israéliens dans un État palestinien? Une fois la paix instaurée, c'est-à-dire lorsque les palestiniens auront admis la présence – durable, permanente – d'Israël et qu'ils auront renoncé à faire usage de la force, alors il sera parfaitement possible que des Israéliens vivent en Cisjordanie, et même à Gaza. Ils n'ont pas besoin de souveraineté. Personne ne souhaite en faire une condition. Mais il est certain qu'ils pourront vivre là-bas. Il n'est pas nécessaire d'évacuer tous les Israéliens pour créer un État palestinien.
MANN: Daniel Pipes, je vous remercie.
PIPES: Merci à vous.