Les Chiffres
Entre dix et quinze millions de musulmans, immigrés et convertis, vivent aujourd'hui [en 2000] en Europe occidentale et aux Amériques. En Europe occidentale, les musulmans sont au nombre d'environ douze millions. Plus de 3 millions de musulmans vivent en France, environ 2 millions en Allemagne de l'Ouest, 1,5 million au Royaume-Uni. Environ un demi-million de résidents musulmans vivent en Italie et aux Pays-Bas, tandis que la Belgique et l'Espagne en accueillent chacune environ 300.000. Un nombre moindre vit en Suède (150.000) et en Suisse (125.000). Dans de nombreux pays d'Europe occidentale, les musulmans ont remplacé les juifs en tant que deuxième plus grande communauté religieuse. Ils sont aussi plus nombreux que les protestants en France, plus nombreux que les catholiques à Berlin, etc.
En Amérique du Nord, les chiffres sont très contestés et vont de minimum un à maximum dix millions. L'American Muslim Council avance le chiffre de 5,2 millions. La plus grande étude à ce jour [en 2000] fait cependant état d'une population musulmane de seulement 1,4 million. [1]
Les femmes constituent un petit pourcentage des populations de la diaspora, une proportion comprise entre un sixième des musulmans dans certains pays et la moitié dans d'autres. En général, leur nombre a augmenté au fil du temps, une fois que les travailleurs masculins ont décidé de rester et qu'une structure communautaire s'est développée.
Les communautés d'immigrés ont tendance à se concentrer dans les zones urbaines et en particulier dans le centre des villes, ce qui donne aux musulmans une grande visibilité. Certaines villes, comme Bradford en Angleterre et Saint-Denis dans la banlieue parisienne, ont une composante musulmane très importante. Mais c'est Dearborn, dans le Michigan, qui compte probablement la plus grande concentration d'immigrés et où 90 % de sa population soit est née dans les pays arabes, soit est issue d'immigrés arabes (dont beaucoup sont bien entendu chrétiens). Pour compléter le tableau, la plupart des non-Arabes de cette ville sont des musulmans noirs convertis.
Immigration
Cette population musulmane a vu le jour au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Avant 1955, le nombre de musulmans vivant en Europe occidentale et en Amérique du Nord était négligeable et se limitait aux rares étudiants, marchands, marins, ouvriers, exilés ou convertis. Leur nombre a commencé à gonfler dans les années 1960, époque qui a été le théâtre de cinq évolutions majeures à savoir, la recherche de nouvelles sources de main-d'œuvre peu ou pas qualifiée par les économies industrielles avancées d'Europe occidentale, l'explosion démographique des pays musulmans avec son lot de chômage et de pauvreté, l'arrivée de très nombreux étudiants musulmans dans les universités occidentales, un flux incessant d'exilés fuyant les troubles agitant les États musulmans nouvellement indépendants (en particulier la répression et les nombreuses guerres) pour trouver refuge dans les pays occidentaux stables et libres, ainsi que la conversion à l'islam d'un nombre important d'Occidentaux suscitée par une certaine évolution de l'Occident (doute existentiel, mariages mixtes, séparatisme).
Les musulmans d'Occident sont principalement originaires d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie du Sud. Un plus petit nombre vient d'autres régions comme les Indonésiens résidant aux Pays-Bas ou les Albanais en Italie. Dans chacun des trois grands pays européens, on observe la prédominance d'une ethnie musulmane particulière : les Maghrébins (Algériens, Marocains, Tunisiens) en France, les Turcs en Allemagne, les Sud-Asiatiques en Grande-Bretagne. Les Noirs américains convertis dominent aux États-Unis, suivis des Iraniens, des Arabes du Levant, des Sud-Asiatiques et des Africains subsahariens. Ces sept groupes constituent la grande majorité de la population musulmane en Occident.
Changement d'avis sur le séjour
La plupart des immigrants arrivent en Occident avec l'intention de rentrer chez eux assez rapidement et mènent leur vie en conséquence. Concernant la plupart des Palestiniens, Fawaz Turki explique : « L'Amérique est un moyen pour obtenir un diplôme, faire fortune, se faire un nom, acquérir un passeport. Ils ne vont pas en Amérique pour devenir américains. Ils ne le font pas et finissent par découvrir qu'ils ne peuvent pas franchir le fossé qui les sépare de la culture américaine. Les normes sociales, sexuelles et linguistiques libérées de la société américaine sont à l'opposé du climat intérieur de l'âme palestinienne. » [2] Ce constat est également valable pour la plupart des autres immigrants musulmans.
Or, quelles que soient leurs intentions initiales, de nombreux résidents musulmans changent d'avis. Les travailleurs s'habituent à gagner des revenus plus élevés, les étudiants restent après leurs études et les exilés constatent que les troubles qui assaillent leur pays d'origine ne passent pas. Ce qui au départ était un séjour temporaire est devenu dans de nombreux cas, permanent. Vers 1980 en particulier, un grand nombre de musulmans sont passés du statut de migrant à celui d'immigré (les premiers prévoient de rentrer chez eux, les seconds non). Ce qui a incité les États européens inquiets à restreindre l'accès et à proposer des incitants financiers aux résidents de longue durée pour qu'ils rentrent chez eux, sans grand succès. Le nombre de musulmans n'a cessé de croître par reproduction, immigration continue et conversion.
Au Moyen-Orient, certains responsables politiques déclarent voir des signes qui montrent que les problèmes dans le monde musulman sont sur le point de trouver une solution et que les émigrés rentreront donc au pays. Ainsi, le roi Fahd d'Arabie Saoudite a observé que « Certaines communautés arabes en Europe sont peut-être obligées d'y vivre parce que leurs pays ont des problèmes. Je crois que ce problème finira par être résolu. » [3] Il est cependant difficile pour un observateur externe de discerner la raison de l'optimisme du roi.
Attitudes diverses face à la religion islamique
La vie en Occident semble affecter les musulmans de manière contradictoire, une minorité se tournant avec passion vers l'islam qu'une autre partie rejette. Certains islamistes voient l'Occident comme un endroit sûr d'où on peut faire revivre la charia. C'est en effet ce qu'avait à l'esprit une proportion importante - peut-être 10 % - des Turcs ayant émigré en Allemagne. Ironie du sort, ces Turcs utilisent le pluralisme de la société occidentale pour pratiquer un mode de vie anti-occidental illégal chez eux [en 2000], ce qui permet aux islamistes de s'organiser d'une manière qui ne leur est généralement pas permise chez eux. Les circonstances sont idéales : les gouvernements leur prêtent peu d'attention, l'argent abonde, les communications et les transports sont des plus performants. En conséquence, ils ont recruté des dizaines d'agents en Occident, ajouté des dizaines de milliers de nouveaux membres à leurs organisations et collecté des dizaines de millions de dollars. Les États-Unis sont devenus le foyer de pratiquement tous les groupes islamiques radicaux opérant au Moyen-Orient, alors que le magazine égyptien Al-Musawwar qualifie l'Allemagne de « siège international des fondamentalistes. » [4]
Dans le même temps, les populations musulmanes minoritaires voient l'Europe comme un lieu où maintenir leurs traditions culturelles, interdites ou discriminées chez elles, et migrent donc en nombre disproportionné. Les Berbères d'Algérie, qui ne constituent que 20 % de la population algérienne, représentent plus de 50 % (peut-être même plus de 60 %) des Algériens de France. Les Kurdes représentent 20 % de la population turque mais 25 % des Turcs en Allemagne (un nombre d'autant plus impressionnant quand on sait à quel point ils sont plus ruraux). Les alévis (chiites turcs) se rendent plus souvent en Allemagne et y restent plus longtemps. Mais les Berbères et les Kurdes sont généralement de fervents anti-islamistes.
Certains musulmans profitent de l'opportunité de vivre dans un pays non musulman pour mettre leur religion de côté ou même l'abandonner. Symptomatique de cette attitude, un musulman britannique a écrit à un magazine : « Je pense sérieusement quitter l'islam mais quelqu'un m'a dit que je ne pouvais pas. Je pense que c'est idiot et de telles déclarations ne font que renforcer ma détestation de l'islam. » [5] Plus célèbre, Salman Rushdie a annoncé : « Là où Dieu vivait à l'intérieur de moi, il y a maintenant un trou. Je ne suis plus un musulman pratiquant » [6] et « je ne crois pas en l'existence d'un Être suprême extérieur. » [7]
Problèmes familiaux
Les relations entre les sexes sont une question difficile dans l'ensemble des sociétés musulmanes et plus encore en Occident, où les coutumes islamiques sont nouvelles et généralement mal accueillies par la population majoritaire. Le traitement réservé par l'immigré musulman à ses épouses, ses sœurs et ses filles soulève une foule de questions extrêmement délicates. Deux sujets se distinguent par leur importance politique : les femmes musulmanes qui se marient en dehors de la religion et l'enlèvement d'enfants.
Les mariages hors religion de femmes musulmanes. Alors que l'islam permet aux hommes d'épouser des femmes non musulmanes adhérant à des religions monothéistes, et à ces épouses de rester définitivement non musulmanes, il exige que les femmes musulmanes se marient au sein de leur religion. Cela signifie que les familles musulmanes vivant en Occident interdisent souvent aux filles de choisir leur partenaire. Toutefois, ces filles, de plus en plus nombreuses, ont décidé de désobéir aux restrictions parentales. La pression est si intense qu'elles abandonnent parfois complètement leur famille en se convertissant au christianisme, échangeant ainsi la religion de leurs parents contre celle de leur mari. Cet acte radical et irrévocable les rend instantanément indésirables dans la communauté musulmane mais les intègre en même temps complètement dans la société dominante. La ferme opposition de la plupart des hommes musulmans à ce que leurs filles ou sœurs se marient en dehors de la communauté engendre du ressentiment et aboutit parfois à des brutalités, comme le meurtre commis en novembre 1989 (enregistré par inadvertance par le FBI) dans la ville américaine de Saint-Louis, lorsqu'un père palestinien a poignardé sa fille treize fois avec un couteau de boucher alors que sa mère maintenait la fille au sol – un meurtre dû en grande partie au fait que la fille passait du temps avec un jeune noir non musulman.[8]
Enlèvement d'enfants. Toutefois, les femmes musulmanes immigrées ne se marient que rarement en dehors de la religion alors que leurs coreligionnaires masculins usent pleinement de leur liberté pour le faire. D'après une estimation, depuis 1950, plus d'un million d'entre eux ont en effet épousé des femmes occidentales principalement en France et en Allemagne. [9] Ces nombreux mariages ont entraîné de nombreux divorces, certains impliquant des luttes acharnées pour la garde des enfants. Alors que les lois occidentales favorisent la mère, la loi islamique attribue les enfants au père, un élément générateur de luttes âpres et nombreuses.
Pour anticiper le procès devant un tribunal hostile, il arrive régulièrement que les pères musulmans enlèvent les enfants et les emmènent dans leur pays d'origine, bien loin de la portée des lois occidentales. Parmi les nombreux récits bien connus, c'est le récit autobiographique Jamais sans ma fille [10], écrit en 1987 par Betty Mahmoody, une citoyenne américaine mariée à un Iranien, qui a eu le plus grand retentissement. En Europe, Jamais sans ma fille a eu une résonance beaucoup plus grande qu'aux États-Unis : il est devenu rapidement un best-seller et a suscité de nombreux commentaires en Espagne, en France, en Allemagne et en Scandinavie. La version allemande, Nicht ohne meine Tochter, s'est vendue à plus de 4 millions d'exemplaires.
Pour la seule Algérie, les enfants français enlevés se chiffrent à plusieurs milliers. Le trafic est devenu tel que des ravisseurs professionnels emmènent des enfants de France en Algérie et vice-versa. [11] Le collectif de solidarité aux mères d'enfants enlevés, dont le siège est à Paris, exerce une influence politique considérable. À travers l'Occident, des dizaines de milliers d'enfants ont été enlevés et lorsqu'on prend en compte les membres de la famille, ces cas concernent des centaines de milliers de personnes. De plus, la question se répercute bien au-delà des parents et des familles concernées. Elle touche une corde particulièrement sensible dans la psyché occidentale, attise les émotions contre les musulmans, agite l'opinion publique et perturbe même les relations diplomatiques entre les gouvernements français et algérien. [12]
Tensions
Les tensions sont également dues à d'autres problèmes. Du côté musulman, le principal coupable est l'islamisme mais il y a aussi la violence et les scandales financiers. Du côté occidental, le nativisme constitue la menace la plus grande pour la cohabitation.
Islamisme. Les islamistes d'Europe et d'Amérique mettent l'accent sur trois thèmes dont chacun génère des tensions avec la population majoritaire : le séparatisme, l'anti-occidentalisme et le suprémacisme islamique.
Le séparatisme suppose que la minorité demeure hors de la société et vive dans des enclaves protégées où elle parle sa propre langue et gère ses propres institutions. Les islamistes en particulier émettent des revendications séparatistes qui établiraient un apartheid culturel. À l'instar de Khomeiny qui, pendant plusieurs mois en 1978-79, s'est réfugié dans la banlieue parisienne sans jamais mettre les pieds dans la Ville Lumière, certains musulmans optent pour une vie complètement isolée en Occident. Ils restent volontairement ignorants des cultures et des sociétés qui les entourent, créant des îlots de piété islamiste aussi isolés et autosuffisants que possible. Culturellement, les islamistes demeurent des étrangers. Ils n'apprennent que la culture de la rue dont ils ont besoin pour s'en sortir, et même de manière superficielle. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un cas unique (il y a aussi les quartiers chinois, d'Amsterdam à San Francisco), les communautés musulmanes ont une spécificité : elles sont les seules à avoir une idéologie profondément anti-occidentale sur laquelle elles peuvent se rabattre. Aucun autre groupe d'immigrés n'a d'institution comparable aux mosquées islamistes où l'on enseigne que l'Occident est le mal, que les Occidentaux sont impurs et indignes – des idées anciennes et quelque peu abstraites qui acquièrent une nouvelle vigueur quand les musulmans vivent en Europe ou en Amérique.
Certains islamistes nourrissent ouvertement la haine de cet Occident même qui leur offre l'asile politique, la prospérité et la liberté d'expression. Ils donnent de l'Occident l'image d'un porc, pourri jusqu'à la moelle, contrôlé par les croisés, les francs-maçons, les sionistes et d'autres forces sataniques. L'Occident est synonyme de plaisir, qu'il s'agisse de gourmandise ou de promiscuité. « Le sida, la drogue, les maladies vénériennes, l'abus d'alcool et de tabac » sont les « fléaux de la société occidentale moderne ». [13] Les islamistes craignent particulièrement la laïcité qu'ils interprètent comme la source du mal de l'Occident (Muhammad Al-Bahiy, savant égyptien et responsable religieux, a autrefois comparé la laïcité à la « convoitise du ventre et du vagin ») [14] et son principal instrument pour vider l'Islam de sa vitalité.
D'autres islamistes, en particulier les partisans de Khomeiny, vont au-delà du séparatisme et de la haine pour dépeindre l'Occident comme mûr pour être mis sous contrôle et s'imaginent en être les héritiers. [15] La disparité démographique quant aux taux d'accroissement combinée à l'arrogance idéologique les amène à croire qu'ils finiront par être plus nombreux que les autochtones occidentaux dans leur propre pays. Ces suprémacistes musulmans ne cachent pas leurs intentions. Harun Reshit Tuylogzzlu, un imam en Allemagne, s'est à plusieurs reprises qualifié de « conquérant de l'Europe » et appelle la population à « briser les cornes de ceux qui ont tenté d'empêcher cette fonction publique et d'arracher la langue de tous nos adversaires. » [16] Fouad Salah, un Tunisien reconnu coupable d'avoir en 1985-86 fait exploser des bombes en France et tué treize personnes, a déclaré au juge chargé de son affaire : « Je ne renonce pas à mon combat contre l'Occident qui a assassiné le prophète Mohammed... Nous, musulmans, devrions tuer chacun d'entre vous [Occidentaux]. » [17] Bien que ces déclarations extrémistes ne soient pas la norme – ce sont généralement des relations pacifiques et positives qui prévalent – elles suscitent de très vives réactions parmi la population majoritaire non musulmane.
Violence politique. Si les musulmans d'Occident agissent violemment ce n'est pas à cause d'une tendance violente inhérente à l'islam mais pour des raisons liées à leur pays d'origine et à leur situation personnelle. Les nombreux conflits idéologiques et militaires du monde musulman ont tendance à déborder sur l'Europe et l'Amérique. Le conflit israélo-arabe, la guerre civile libanaise et la guerre Iran-Irak ont provoqué la plupart des incidents mais d'autres conflits - Afghanistan, Koweït, Azerbaïdjan, les Kurdes, Chypre, Yougoslavie, Somalie, Tchad - génèrent également des frictions qui se répercutent en Occident.
D'autres violences n'ayant rien à voir avec le Moyen-Orient, se développent en raison de circonstances inhérentes à l'Occident où il convient de considérer séparément les immigrés et les occidentaux convertis à l'islam en raison de leurs modes de pensée distincts. Les émeutes commises par ou contre les immigrés (communément appelées émeutes raciales) sont la cause potentiellement la plus importante de troubles immédiats. Les incidents violents ont généralement lieu dans les petites villes périphériques qui offrent des logements bon marché et sont devenues des banlieues musulmanes aux allures de ghetto.
Alors que les convertis européens ont rarement recours à la force, les convertis américains, en particulier afro-américains, ont généré une violence considérable. Malcolm X, assassiné en 1965, est le cas le plus connu mais il y a eu d'autres assassinats au sein de la Nation of Islam. Certains gangs ont adopté l'islam comme couverture pour leurs activités criminelles. El Rukn, le gang de rue le plus violent de Chicago, est le plus en vue. Il a même reçu à un moment donné de l'argent de la Libye. [18] L'islam ne fournit souvent guère plus que la couverture de cultes haineux qui ne ressemblent guère à la religion dominante. Le plus important d'entre eux est la Nation of Islam, une obédience noire américaine apparue à Détroit dans les années 1930, maintenant dirigée par Louis Farrakhan, un orateur talentueux. Mis à part son nom et quelques coutumes, cette organisation a peu de choses en commun avec le courant dominant.
Criminalité. Contrairement à ce qu'on pourrait penser [19], le taux de criminalité parmi les immigrés musulmans de la première génération est en moyenne de 40 % inférieur à celui de la population autochtone. En revanche, c'est une autre histoire en ce qui concerne les deuxième et troisième générations, en particulier les beurs (musulmans de deuxième génération en France) et les Turcs nés en Allemagne. Ces derniers se livrent de manière disproportionnée au vol, au vandalisme et au meurtre en bandes. À Stuttgart, en Allemagne, qui abrite les usines Mercedes et une population musulmane d'environ 15 %, les enfants d'immigrés musulmans y représentaient, en 1991, près de 85 % de la délinquance juvénile. [20]
Les musulmans ont également laissé leur empreinte dans des activités criminelles liées au monde des affaires. À l'exception de l'Agha Khan, qui vit à Paris, pratiquement tous les magnats musulmans d'Occident ont été poursuivis pour fraude. Adnan Khashoggi et Ghaith Pharaon ont été mis en examen aux États-Unis, Rifat Sayed en Suède et Asil Nadir en Grande-Bretagne. Cependant, le pire des cas, en termes de taille, de malveillance et de notoriété, impliquait la Bank for Credit and Commerce International et son défunt chef, Agha Hassan Abedi.
Nativisme
Presque partout en Europe occidentale (mais rarement aux États-Unis), une majorité au sein de la population chrétienne et juive d'origine se plaint d'être submergée par des hordes d'étrangers démunis et notamment par des immigrés musulmans. Un petit nombre va plus loin en soutenant les thèses nativistes caractérisées par l'importance donnée à la couleur de peau, le recours à des préjugés flagrants et la promotion d'un nationalisme agressif. Un tel nativisme a des similitudes marquées avec le fascisme.
L'hostilité envers les musulmans découle en partie de l'antipathie universelle envers l'étranger. Les problèmes liés à l'emploi sont la cause de nombreuses tensions et les Européens tiennent les étrangers pour responsables de la rareté des opportunités et, par conséquent, veulent les exclure, allant parfois même jusqu'à les agresser. Ce sont surtout les Allemands qui ont le sentiment d'avoir perdu le contrôle de leurs frontières et pensent que n'importe qui peut débarquer dans leur pays et se mettre à bénéficier d'allocations sociales. S'installe alors le sentiment d'être assiégé. L'Europe, dit-on, compte autant d'habitants qu'elle peut en contenir. « La barque est pleine » résonne d'un bout à l'autre du continent.
Plusieurs facteurs particulièrement importants expliquent l'attitude nativiste des Européens vis-à-vis des musulmans.
Sentiments anti-islamiques. L'héritage des préjugés contre l'islam et les musulmans reste prégnant et s'accompagne d'une haine religieuse qui sous-tend parfois directement l'antipathie envers les musulmans (comme l'exprime un graffiti de Cordoue, en Espagne : "Jésus oui, musulmans non !"). L'hostilité s'exprime souvent de façon viscérale. Günter Wallraff cite une conversation qu'il a entendue aux toilettes entre deux ouvriers du bâtiment allemands d'âge moyen : « Qu'est-ce qui sent plus mauvais que la pisse et la merde ? « Le travail », répond l'autre. « Non, un Turc », réplique le premier. [21]
Aversion pour les coutumes étrangères. Les antipathies résultent également de différences de race, de culture et de coutumes. Un désir d'uniformité, une aspiration à une société moins variée, moins confuse et moins exigeante conduit à un rejet du pluralisme et à un désir de « pureté ». Les politiciens de droite reviennent sans cesse sur ce thème et les personnalités de premier plan en parlent aussi. Jacques Chirac, le président gaulliste de la France, a un jour exprimé sa sympathie pour ses compatriotes qui « deviennent fous » avec « le bruit et les odeurs » causés par les immigrés. [22] Son prédécesseur, François Mitterrand, parlait de manière inquiétante du « seuil de tolérance » [23], un sentiment partagé par le chancelier Helmut Kohl qui utilisait la même expression quand il avertissait qu'il ne fallait pas dépasser la Toleranzschwelle.
Ensuite, à un tout autre niveau, on trouve les playboys saoudiens qui étalent leur argent et leur libertinage. Ils sont peu nombreux mais leurs pitreries (comme les virées shopping à Londres ou le peinturage des organes génitaux de statues à Beverly Hills) inspirent une rancœur considérable. Illustration typique de ce phénomène, cette scène dans un hôtel américain dont témoigne un médecin : « On pouvait voir des femmes à moitié dévêtues se précipiter de chambre en chambre, en gloussant, suivies de princes saoudiens mal rasés et échevelés. Tout le monde semblait complètement ivre. » [24]
Craintes démographiques. Les nativistes accordent la plus haute importance à la limitation de l'afflux de musulmans ainsi qu'à la réduction du nombre de musulmans (en particulier les familles accompagnant les travailleurs) qui résident déjà par millions en Europe occidentale. À mesure que le nombre de musulmans augmente, l'inquiétude grandit au sein de la population majoritaire. La prévention de l'immigration clandestine est devenue une priorité partout en Occident. Deux pays, l'Autriche et la Suisse, ont déployé leurs armées le long de la frontière pour contenir les immigrés (qui bien entendu ne sont pas tous musulmans). L'armée italienne aide la police à tenir à l'écart des dizaines de milliers d'Albanais désespérés, majoritairement musulmans. Depuis 1987, un nombre considérable de personnes en provenance du Moyen-Orient et d'Asie du Sud sont entrés aux États-Unis par le Mexique et le nombre de musulmans parmi ces « wetbacks » semble augmenter. Malgré les efforts des gouvernements européens, les immigrés musulmans continuent d'arriver du monde entier, à la recherche d'un travail, d'une formation, de membres de leur famille ou d'un asile.
À cela s'ajoute le taux de natalité des musulmans en Occident qui dépasse de loin celui des Européens et des Américains de souche. Un enfant sur cinq né en France a un père originaire d'Afrique du Nord et Mohammed est l'un des prénoms les plus donnés au Royaume-Uni. En comparant les taux de natalité, certains Occidentaux craignent d'être submergés. Dans un article paru dans The Spectator, Charles Moore a rappelé la mise en garde de T.S. Eliot à propos des « hordes encapuchonnées » : « Par notre refus obstiné d'avoir suffisamment d'enfants, la civilisation européenne occidentale se mettra à mourir au moment où elle aurait pu renaître avec du sang neuf. C'est alors que les hordes encapuchonnées vaincront et que le Coran sera enseigné, comme Gibbon l'avait imaginé, dans les facultés d'Oxford. » [25] Mais on trouvera la version peut-être la plus apocalyptique de cette préoccupation chez Jean Raspail, un intellectuel français de premier plan, qui, déjà en 1973, écrivait Le Camp des Saints, un roman illustrant la fin de la civilisation occidentale provoquée par l'afflux incontrôlé de musulmans en provenance du Bangladesh. [26]
Cette thématique n'est pas seulement la matière de romans. « O somos todos moros, o somos todos cristianos » (« Soit nous sommes tous musulmans, soit nous sommes tous chrétiens ») était la devise de l'inquisition espagnole. Les skinheads ont à peu près la même peur bien que vidée de tout contenu religieux. Jean-Marie le Pen dit à ses partisans : « Je ne veux pas que les Français deviennent comme les Peaux-Rouges, anéantis par l'immigration. » [27]
La politique de droite. Depuis Enoch Powell en Angleterre à la fin des années 1960 (qui avait prédit des « fleuves de sang » si l'immigration se poursuivait), la présence musulmane a stimulé la croissance des partis de droite en Europe occidentale. Portant souvent le nom de Front national, ces mouvements ont tendance à parler le même langage (mise en garde contre l'islamisation de l'Europe) et à employer les mêmes tactiques (mettre le feu à des centres de réfugiés ou arrêter la construction de mosquées). Les membres de ces mouvements sont très divers, allant de personnes respectables inquiètes de l'afflux de peuples étrangers, aux néonazis meurtriers, en passant par des skinheads violents.
En France, le Front national de Le Pen est actuellement l'organisation nativiste la plus puissante et recueille environ 15 % des voix dans le pays. Ils sont deux fois plus nombreux à être d'accord avec Le Pen sur la restriction du nombre et des droits des étrangers. Les États-Unis n'ont rien de comparable mais on peut déceler les indices d'une tendance similaire. Pat Robertson, télévangéliste et ancien candidat à la présidence américaine, a fulminé lorsqu'à la fin de 1991, l'imam de New York, Wahaj Siraj, a ouvert une session de la Chambre des représentants par une récitation du Coran. Patrick Buchanan, deux fois candidat à la présidence, observait que, « pendant un millénaire, la lutte pour l'avenir de l'humanité s'est déroulée entre le christianisme et l'islam. Au XXIe siècle, il en sera peut-être encore ainsi. » [28]
Ces sentiments nativistes suscitent de vives inquiétudes chez les musulmans. Les blagues entendues parmi les Allemands (« Quelle est la différence entre un Juif et un Turc ? Eh bien, le Juif a reçu sa leçon, le Turc n'a pas encore reçu la sienne ! »)[29] font que certains musulmans se voient sur le point de subir leur propre Holocauste. Ainsi, Kalim Siddiqui, directeur du Muslim Institute de Londres, a parlé de « chambres à gaz à l'hitlérienne pour les musulmans » [30] tandis que Shabbir Akhtar, membre du Conseil des mosquées de Bradford, a soutenu que « la prochaine fois qu'il y aura des chambres à gaz en Europe, il n'y a aucun doute sur ceux qui y entreront. » [31]
Au lendemain de l'effondrement de l'URSS, la présence musulmane est probablement devenue le problème politique numéro un en Europe occidentale. En France, par exemple, un commentateur notait récemment que « l'immigration est au cœur du débat politique français ». [32] Il en va de même pour de nombreux autres pays européens.
Impact sur les pays d'origine
Les musulmans en Occident ont des revenus plus élevés que leurs proches restés au pays et bénéficient d'avantages comme la liberté d'expression, la démocratie et l'État de droit. Bref, ils vivent dans un environnement plus moderne que n'importe lequel de leurs coreligionnaires et ont dès lors la possibilité d'évoluer différemment, une situation aux conséquences très importantes pour leur pays d'origine.
Économie. L'argent envoyé par les travailleurs immigrés a un impact énorme sur les économies des pays d'origine, tout comme les travailleurs eux-mêmes lorsqu'ils rentrent chez eux avec de nouvelles compétences.
Politique. La démocratie est une denrée rare dans les pays musulmans mais pas en Occident. Les individus qui ont expérimenté la démocratie occidentale ont joué un rôle majeur dans la politique de l'Algérie, de la Tunisie, de la Turquie et du Pakistan. Des associations bénévoles, peu connues dans les pays d'origine, voient le jour sous la tutelle de coreligionnaires établis en Occident. De plus, la liberté fait de l'Occident le meilleur endroit pour s'organiser politiquement. Umar 'Abd ar-Rahman, le dirigeant fondamentaliste égyptien reconnu coupable de complot séditieux à New York, dirigeait son mouvement depuis le New Jersey. Le Hamas, organisation palestinienne, a établi son quartier général aux abords immédiats de Washington. Au parlement britannique, deux députés musulmans font campagne pour l'application de la charia au Pakistan. [33]
Culture. Le travail de pionnier accompli en Occident par des intellectuels de premier plan a un fort retentissement dans leur pays d'origine où nombre d'entre eux deviennent des personnalités importantes et où leur travail exerce une grande influence sur leurs compatriotes. Olivier Roy souligne qu'à l'inverse, « l'exode des cerveaux » des intellectuels non islamistes, en particulier dans les sciences sociales, vers l'Occident laisse le champ intellectuel des pays d'origine aux mains des islamistes. [34]
Religion. Shabbir Akhtar, un fondamentaliste vivant en Grande-Bretagne, note que « les musulmans les plus libres vivent en Occident et en Iran. Partout ailleurs, l'islam est une force politique hors-la-loi. »[35] L'œuvre d'un penseur de la diaspora comme Fazlur Rahman (un Pakistanais actif depuis longtemps à l'Université de Chicago) a de grandes répercussions dans le monde musulman et crée l'étrange possibilité de voir l'Occident devenir le centre de la culture islamique.
[1] Barry Kosmin et Seymour Lachman, One Nation Under God: Religion in Contemporary American Society, New York, Crown, 1994, ont obtenu ce nombre après avoir interrogé 113.000 ménages entre avril 1989 et avril 1990.
[2] Fawaz Turki, Exile's Return: The Making of a Palestinian American, New York, Free Press, 1994, pp. 83-84.
[3] MBC Television (Londres), 14 novembre 1991.
[4] Al-Musawwar (Le Caire), 4 décembre 1992.
[5] Trends, 2/2 (1988), p. 23. Cité dans Philip Lewis, Islamic Britain: Religion, Politics and Identity between British Muslims, Londres, I. B. Tauris, 1994, p. 192.
[6] L'Express, 17 mars 1989.
[7] Ameena Meer, « Interview: Salman Rushdie », Bomb, printemps 1989, p. 36 ; Far Eastern Economic Review, 2 mars 1989.
[8] L'enregistrement a été rendu public lors du procès pour meurtre en octobre 1991, The New York Times, 28 octobre 1991. Pour un rapport complet, voir Ellen Harris, Guarding the Secrets: Palestinian Terrorism and a Father's Murder of His Too-American Daughter (New York : Scribner, 1995), pp. 222-30.
[9] Ulrike Neumann, "'Mein Mann ist Muslim – na und?' – Immer mehr Deutsche Frauen heiraten einen Mann aus einem islamischen Kulturkreis," Der Neue Tag (Weiden, Allemagne), 19 août 1991.
[10] Betty Mahmoody avec William Hoffer, Not Without My Daughter: A True Story, New York: St. Martin's, 1987. [NdT : Jamais sans ma fille, nouvelle édition de la traduction française, Pocket, 2019]
[11] « Profession : voleurs d'enfants », Libération, 6 juillet 1984, p. 5.
[12] Christiane Chombeau, « L'ambassadrice d'Algérie s'explique sur les enfants des couples mixtes », Le Monde, 28 juillet 1984 ; Frédéric Fritscher, « Le 'contentieux familial' franco-algérien est en voie de règlement », Le Monde, 24 décembre 1985 ; Catherine Erhel, « Gabrielle Bertrand – la pasionaria des enfants supprimés », Libération, 6 juillet 1984, p. 6.
[13] "Muslim Doctors Take First Steps to Work for the Common Good of the Community in Britain", Crescent International, 16-30 septembre 1991, p. 8.
[14] Au cours d'une conversation avec Khalid Durán au Caire, en décembre 1978.
[15] Curieusement, cet élan a été pressenti par G. K. Chesterton dans son roman de 1914, Flying Inn, un récit qui fait commencer la prise de contrôle par les musulmans avec la fermeture des pubs britanniques !
[16] Prononcé lors d'une réunion publique du Ruhr Bolgesi Islam Kultur Merkezleri ("Centres culturels islamiques de la région de la Ruhr"); "Gegnern reissen wir die Zunge aus", Westdeutsche Allgemeine (Recklinghausen), 23 juin 1979.
[17] Le Monde, 4 avril 1992.
[18] Michael Abramowitz, "Street Gang's 'Language' Becomes Its Albatross", The Washington Post, 25 août 1991, p. A3. Les musulmans traditionnels doutent à juste titre que ce groupe et d'autres groupes mentionnés ici doivent être considérés comme musulmans. Nous le faisons néanmoins car ils sont systématiquement perçus comme tels.
[19] Voir le reportage publié par un hebdomadaire belge sur quatre numéros, « Un dossier dérangeant – les immigrés », Pourquoi Pas ?, Bruxelles, à partir du 24 août 1982.
[20] Communication personnelle de Boujemaa Toukad, travailleur social marocain attaché à un tribunal pour mineurs délinquants (Jugendgerichtshelfer). Ses conclusions sont corroborées par les recherches détaillées et minutieuses de Michael Gebauer, "Kriminalität der Gastarbeiterkinder", in H.-J. Brandt & K.-P. Haase, eds., Begegnung mit Turken, Begegnung mit dem Islam; Vol. I, Hambourg, E. B. Verlag Rissen, 1982, pp. (2.12) 15-25.
[21] Günter Wallraff, Ganz Unten, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1985, p. 42.
[22] The Economist, 29 juin 1991.
[23] Howard LaFranchi, « French City Reachs Out to Immigrants », The Christian Science Monitor, 7 août 1991, p. 15.
[24] Seymour Gray, Beyond the Veil: The Adventures of an American Doctor in Saudi Arabia, New York, Harper & Row, 1983, p. 12.
[25] The Spectator, 19 octobre 1991.
[26] Jean Raspail, Le Camp des Saints, Paris, Éditions Robert Laffont, 1973.
[27] Foreign Report, 14 novembre 1991. [Ndt, voir en français : Roger Mauge, La Vérité sur Jean-Marie Le Pen, Éditions France-Empire, 1988.]
[28] Patrick Buchanan, "Global Resurgence of Islam", The Washington Times, 21 août 1989.
[29] Michael Schwarze, « Gespenstisch und gedankenlos », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 mai 1982, p. 1.
[30] The Independent, 3 juin 1989.
[31] The Guardian, 27 février 1989.
[32] Paul-Marie de la Gorge, "Chirac joue du tam-tam", Jeune Afrique, 3-9 juillet 1991.
[33] The Sunday Telegraph, 19 mars 1995.
[34] Olivier Roy, L'Echec de l'Islam politique, Paris, Seuil, 1992, p. 22.
[35] Shabbir Akhtar, Be Careful With Muhammad! The Salman Rushdie Affair, Londres, Bellew Publishing, 1989, p. 89.