[version originale française, Paris, Grasset, 2018]
Partant d'une analyse de la situation démographique, Smith, professeur d'études africaines à l'université Duke, arrive à des conclusions profondes sur l'avenir de l'Europe et de l'Afrique. Considérons quelques faits bruts : lorsque vers 1885, l'Europe s'est « ruée vers l'Afrique », le Vieux Continent (à l'exclusion de la Russie et de ce qui est aujourd'hui la Thrace turque) comptait une population d'environ 240 millions d'habitants. L'Afrique en comptait alors 100 millions. Aujourd'hui, ces chiffres sont passés respectivement à 600 millions et 1,25 milliard. En 2050, on prévoit qu'ils seront de 600 millions et 2,5 milliards. En l'espace de 165 ans, la population africaine aura donc grandi dix fois plus vite que la population européenne.
Partant de ce constat et du fait que de nombreux jeunes Africains sont prêts à tout pour à rejoindre l'Europe, Smith estime que « ni l'Europe ni l'Afrique n'ont encore pris la pleine mesure du défi qui les attend. Les deux continents ne sont toujours pas prêts à une rencontre migratoire d'une ampleur sans précédent ». Dans un livre captivant, il se lance dans l'exploration de ce défi qu'il appelle ironiquement la « ruée vers l'Europe ».
Ce phénomène ne correspondra pas à la course des élites européennes du XIXe siècle aux produits de base, aux marchés et à « une place au soleil ». Cela concernera des Africains ordinaires, principalement de jeunes hommes disposant de ressources suffisantes (pour payer leurs voyages) et « une aspiration sans limite » à chercher fortune. En examinant les précédents historiques, principalement la frontière américano-mexicaine, Smith prédit que « plus de 100 millions d'Africains sont susceptibles de traverser la mer Méditerranée » au cours des deux prochaines générations et qu'un quart de la population européenne deviendra ce qu'il appelle des Afro-Européens.
Ancien journaliste pour de grands quotidiens français de gauche (Le Monde, Libération), l'auteur ne s'embarrasse pas du statut juridique des migrants, encore moins « veille-t-il la nuit en tremblant devant la perspective d'une « africanisation » de l'Europe. » Au contraire, les Africains qui trouvent des emplois « fournissent aux économies européennes les cerveaux ou les bras dont elles ont besoin et aux sociétés vieillissantes ... la jeunesse et la diversité ». Il écarte avec dédain « le fantasme européen de conquête musulmane ». « Forteresse Europe » qu'il qualifie de « notoire aux yeux de beaucoup pour être une bataille perdue d'avance menée pour une cause honteuse ». Toute tentative d'endiguer la migration africaine par les seules mesures de sécurité est « vouée à l'échec ».
Ses inquiétudes sont bien ailleurs, l'Afrique se transformant en « une carcasse abandonnée » alors que ses éléments les plus dynamiques « décident de partir pour l'Europe [et] renoncent à leur patrie ». Il comprend les motivations des Africains pris individuellement mais pense qu'« ils ont tort et prennent la mauvaise direction ... pour le destin de leur continent ». En effet, ils ne regardent égoïstement qu'eux-mêmes et « fuient » l'avenir de l'Afrique. Globalement, l'Afrique a beaucoup à perdre de ce transfert de population.
Voilà la conclusion que l'on peut tirer des faits cruciaux éloquemment mis en lumière par Smith.