Depuis un mois [en cet été 1982], l'Organisation de libération de la Palestine a pris ses quartiers à Beyrouth-Ouest avec ses 5.000 à 6.000 combattants. Encerclée par les forces israéliennes, elle manœuvre désespérément pour sauver sa vie politique. Pourtant, elle n'a reçu pratiquement aucune aide d'aucun État arabe. Après le retrait des Syriens au terme de plusieurs jours de combats désastreux début juin, aucun autre État n'a proposé d'aider l'OLP – aucune réduction des ventes de pétrole à l'Occident, aucun retrait de fonds aux États-Unis, aucune rupture de relations diplomatiques, aucune manifestation dans les capitales arabes. En effet, le seul rassemblement public appelant au retrait israélien a eu lieu à Tel-Aviv ! Aucun État arabe n'a proposé d'accueillir les combattants de l'OLP. Le dirigeant libyen Kadhafi a même laissé entendre qu'ils commettaient un suicide de masse. Le silence a été assourdissant.
C'est également surprenant. La cause palestinienne a reçu un large soutien en paroles pendant tant d'années qu'un observateur extérieur pourrait être excusé de penser que l'OLP bénéficie du soutien de l'ensemble des peuples et gouvernements arabes. Pourquoi dès lors personne n'aide-t-il l'OLP en ce temps de crise ? Faisant allusion aux critiques émises en Israël à propos du siège de Beyrouth, un porte-parole de l'OLP a parlé du peuple israélien comme de « notre meilleur allié ». Pourquoi en est-on arrivé là ?
Le fait d'abandonner l'OLP correspond à une pratique vieille de 50 ans qui consiste en beaucoup de paroles et peu d'action. Bien que souvent expliquée par l'amour que les Arabes ont pour les mots, cette attitude systématique est due à des événements plus subtiles et complexes.
Le paratonnerre des passions
L'attitude rhétorique remonte aux années 1930, lorsque l'établissement d'un État juif en Palestine est réellement devenu une possibilité. Depuis lors, les sionistes ont servi de paratonnerre aux passions arabes. Il y avait cette volonté arabe de contrôler véritablement la Palestine combinée au fait que cette question servait de moyen pour créer un consensus au sein d'un groupe d'États divisés qui – et c'est là le point clé – estimaient qu'ils devaient être politiquement unis, sinon physiquement unifiés en tant qu'États. Bien qu'actuellement divisés en plus de 20 États, les peuples arabophones estiment toujours qu'ils doivent s'unifier. Alors que tous les efforts concrets dans cette direction ont échoué, le conflit avec Israël représente le moyen facile de créer un sentiment d'unité, à défaut de réelle union.
La faiblesse d'action des Arabes s'explique en partie par leur désunion arabe mais aussi par la place ambiguë qu'occupe l'OLP dans la politique intra-arabe. Après la défaite écrasante des Syriens, des Jordaniens et des Égyptiens en juin 1967, l'OLP est apparue comme un élément majeur de la politique intra-arabe. Avec ce renversement, les États voisins d'Israël ont renoncé à l'idée de détruire Israël. Depuis lors, ils se sont limités à récupérer les terres qu'ils avaient perdues en 1967. Un seul État, l'Égypte, l'a fait explicitement. Les autres l'ont signalé assez clairement.
Le retrait de ces États a fait que l'entreprise de négation de l'existence d'Israël est revenue aux Palestiniens qui avaient alors des moyens limités : ils n'avaient ni souveraineté, ni reconnaissance internationale, ni argent, ni armes. Afin de lancer une machine politique et militaire capable de conquérir tout ou partie du territoire israélien, les dirigeants de l'OLP ont utilisé des tactiques innovantes, notamment le terrorisme (également utilisé contre les Arabes), la menace de déstabilisation, la création d'enclaves autonomes et le travail d'influence sur l'opinion publique.
En quelques années, l'OLP a établi sa domination sur une partie importante du Liban, a acquis un prestige international, a mis sur pied une infanterie et une artillerie bien équipées et a acquis un revenu annuel de centaines de millions de dollars. Tout cela, cependant, a eu un prix. Le contrôle du territoire libanais a nécessité le déménagement des autorités locales. La reconnaissance en tant que représentant unique des Palestiniens a signifié la mise à l'écart des revendications de la Jordanie sur la Cisjordanie, et l'obtention du monopole politique en Cisjordanie a provoqué l'assassinat des rivaux arabes. Les menaces tacites contre l'Arabie saoudite et les autres États du golfe Persique ont généré des revenus mais un peu à la manière d'une rançon. La coopération avec les Soviétiques dans toute une série de domaines était le prix politique à payer pour obtenir d'eux des armements.
En cours de route, l'OLP a eu de violentes disputes avec la plupart de ses partisans, à commencer par l'éviction sanglante de la Jordanie en 1970 et l'attaque de la Syrie contre les camps palestiniens au Liban en 1976, puis la guerre entre l'OLP et les agents secrets irakiens quelques années plus tard.
La combinaison du soutien rhétorique et de l'animosité pratique a relégué l'OLP à une curieuse double vie dans le monde arabe – éloges et soutien appuyés d'un côté, mais profond ressentiment de l'autre. L'OLP a rempli la fonction vitale de symbole de la cause arabe mais a créé des problèmes sans fin. Chaque État a exploité l'OLP comme moyen de protection contre les accusations d'indifférence à la cause arabe, alors qu'aucun d'entre eux ne l'a vraiment soutenue.
À l'heure actuelle [en 1982], les États arabes se présentent comme suit : Le gouvernement syrien se soucie beaucoup plus de préserver sa domination sur la partie du Liban la plus proche de ses frontières que du sort de Yasser Arafat et de ses hommes. L'Irak est préoccupé par sa guerre contre l'Iran, plus dangereuse que jamais. Les Saoudiens et les autres dirigeants du golfe Persique craignent les éléments radicaux de l'OLP qu'ils veulent voir incapables d'influencer la politique intra-arabe. La Jordanie qui se souvient de la guerre de 1970 contre l'OLP, est en concurrence directe avec l'organisation pour le contrôle de la Cisjordanie si les Israéliens venaient à quitter cette dernière. Quant aux allusions israéliennes selon lesquelles l'OLP jetterait son dévolu sur la Jordanie, elles n'ont pas contribué au réchauffement des relations entre l'OLP et le roi Hussein. Pour l'Egypte, l'élimination de l'OLP offre une meilleure chance de parvenir à un accord avec Israël sur l'autonomie palestinienne en Cisjordanie, comme l'exigeaient les accords de Camp David.
Au final, aucun pays n'offre son aide ni même un refuge à l'OLP. Si une demande d'asile était faite publiquement pour sauver la vie des hommes piégés à Beyrouth, aucun État arabe ne pourrait refuser l'entrée à l'OLP mais ne le ferait qu'à des conditions strictes qui reviendraient à émasculer l'organisation.
La paix, est-ce pour maintenant ?
Les semaines de confrontation à Beyrouth ont largement occulté les implications plus larges de cette guerre pour l'OLP et les États arabes. La question de savoir qui gagnera à Beyrouth (c'est-à-dire si l'OLP restera ou s'en ira) est probablement sans importance car quel que soit le résultat, les combats marqueront presque à coup sûr la défaite de l'OLP en tant qu'incarnation de l'idée de destruction d'Israël. Les États arabes ont abandonné cet espoir à la suite de la guerre de 1967. L'OLP fera de même très probablement après le Liban. Si c'est le cas, la raison d'être de l'organisation disparaîtra.
Le siège de Beyrouth éclipse un autre développement majeur que nous pouvons nous attendre à voir émerger dans les mois à venir : la campagne qui a amené les Israéliens à Beyrouth en quelques jours et mis à terre l'armée de l'air syrienne constitue probablement le fait d'arme le plus spectaculaire de l'histoire d'Israël. La dévastation de l'OLP et des forces syriennes réduira probablement la dépendance arabe vis-à-vis de l'Union soviétique (qui ne peut que leur fournir plus d'armes) et augmentera l'influence des États-Unis (qui exercent un levier diplomatique sur Israël). Il s'agit probablement de la dernière grande confrontation militaire israélo-arabe avant longtemps si pas pour toujours. Les pertes de l'OLP et son abandon par le reste du monde arabe marquent la fin probable des tentatives de destruction d'Israël et peut-être le prélude à cette paix recherchée depuis longtemps au Moyen-Orient.
M. Pipes est historien à l'Université de Chicago. Il est l'auteur de Slave Soldiers and Islam (Yale University Press).