Nous remercions le United States Institute of Peace pour une subvention qui a permis aux auteurs de rédiger cette étude. D. Pipes a pu également compter sur le financement du Middle East Council du Foreign Policy Research Institute. K. Durán a eu l'opportunité d'effectuer des recherches et de collecter de données au Centre universitaire européen d'études sur la paix à Burgschlaining, en Autriche, à l'Institut d'études iraniennes de la Freie Universität à Berlin et à l'Institut d'études orientales de l'Université d'Oslo.
Cette étude s'inscrit dans un projet pour lequel des financements ont été obtenus de la Fondation Schumann et de la Fondation Littauer.
Les auteurs se sont répartis le travail comme suit : K. Durán a rédigé le texte auquel D. Pipes a apporté des ajouts. Le texte a ensuite fait l'objet d'adaptations entre les deux auteurs. K. Durán s'est concentré sur la recherche et D. Pipes sur la présentation. Leurs démarches se sont toutefois recoupées. Les deux auteurs assument donc ensemble la responsabilité du produit final.
Daniel Pipes et Khalid Durán
Philadelphie et Washington
Août 1993
INTRODUCTION
Comme le suggèrent l'attentat à la bombe du World Trade Center à New York [en 1993] et les violences récentes de skinheads en Allemagne, le risque de conflit entre d'une part, les musulmans résidant en Europe et en Amérique du Nord et d'autre part, les populations indigènes chrétiennes et juives est important et revêt différentes formes. La liste des conflits actuels est longue et presque chacun de ceux-ci semble prendre de l'ampleur. Sur un plan positif, les mécanismes visant à réduire ou à mettre fin à ces conflits sont également nombreux même si peu d'entre eux ont été pris en considération et encore moins mis en œuvre.
L'exposé qui suit comporte deux parties. La première partie établit la liste des zones problématiques, analyse les tensions et considère les dangers que celles-ci représentent, dangers provenant principalement, pour certains, de la population musulmane minoritaire (à la fois immigrée et convertie) et pour d'autres, de la majorité occidentale. La deuxième partie établit des recommandations sur l'adoption de mécanismes visant à contenir ou à éliminer ces tensions, toujours en analysant séparément les musulmans d'une part et les populations occidentales autochtones d'autre part. Nous croyons et espérons qu'une compréhension approfondie des phénomènes générateurs de conflit permettra d'apporter des solutions utiles et réalistes.
Nous commencerons cependant par une brève introduction en guise de mise en contexte.
Plus de treize millions de musulmans, immigrés et convertis, vivent actuellement [en 1993] en Europe occidentale et aux États-Unis. En Europe occidentale, les musulmans sont au nombre d'environ douze millions. Plus de 3 millions d'entre eux vivent en France, environ 2 millions en Allemagne de l'Ouest, 1,5 million au Royaume-Uni et près d'un million en Italie. En Belgique, ils sont un demi-million. Près de cinq siècles après la chute de Grenade, l'Espagne compte 200.000 musulmans. Dans de nombreux pays d'Europe occidentale, les musulmans ont remplacé les juifs en tant que deuxième plus grande confession religieuse. Ils sont également plus nombreux que les protestants et les juifs en France, que les catholiques à Berlin, etc. En Amérique du Nord, les chiffres sont sujets à controverses et varient entre un et dix millions. La plus grande étude menée à ce jour fait état d'une population musulmane de 1,4 million.
Les communautés musulmanes ont tendance à se concentrer dans des zones urbaines et surtout au centre des villes, ce qui les rend très visibles. Certaines villes comptent des populations musulmanes très importantes : Bradford en Angleterre, Saint-Denis dans la banlieue parisienne et Dearborn dans le Michigan.
Cette population musulmane a vu le jour au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Avant 1955, le nombre de musulmans vivant en Europe occidentale et en Amérique du Nord était négligeable et se limitait à quelques rares étudiants, marchands, marins, ouvriers, exilés ou convertis. Leur nombre a commencé à enfler dans les années 1960, époque marquée par l'éclosion de cinq phénomènes majeurs : des économies industrielles avancées d'Europe occidentale en recherche de nouvelles sources de main-d'œuvre non qualifiée et semi-qualifiée ; des pays musulmans en pleine explosion démographique accompagnée de chômage et de pauvreté ; des groupes d'étudiants musulmans plus nombreux à fréquenter les universités occidentales ; des problèmes propres à de jeunes États musulmans nouvellement indépendants (répression interne et nombreuses guerres) générateurs de flux incessants d'exilés à la recherche d'un refuge dans les pays stables et libres d'Occident ; certaines évolutions à l'œuvre en Occident (doute de soi, mariages mixtes, séparatisme) incitant un nombre important d'Occidentaux de naissance à se convertir à l'islam.
En Occident, les musulmans sont principalement originaires d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie du Sud. Un plus petit nombre est issu d'autres régions comme les Indonésiens résidant en Hollande ou les Albanais en Italie. Un seul groupe ethnique de musulmans prédomine dans chacun des trois grands pays européens : Maghrébins (Algériens, Marocains, Tunisiens) en France, Turcs en Allemagne, Asiatiques du Sud en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, ce sont les Noirs américains convertis qui dominent, suivis par les Iraniens, les Arabes du Levant et les Africains subsahariens. Ces sept groupes constituent la grande majorité de la population musulmane qui sera étudiée dans les pages qui suivent.
La plupart des immigrés sont arrivés en Occident avec l'intention de rentrer chez eux assez rapidement, avant de changer d'avis. Les travailleurs se sont habitués à des revenus plus élevés, les étudiants sont restés au-delà de leur scolarité et les exilés ont constaté que les troubles qui agitaient leur pays d'origine ne passaient pas. Ce qui au départ était bien souvent une migration temporaire est devenu un séjour permanent. C'est surtout vers 1980 qu'un grand nombre de musulmans sont passés du statut de migrant à celui d'immigré (les premiers prévoyant de rentrer chez eux et pas les seconds). C'est ce qui a incité les États européens inquiets à restreindre les entrées et à offrir des incitants financiers aux résidents de longue date pour qu'ils rentrent chez eux, sans grand succès. Le nombre de musulmans a continué de croître régulièrement par la natalité, l'immigration persistante et la conversion.
En considérant l'avenir, certains responsables politiques du Moyen-Orient déclarent voir des signes indiquant que les problèmes dans le monde musulman sont sur le point de trouver une solution et que les émigrés rentreront donc chez eux. Ainsi, le roi Fahd d'Arabie Saoudite observait que « certaines communautés arabes en Europe sont peut-être obligées d'y vivre parce que leurs pays ont des difficultés. Je crois que ce problème finira par être résolu. » Il est cependant difficile pour un observateur extérieur d'expliquer les raisons de l'optimisme du roi. Au contraire, des taux élevés et continus de natalité, d'immigration et de conversion entraîneront une croissance supplémentaire des populations musulmanes en Occident. En France particulièrement, les autorités craignent qu'une prise de pouvoir islamiste (ou fondamentaliste musulmane ; nous utilisons ce terme car c'est de cette façon que les protagonistes se désignent de plus en plus eux-mêmes) en Algérie ne conduise à une guerre civile et à un exode massif de la classe cultivée de ce pays vers une France qui craint de voir la guerre civile s'étendre au Maroc et à la Tunisie et faire tache d'huile sur le sol français.
Le sujet traité ici est l'immigration musulmane récente et la conversion en Occident. Nous excluons à la fois les Arabes chrétiens de Détroit et les communautés musulmanes séculaires des Balkans. En raison d'une situation différente de celle vécue en Europe occidentale et en Amérique du Nord, les musulmans d'Amérique latine et du bassin des Caraïbes ne sont pratiquement pas pris en considération dans la présente étude. En revanche, nous avons tenu compte de l'ensemble des pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord abritant des populations musulmanes importantes mais en mettant l'accent sur quatre pays en particulier à savoir l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Les conditions propices à une situation conflictuelle sont généralement plus présentes en Europe occidentale qu'en Amérique du Nord. Cela est dû en partie aux différences qui caractérisent les sociétés et en partie aussi au fait que la présence musulmane en Europe a commencé plus tôt et s'est accrue plus largement. En conséquence, nous nous attendons à ce que bon nombre des problèmes rencontrés en Europe finissent par apparaître également aux États-Unis. L'arrivée aux États-Unis de groupes d'immigrés musulmans toujours plus importants – Iraniens, Afghans, Somaliens, Koweïtiens, Kurdes, Albanais, Bosniaques – pourrait entraîner les problèmes d'ordre culturel et sécuritaire que connaît déjà l'Europe. C'est dans cet esprit que nous suggérons, en tant qu'auteurs de la présente étude, que les Américains tirent les leçons de l'expérience européenne afin de ne pas vivre à leur tour les mêmes difficultés.
PARTIE I – LES TENSIONS
« Marseille est une bombe à retardement »
Yves Lacoste, géographe français
Des tensions surgissent de part et d'autre, côté minorité musulmane et côté majorité occidentale. Du côté musulman, l'islamisme est le principal coupable même s'il existe d'autres sources de problèmes comme la violence, les problèmes familiaux et les scandales financiers. Du côté occidental, le nativisme constitue la plus grave menace pour la cohésion sociale.
A. ISLAMISME
L'islamisme appelle à une stricte adhésion à la loi sacrée de l'islam (la charia), cet ensemble volumineux de lois formulées il y a plus d'un millénaire et qui structurent la vie privée et publique. Ce code réglemente tout, depuis la manière d'éternuer ou de bâiller jusqu'aux méthodes appropriées pour conclure un accord commercial ou faire la guerre. L'islamisme attribue le passé glorieux des musulmans à l'adhésion étroite de ces derniers à l'ancienne loi de l'islam et rappelle la richesse, la puissance et les réalisations culturelles des musulmans à l'âge prémoderne, époque où Dieu était à Sa place et où la société gravitait dans l'orbite de Ses commandements. Au Moyen Âge, les Occidentaux ne voyaient pas la prospérité musulmane d'un bon œil et étaient déterminés à la détruire, ce qu'ils firent de deux manières, par la conquête militaire et l'infiltration culturelle. Pour les islamistes, la civilisation occidentale représente la plus grave menace pour l'Islam.
Murad Hofmann, né en 1931. |
Tant que le monde occidental et le communisme étaient opposés, on pouvait considérer l'islam comme une « troisième voie », une option entre les deux philosophies. Mais aujourd'hui, l'islam se voit comme une manière alternative d'affronter la vie dans ce nouveau monde dualiste... L'islam ne se considère pas seulement comme une solution alternative à la société occidentale post-industrielle. Il est la solution alternative.
Les islamistes qui vivent en Occident cherchent au minimum à établir une zone autonome dans laquelle il peuvent mener leur vie. Le plus souvent, ils cherchent à imposer leurs vues et leurs modes de vie aux autres musulmans voire à la majorité non musulmane. Et dans certains cas, ils espèrent vaincre l'Occident, en purger les imperfections et s'en approprier les forces.
Mise à l'écart des modérés
Différents indices suggèrent que les dirigeants islamistes n'incarnent pas les véritables opinions des communautés musulmanes occidentales. Par exemple, les institutions algériennes en France qui ne reçoivent aucun financement des gouvernements musulmans – organisations communautaires, stations de radiodiffusion, etc. – adoptent une position résolument anti-islamiste. Les associations communautaires turques de Hambourg et de Hanovre ont pris fermement position contre l'extrémisme islamiste. Muhammad Salim Abdullah – Allemand converti, ancien journaliste de Radio Deutsche Welle, éditeur de la Moslemische Revue, chroniqueur du dialogue interreligieux – a publiquement dénoncé les islamistes comme « une menace ». En 1990, Helga Ehlers, une journaliste de Cologne, a mené une enquête sur la popularité de quatre musulmans éminents en Allemagne et a constaté que c'est le plus critique par rapport à l'islamisme qui obtenait la meilleure évaluation.
Les populations musulmanes minoritaires voient l'Europe comme un lieu où ils peuvent conserver leurs traditions culturelles, longtemps interdites chez elles, et migrent donc dans des proportions démesurées. Les Berbères d'Algérie, qui ne constituent que 20 % de la population algérienne, représentent plus de 50 % (voire peut-être plus de 60 %) des Algériens de France. Les Kurdes représentent 20 % de la population turque mais 25 % des Turcs en Allemagne (un nombre d'autant plus impressionnant quand on sait à quel point ils sont plus ruraux). Les alévis (chiites turcs) se dirigent plus souvent vers l'Allemagne et y restent plus longtemps. Les Berbères et les Kurdes ont tendance à être d'ardents anti-islamistes.
Néanmoins, les islamistes apparaissent régulièrement comme les leaders et porte-parole des communautés musulmanes en Europe et en Amérique du Nord. Kalim Siddiqui, par exemple, dirige le Muslim Institute à Londres, une entreprise d'envergure qui représente la faction la plus radicale des khomeinistes. Sa mission semble être la propagation de la haine contre l'Occident. Le Muslim Institute formule des attaques contre l'Occident dans le style et avec le vocabulaire de la pensée progressiste de gauche. Il a ouvertement appelé à l'assassinat de Salman Rushdie et Crescent International, son journal bihebdomadaire, s'est réjoui des agressions perpétrées contre les traducteurs de Rushdie. L'Islamic Foundation (Leicester) a des objectifs plus ambitieux. Fondée par Khurshid Ahmad, ancien ministre pakistanais auteur d'une diatribe particulièrement infâme contre l'Occident, et composée principalement de Pakistanais, cette fondation ne cherche rien moins qu'à prendre le contrôle de toutes les activités islamiques en Occident. L'Islamic Foundation (Leicester) a acquis une telle notoriété qu'un roman d'espionnage antimusulman la dépeint comme le centre de commandement d'un projet musulman clandestin visant à régenter l'Europe.
Plusieurs facteurs expliquent la prédominance des islamistes :
- De nombreux musulmans occidentalisés qui pourraient servir de contrepoids préfèrent s'impliquer dans la société occidentale dominante et abandonnent ainsi l'arène islamique.
- À l'instar des communistes, les islamistes sont tellement dévoués pour leur cause qu'ils acquièrent une présence démesurée et apparaissent plus forts qu'ils ne le sont en réalité. Par exemple, alors que, dans les jours qui ont suivi le décret de l'ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie, pratiquement tous les articles de journaux citaient des musulmans européens et américains soutenant le décret, des sondages réalisés ultérieurement ont montré qu'il ne s'agissait que d'une petite minorité.
- Toujours à l'instar des communistes, les islamistes s'infiltrent dans les institutions en feignant la modération. En 1991, Mohammad Ali Elahi a reçu un visa de quatre mois qui lui a permis d'inspecter les branches américaines du Hezbollah (le réseau d'agents de Téhéran) et de renforcer l'influence de Téhéran sur les communautés chiites. Il a tenté une réconciliation entre deux institutions de Détroit, l'Islamic Center of North America (chiites modérés et pluralistes en phase avec le mouvement libanais Amal) et le Muslim Cultural Institute (qui sert de tremplin aux recrues radicales du régime de Téhéran). L'ouverture d'esprit apparente d'Elahi a séduit la communauté libanaise musulmane qui l'a installé comme nouvel imam (directeur de la prière) de leur Islamic Center of North America.
- Paradoxalement, certains islamistes voient l'Europe comme un refuge propice à la reviviscence de la loi sacrée. En effet, une part importante de Turcs – peut-être 10 % - a émigré en Allemagne dans cet esprit. Ironie du sort, cette frange ultra-obscurantiste de la population turque se sert du pluralisme de la société occidentale pour pratiquer un mode de vie anti-occidental illégal dans son pays d'origine. En effet, certains Turcs islamistes voient l'émigration vers l'Allemagne comme le moyen non pas d'augmenter leurs revenus mais de revivre la fuite du prophète Mahomet de La Mecque vers Médine – la hijra (hégire). Ces idéologues se soucient peu que cette hijra des temps modernes leur fasse quitter un pays musulman pour les emmener au cœur de l'Europe chrétienne. Pour eux, la migration les éloigne d'une terre d'apostasie vers un refuge temporaire auprès d'un peuple d'une religion différente qui au moins n'est pas mécréant. Mais à mesure que les séjours temporaires se transforment en résidence prolongée, les islamistes ont de plus en plus de mal à considérer l'Occident comme un refuge anodin.
- L'Occident est un endroit parfait où les islamistes peuvent s'organiser. Les gouvernements leur prêtent peu d'attention. C'est là que se trouve l'argent. Les réseaux de communication et de transports y sont des plus performants et ce n'est pas de là que les gouvernements musulmans s'attendent à avoir des problèmes. En conséquence, les États-Unis sont devenus le siège de divers groupes islamistes tels que l'organisation palestinienne Hamas tandis que l'Allemagne a été qualifiée par un journal égyptien de « siège international des fondamentalistes ».
- L'esprit défensif pousse même les musulmans libéraux à adopter une attitude radicale. Le fait d'être étiquetés comme islamistes frustre énormément les musulmans modérés. En période de crise, l'islamisme sert à surmonter les critiques et les islamistes semblent être les plus ardents défenseurs des intérêts communautaires. Lorsque les travailleurs laïcs de Tunisie et de Turquie voient que les dirigeants politiques européens blâment l'islam pour leur refus de s'assimiler culturellement, ils en concluent qu'ils vivent dans un milieu hostile et deviennent eux-mêmes hostiles. Certains Iraniens réagissent en se transformant en défenseurs de Khomeiny. Pour prendre un cas précis, Riffat Hassan, une professeure pakistanaise de religion enseignant à Louisville dans le Kentucky, a réagi à la pression exercée sur son enfant à l'école en prenant parti pour la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie et pour le conflit déclenché par Saddam contre les États-Unis.
- De nombreux musulmans arrivant en Europe occidentale (Iraniens, Kurdes irakiens, Bosniaques) sont traumatisés par leur passé récent. Leur situation fait d'eux des cibles faciles pour des réseaux islamistes copieusement financés.
Soutien des États du Moyen-Orient
Cependant, la force des islamistes réside d'abord et surtout dans le financement de leur cause en Occident par les États du Moyen-Orient. Les plus gros bailleurs de fonds sont les régimes saoudien et iranien, suivis par la Libye, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar et l'Irak, autant de soutiens qui accroissent considérablement l'influence islamiste en Occident. Ce faisant, ils ne font qu'étendre les pratiques des pays d'origine. À travers le monde musulman sunnite, les gouvernements choisissent et financent des institutions religieuses et les soumettent ainsi à leur volonté. Ils poursuivent les mêmes pratiques en Europe occidentale et en Amérique du Nord dans l'espoir d'y contrôler la vie des musulmans par le biais d'institutions islamiques internationales qui par conséquent, ont considérablement proliféré et grandi depuis 1970.
Alors que la plupart des États mentionnés ci-dessus ont financé leurs propres organisations, le gouvernement saoudien a surtout investi son énergie et son argent dans l'élaboration d'un vaste réseau d'organisations. L'Organisation de la Conférence islamique [appelée Organisation de la Coopération islamique depuis 2011, NdT], le Secrétariat islamique et la Ligue islamique mondiale sont les très grandes organisations qui parrainent une multitude d'institutions spécifiques, notamment l'ISESCO (une version islamique de l'UNESCO), le Conseil international des mosquées et l'Association des étudiants musulmans. Grâce aux ressources financières des Saoudiens, ces institutions flambant neuves ont, chose inédite dans l'islam sunnite, mis en place une structure de style chrétien qui fait d'elles une sorte d'Église.
En étendant la portée du wahhabisme (« unitarianisme »), forme extrême de l'islam légaliste qui ne prédomine nulle part ailleurs qu'en Arabie saoudite, la pseudo-église reflète les intérêts de la politique étrangère saoudienne et non ceux des communautés musulmanes locales. Alors que les non-musulmans prennent souvent pour argent comptant l'existence de cet appareil, de nombreux musulmans voient en ce dernier une intrusion délibérée et agaçante dans leurs affaires. Fait révélateur, ils ignorent les noms officiels (« la Ligue islamique mondiale ») et parlent des « Saoudiens », en disant par exemple : « les Saoudiens viennent de construire une nouvelle mosquée ». Nombreux sont les musulmans en Europe occidentale et en Amérique du Nord à soupçonner « les Saoudiens » de vouloir contrôler les dirigeants de leurs communautés.
L'argent du Moyen-Orient provoque des revirements opportunistes. Avant de sauter dans le train khomeiniste en 1979, Kalim Siddiqui du Muslim Institute travaillait pour le Guardian et la BBC et ne savait pour ainsi dire rien de l'Iran et du chiisme. C'était un Indien de gauche, d'origine musulmane et complètement anglicisé qui aurait pu passer pour le frère aîné de Salman Rushdie (les deux hommes partagent effectivement le même environnement ethnique et social et le même parcours éducatif et intellectuel). Mais ensuite, dans la perspective de servir de porte-parole de l'Iran, il a découvert la religion.
Les fonds saoudiens ne vont pas aux dirigeants locaux mais à des étrangers favorisés par Riyad et soucieux de leurs partisans à Riyad ou à Téhéran plus que dans leur propre localité. En outre, conformément à la doctrine wahhabite, les institutions financées par l'Arabie saoudite dissuadent les femmes de participer à la vie religieuse aux côtés des hommes, maintiennent le caractère morne et aride des célébrations, évitent les éléments artistiques et folkloriques de l'islam et bannissent tous les éléments soufis (mystiques). Ainsi, la pseudo-église saoudienne a créé un clergé sans racines historiques, une direction laïque sans attaches dans la société et un personnel sans mandat de la communauté.
N'ayant pas les moyens de concurrencer l'Arabie saoudite sur tous les fronts, l'Iran choisit d'investir dans des domaines comme la presse. Ainsi, il parraine toutes sortes de périodiques – quotidiens, hebdomadaires et mensuels, pour adultes et enfants, dans plus de vingt langues. Crescent International est probablement la principale publication de Téhéran en Occident. Al-Fadschr (L'Aube) est un journal religieux de belle facture, en allemand, publié par la mosquée iranienne de Hambourg et distribué dans les principaux kiosques à journaux tandis qu'Al-'Alam est un hebdomadaire politique publié à Londres. Les agents iraniens ont également trouvé des organisations de façade, telles que la « Ligue anti-apartheid », et entretiennent des contacts avec les médias, les universités, les partis politiques (comme les péronistes en Argentine) et les organisations civiques. Certaines propagandes khomeinistes font preuve d'une réelle sophistication.
I. Le séparatisme
Les islamistes radicaux en Europe et en Amérique mettent l'accent sur trois thématiques dont chacune donne lieu à des tensions avec la population majoritaire : le séparatisme, l'anti-occidentalisme et le suprémacisme islamique.
Le séparatisme suppose que la minorité demeure hors du courant dominant de la société et vit dans des enclaves protégées où elle parle sa propre langue et gère ses propres institutions. Les islamistes et les musulmans traditionnels émettent des revendications séparatistes propres à créer un apartheid culturel.
À l'instar de Khomeiny qui entre 1978 et 1979, s'est réfugié dans la banlieue parisienne pendant plusieurs mois sans avoir jamais mis les pieds dans la Ville Lumière, certains musulmans en Occident choisissent de vivre dans un isolement complet en restant volontairement ignorants des cultures et des sociétés qui les entourent, et créent ainsi des îlots de piété islamiste aussi isolés et autosuffisants que possible. Le séparatisme musulman devient une sorte d'idéologie qui est enseignée dans les écoles et propagée dans les mosquées et la presse. D'autres facteurs – intention d'accumuler du capital, faible statut social – renforcent cette propension.
Les séparatistes font pleinement usage des opportunités offertes par les démocraties libérales occidentales sans souscrire aux normes libérales ou démocratiques et sans appliquer celles-ci au sein de leurs propres communautés. Cette situation crée de nombreux problèmes parmi lesquels trois sont plus criants : l'école, le droit charaïque de la famille et l'exclusion culturelle.
À première vue, les écoles islamistes ressemblent aux écoles paroissiales d'autres communautés religieuses. Toutefois, elles se caractérisent par un autoritarisme rigide bien supérieur à celui des institutions catholiques, même les plus conservatrices. Ainsi, les écoles islamistes imposent une séparation totale des sexes dès l'âge de neuf ans et parfois dès la maternelle. Les islamistes se montrent inflexibles sur ce point : Sayed Aziz Pacha, chef de l'Union of Muslim Organizations en Grande-Bretagne, a déclaré que « les écoles spécifiques aux musulmans appliquent strictement les règles islamiques – aucune association entre garçons et filles, aucune éducation sexuelle ni aucune tenue décontractée n'est autorisée. » Il a ensuite ajouté : « Par contre, nous n'essayons pas de créer des ghettos musulmans – les enfants blancs sont les bienvenus dans nos écoles – mais nous enseignons les règles islamiques ».
Au début, les islamistes ont fait face à l'indifférence des Européens autochtones, une attitude qui leur convenait parfaitement. Au cours des années 1960 (la « première décennie » de la diaspora), les Allemands se souciaient peu des programmes enseignés dans les écoles turques ou du contenu de leur presse. Ce n'est que lorsque les châtiments corporels appliqués dans les écoles coraniques ont attiré l'attention des enseignants des écoles publiques que les Allemands ont pris conscience du problème que représentaient les réactionnaires vivant parmi eux. Les islamistes ont réagi avec rage face à ce qu'ils considéraient comme une ingérence.
L'exigence pour les musulmans de vivre conformément au droit islamique de la famille, contraindrait la femme à limiter ses déplacements. Selon Mehmet Gaye, l'imam en chef de Stuttgart, « une femme n'est pas autorisée à voyager en compagnie d'un étranger sans la présence de son tuteur... . Seule, elle ne peut pas parcourir une distance supérieure à 80 km car ce serait un péché. » L'application de la charia permettrait aux hommes de divorcer à volonté, d'avoir la garde de leurs enfants et de priver les femmes divorcées de pension alimentaire. Elle autoriserait également la polygamie pour les hommes. Cette situation soulève une autre question : si les musulmans étaient soumis au droit islamique de la famille, pourquoi ne le seraient-ils pas également pour leurs lois pénales qui prévoient notamment l'amputation de la main du voleur et la lapidation des adultères ?
Culturellement, les islamistes demeurent des marginaux. Ils n'ont qu'un faible niveau de culture et ne connaissent que la culture de la rue, et encore, à un niveau superficiel. Bien qu'elles ne soient pas les seules (c'est également le cas des différents quartiers chinois d'Amsterdam à San Francisco), les communautés musulmanes ont une qualité particulière : elles seules ont une idéologie profondément anti-occidentale sur laquelle elles peuvent toujours s'appuyer. Aucun groupe d'immigrés ne dispose d'une institution semblable aux mosquées islamistes qui enseignent que l'Occident est mauvais, que les Occidentaux sont impurs et indignes – de vieilles doctrines quelque peu vaporeuses qui retrouvent une certaine consistance à l'heure où des musulmans vivent en Europe ou en Amérique. La xénophobie des Européens et le racisme des Américains acquièrent une charge explosive une fois qu'elles se retrouvent dans un tel contexte.
Le séparatisme prend diverses formes. Aux États-Unis, ceux qui se proclament Nubiens (ou Ansaaru Allah Community) sont au nombre d'environ 10.000 adeptes bien organisés et dévoués, à New York, Philadelphie et Los Angeles. Les Nubiens s'isolent du reste de la société pour suivre un style de vie particulier. Les femmes portent un voile très couvrant et ne sont généralement pas autorisées à travailler hors de la maison. L'idéologie nubienne considère les Blancs comme des démons et condamne le métissage comme une pollution de l'essence noire. Dans leur tentative de créer une communauté à part de celle de l'Amérique traditionnelle, les Nubiens s'inspirent fortement des modèles américains. Ainsi, leur « serment islamique » fait étroitement écho au Serment d'allégeance [au drapeau des États-Unis] : « Nous prêtons allégeance à l'islam pour l'unité de tous les Noirs et aux Écritures qu'il représente ; un seul peuple, sous Allah, indivisible, avec l'égalité et l'amour pour tous. »
Bien que la notion de circonscriptions électorales définies sur le plan racial et ethnique pour la Chambre des représentants des États-Unis ait fait des progrès, les musulmans n'atteignent pas le nombre requis (quelque 600.000 habitants par circonscription) et n'ont donc pas cherché l'assurance d'une représentation. À un niveau bien plus élevé, cependant, la Nation of Islam exige un État séparé pour les Noirs sur une vaste étendue de territoire américain. En effet, la communauté a vu le jour principalement pour ériger des barrières contre les Blancs. Alors que la plupart des adhérents à la Nation of Islam, nom officiel du mouvement d'Elijah Muhammad, ont intégré les grands courants de la vie politique à la suite de son fils Wallace Deen Mohammad, les groupements croupions dirigés par Louis Farrakhan et Silis Muhammad continuent à émettre des revendications territoriales.
La politique séparatiste sert les intérêts des dirigeants bien plus que ceux de la communauté dans son ensemble. La plupart des immigrés musulmans ont fait de grands progrès en s'intégrant à la société occidentale. Les éboueurs marocains et turcs en Europe se frayent un chemin vers la vie confortable de la classe moyenne, tout comme leurs homologues hispaniques aux États-Unis. Même si elle peut s'avérer inefficace à long terme, étant donné qu'elle va à l'encontre de fortes tendances assimilationnistes, la propagation de l'apartheid culturel perturbe le développement des relations harmonieuses entre les musulmans d'une part et les juifs et les chrétiens de l'autre.
Le séparatisme islamiste se manifeste dans deux contextes. En Europe, les islamistes reproduisent les nombreux siècles d'isolement culturel juif par rapport à la société dominante. Une génération environ après la disparition des ghettos juifs d'Europe, des ghettos musulmans ont vu le jour. Au Moyen-Orient, ils ont à l'inverse mis en œuvre le système du millet en vigueur dans l'Empire ottoman et qui prévoit pour les communautés religieuses une autonomie culturelle mais pas politique. Les Arméniens étaient dirigés par leurs chefs religieux, les juifs étaient jugés selon la loi juive. En plus des inconvénients inhérents à sa nature (dont l'humiliation et la fragmentation), le millet est une notion qui va totalement à l'encontre de l'esprit de la démocratie libérale. Troublées par l'idée de millet, les sociétés d'accueil européennes les rejettent d'emblée, avec pour résultat une agressivité croissante de part et d'autre.
II. La haine de l'Occident
Certains islamistes professent ouvertement la haine de cet Occident qui leur offre l'asile politique, la prospérité et la liberté d'expression. Ils comparent l'Occident à un porc pourri jusqu'à la moelle, contrôlé par les croisés, les francs-maçons, les sionistes et d'autres forces sataniques. L'Occident est synonyme de permissivité, qu'il s'agisse de gourmandise ou de promiscuité. « Le sida, la drogue, les maladies vénériennes, l'abus d'alcool et de tabac » sont « les fléaux de la société occidentale moderne ». Pour eux, le pluralisme ne fait que maquiller la débauche et la perversion. La démocratie ne représente que la dernière astuce des missionnaires chrétiens frustrés dans leurs tentatives séculaires de saper les forces des combattants musulmans.
Mais les islamistes craignent tout particulièrement la laïcité, qu'ils interprètent comme la source du mal de l'Occident (Muhammad Al-Bahiy, érudit égyptien et responsable religieux, a autrefois comparé la laïcité à la « convoitise du ventre et du vagin ») et son principal instrument pour priver l'Islam de sa vitalité. Cette obsession conduit à d'étranges affirmations, telles que l'affirmation selon laquelle l'Agence américaine pour le développement international distribue des fonds aux établissements d'enseignement islamiques à condition que ceux-ci enseignent la laïcité. Un correspondant khomeiniste écrivait depuis Londres que « les dépouilles des morts musulmans doivent être traitées avec respect et dignité... sans être inutilement soumises aux rituels dégradants de la laïcité ». Il ne s'agit pas là des élucubrations d'individus isolés mais de l'idéologie d'un mouvement. Plus encore, certains islamistes se sentent désormais suffisamment en confiance pour dire dans les langues européennes des choses qu'ils se limitaient à dire auparavant dans les langues du monde musulman.
En revanche, d'autres groupes islamistes agissent avec circonspection. Les Frères musulmans s'efforcent d'apparaître aux non-musulmans comme des citoyens respectueux des lois, cultivés et responsables. Ainsi, la branche d'Issam El Attar des Frères musulmans syriens a déclaré qu'elle n'avait jamais enfreint la loi allemande ni commis d'infraction et a en outre prétendu administrer un programme d'Integrationshilfe (aide à l'intégration) pour les nouveaux arrivants musulmans. Cette méthode douce a permis aux Frères musulmans de s'implanter en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, en Belgique, en Espagne et aux États-Unis. Dans le même temps, les programmes éducatifs des Frères et les publications arabes (en particulier la revue At-Tali'a) font la promotion d'opinions suprémacistes qui ne sont pas différentes de celles des khomeinistes et enseignent aux musulmans le mépris pour la société non musulmane qui les entoure.
Les convertis occidentaux se joignent souvent à ces diatribes féroces, ce qui n'est pas tout à fait surprenant car l'Islam a toujours attiré les Occidentaux éloignés de leur propre civilisation. Lorraine Mirza, journaliste de télévision mariée à un khomeiniste pakistanais basé à Los Angeles, a fréquemment pris la parole dans des réunions publiques au cours desquelles elle a utilisé sa connaissance des États-Unis pour manifester un fanatisme anti-américain supérieur à celui de ses gourous à Téhéran.
Cette colère, on la retrouve chez Al-Murabitun, une association de Blancs convertis que l'on trouve principalement en Angleterre, en Allemagne et en Espagne. Fondé par un cheikh écossais, 'Abd-al-Qadir Al-Murabit (Ian Dallas), le Murabitun énonce un Herrenmensch musulman, en fait un nietzschéen déguisé en soufi ou encore un Wagner paré des vêtements orientaux. Dans la vision du monde obsessionnelle de Murabit, Miami est le cœur de la juiverie mondiale qu'il faut éliminer au moyen d'une frappe nucléaire. Au milieu de l'année 1991, une conférence publique du cheikh écossais à Fribourg, en Allemagne, a dû être annulée en raison d'un mouvement de protestation mené contre son antisémitisme flagrant. De la même trempe que les extrémistes néo-nazis ou néo-fascistes, les Murabitun ont, sans surprise, reçu le soutien de la Libye.
III. Le suprémacisme musulman
Certains islamistes, particulièrement les partisans de Khomeiny, vont plus loin que le séparatisme et la haine. Ils dépeignent l'Occident comme prêt à être gouverné par eux qui s'imaginent en être les héritiers. La disparité des taux d'accroissement démographique combinée à l'arrogance idéologique les amène à croire qu'ils finiront par être plus nombreux que les autochtones occidentaux dans leur propre pays.
De manière constante, les islamistes accusent d'agression un Occident, et en particulier l'Amérique, qu'ils considèrent comme faible, mou et décadent. La vision islamiste de « l'Occidental » ressemble à celle de l'image mexicaine du gringo, personne simple, crédule et qu'on peut duper facilement. Pour parler franchement, un grand nombre de Moyen-Orientaux considèrent que « l'Occidental » est plus honnête que « le musulman » et que les gouvernements occidentaux sont plus faciles à gérer que les gouvernements musulmans. Les Occidentaux étant considérés comme capables de demander pardon et enclins à l'autocritique, une grande partie de la rhétorique anti-occidentale vise à inculquer le doute de soi. En outre, les islamistes ont pris à cœur l'idée léniniste selon laquelle l'Occident vendra la corde avec laquelle ils le pendront. Le scandale Iran-Contra a grandement contribué à renforcer cette conviction qu'est venue toutefois contrecarrer l'opération Tempête du Désert. Celle-ci a en effet montré de la part des Occidentaux une détermination inattendue.
Les suprémacistes musulmans ne cachent pas leurs intentions. Harunur Rashid Tipu, rédacteur en chef d'un journal en langue bengalie publié en Angleterre, a expliqué que les dirigeants de la Young Muslim Organisation avaient pour but ultime de « bâtir ici même une société islamique ». Et selon lui, « au vu de la rapidité avec laquelle ils mènent leur projet, il y a de fortes chances qu'ils réussissent. » En France, Fouad Salah, un Tunisien reconnu coupable d'avoir commis entre 1985 et 1986 une série d'attentats à la bombe ayant fait treize morts, a déclaré au juge chargé de son affaire : « Je ne renonce pas à mon combat contre l'Occident qui a assassiné le prophète Mahomet. ... Nous, musulmans, devrions tuer chacun d'entre vous [occidentaux]. » Groupe algérien violent, le GIA a publié un communiqué contenant les menaces suivantes :
Nous poursuivons de toutes nos forces notre jihad et nos attaques militaires, et cette fois au cœur de la France et de ses plus grandes villes. ... Nous promettons qu'ils [les Français] n'auront plus ni sommeil, ni loisirs et que l'Islam entrera en France, qu'ils le veuillent ou non.
Bien qu'extrêmes, ces prises de position ne sont guère exceptionnelles. À Jersey City, près de New York, un enseignant de l'école islamique Al-Ghazly propose une version modérée de cette même ambition : « Notre objectif à court terme est d'introduire l'islam. À long terme, nous devons sauver la société américaine. Allah demandera pourquoi je n'ai pas parlé de l'Islam car ce morceau de terre est la propriété d'Allah. »
Certaines organisations épousent la norme islamique. Le 4 janvier 1992 en Grande-Bretagne, les khomeinistes du Muslim Institute ont créé un Parlement musulman (Les musulmans belges ont créé un parti islamique quelques mois plus tard). Ses deux cents membres ont proclamé un « État islamique non territorial ». Prenant pour modèle l'administration chiite alternative de l'Irak que Khomeiny a instaurée à Téhéran peu après son arrivée au pouvoir, le Parlement musulman se voit comme le futur gouvernement du Royaume-Uni. Le sérieux de cette entreprise est évident quand on voit la structure élaborée des sous-organisations du Muslim Institute, y compris le Muslim Women's Institute et le Muslim Business Group. Bien que cette manœuvre khomeiniste sur la scène politique n'ait qu'un poids modeste parmi les musulmans (majoritairement sunnites) de Grande-Bretagne, les frustrations pourraient contribuer à alimenter le développement de ces projets qui, dans ce cas, pourraient s'avérer nuisible, surtout si Téhéran se met à peser de tout son poids dans le stratagème.
Les Loups gris (connus par la suite sous le nom de Foyers idéalistes) ont commencé en tant qu'organisation de jeunesse adepte de l'adoration chamanique du Loup gris, un ancêtre légendaire. Avec le temps, les Loups gris ont greffé sur cette base des notions de suprématie islamique et produit un mélange à haute teneur chauviniste. Dirigés par Alparslan Türkes, colonel à la retraite et grand admirateur d'Hitler, les Loups gris entretiennent une trentaine de Centres culturels islamiques (en réalité, des clubs-houses avec salles de prière) en Europe occidentale et se présentent comme une organisation communautaire de musulmans de la diaspora turque. Ils endoctrinent les membres en leur inculquant le mépris et l'hostilité envers la société d'accueil occidentale, et fondent leur croyance sur l'hypothèse d'une race turque intrinsèquement supérieure qui a un droit providentiel de gouverner. Même si ce sectarisme haineux a peu de choses en commun avec la religion traditionnelle, il est enseigné dans les écoles coraniques des centres culturels islamiques.
Il y a quelques années, le Parti du salut national de Turquie a créé en Europe occidentale le Milli Görüş Teskilatlari, généralement traduit par Mouvement pour une vision nationale (parfois Union turque de l'Europe). Sur un ton polémique typique du Milli Görüş, un tract de 1981 déclare que « la guerre a éclaté entre les musulmans et l'Occident ». Les membres de cette organisation islamiste militante s'en remettent à leurs cellules révolutionnaires pour la préparation de la révolution islamique mondiale.
Curieusement, les islamistes ont déjà tenté une Révolution islamique en Occident, sur l'île antillaise de Trinidad. En juillet 1990, un groupe lié aux « Nubiens » de New York (disciples d'Isa Muhammad) a tenté de renverser le gouvernement démocratiquement élu de ce pays qu'ils ont réussi à retenir en otage pendant plusieurs jours avant de terminer en prison.
B. VIOLENCE POLITIQUE, CRIMINALITÉ ET PROBLÈMES FAMILIAUX
Importation de la violence politique
Les musulmans d'Occident agissent violemment, non pas à cause d'une tendance violente inhérente à l'islam, mais pour des raisons liées à leur pays d'origine et à leur propre situation. Les nombreux conflits idéologiques et militaires du monde musulman ont tendance à déborder sur l'Europe et l'Amérique. Le conflit israélo-arabe, la guerre civile au Liban et la guerre Iran-Irak sont la cause de nombreux incidents mais d'autres conflits – Afghanistan, Koweït, Azerbaïdjan, les Kurdes, Chypre, Yougoslavie, Somalie, Tchad – génèrent également des frictions palpables en Occident. Les poussées idéologiques, en particulier celles de Kadhafi et de Khomeiny, font des ravages.
Les musulmans immigrés semblent parfois être les seuls à s'attaquer aux problèmes politiques du Moyen-Orient, sans direction institutionnelle. Les ennemis solitaires des régimes du Moyen-Orient font de même quand ils recourent à la violence sur le sol occidental. En 1992, lors d'une visite à Ottawa, le chef islamiste soudanais Hassan Al-Tourabi a été victime des talents de karatéka de Hashim Badr ad-Din, un Soudanais dévot qui accusait Tourabi de déformer l'islam. Quant aux Kurdes, s'ils devaient avoir un quelconque lien avec l'assassinat du Premier ministre suédois Olof Palme, il s'agirait semble-t-il d'un acte indépendant.
Omar Abdel Rahman, le cheikh aveugle. |
La plupart du temps, cependant, ce sont les régimes du Moyen-Orient qui parrainent la violence avec leurs intérêts pour objectif – pour arrêter le rapprochement israélo-arabe, tuer des exilés dangereux, se venger d'un gouvernement étranger. Certains tyrans du Moyen-Orient vont plus loin en essayant d'instrumentaliser les musulmans en Occident pour s'immiscer dans les affaires intérieures des pays occidentaux ou pour en faire une cinquième colonne. Mouammar Kadhafi a un jour expliqué la raison de ses démarches en faveur des musulmans de France :
Il y a des centaines de milliers d'élèves et d'étudiantes qui ont été exclues de l'éducation parce qu'elles portent des tenues islamiques. J'ai envoyé un message au président français pour attirer son attention sur cette question et il a considéré cela comme une ingérence dans les affaires intérieures de la France.
Plus inquiétant encore, Téhéran a prévenu que les musulmans vivant au Royaume-Uni pourraient être contraints « de chercher des moyens extralégaux pour protéger leurs droits ». Un mois avant son invasion du Koweït, Saddam Hussein a prévenu que si un pays arabe est attaqué par des États occidentaux, « vous verrez alors que les citoyens arabes, même ceux qui vivent aux États-Unis et en Europe, feront la guerre comme s'ils étaient au front. » Cela ne s'est pas produit mais les craintes occidentales ne sont pas apaisées pour autant.
Même s'ils comptent généralement sur leurs propres citoyens pour mener à bien les opérations, les États font parfois appel à des ressortissants étrangers. Téhéran, par exemple, dispose de son vaste réseau terroriste structuré sur plusieurs niveaux, solidement enraciné et composé de chiites du Liban, d'Irak et des pays du Golfe ainsi que de sunnites du Pakistan, de Turquie, de Tunisie, d'Algérie et du Maroc. Il attire même les convertis occidentaux, en particulier les Américains et les Allemands.
Le terrorisme iranien s'est particulièrement répandu, comme le montre la série d'assassinats politiques dont les meurtres perpétrés à Berlin, l'assassinat de deux dirigeants kurdes, d'une personnalité exilée à Rome et l'attentat à la bombe commis contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires. Parmi les autres meurtres, citons ceux de l'ancien Premier ministre Shapour Bakhtiar à Paris et Kazem Radjavi, avocat et auteur, à Genève. L'intimidation exercée depuis le Moyen-Orient sur les opposants a été particulièrement intense en France et en Allemagne, probablement en raison de l'empressement avec lequel les gouvernements de ces pays ont maintenu leurs accords commerciaux avec Téhéran, sans compter le fait que les autorités françaises ont également permis à certains groupes terroristes (dont l'OLP) de traverser librement leur territoire.
La menace qui pèse sur Salman Rushdie reste une menace mineure mais persistante pour la sécurité publique de l'Occident dans son ensemble. Le décret de l'Ayatollah a généré une dynamique propre qui durera probablement aussi longtemps que Rushdie vivra ou que Les Versets sataniques continueront à être imprimés. Les assassinats liés à l'affaire se poursuivent et provoquent des représailles contre les musulmans résidant en Occident. Le 12 juillet 1991, le traducteur japonais des Versets sataniques était assassiné, événement qui inquiète beaucoup la communauté musulmane du Japon. De la même manière, la tentative d'assassinat d'Ettore Capriolo, traducteur italien du roman, le 3 juillet 1991, s'avère préjudiciable à la situation de la communauté musulmane en Italie. Lorsqu'au cours d'une interview télévisée, le Dr Munir D. Ahmed, universitaire pakistanais du Deutsches Orient-Institut de Hambourg et fervent admirateur de Khomeiny, n'a pas condamné Rushdie, il a fait l'objet des menaces. Après avoir vécu caché pendant un certain temps, il s'est publiquement excusé dans Al-Fadschr, le magazine khomeiniste publié en Allemagne.
Loin d'être inexistant, le terrorisme basé au Moyen-Orient a pourtant été plus rare aux États-Unis. Pourquoi cela ? Peut-être à cause de la plus grande distance géographique, d'un meilleur travail policier et d'un gouvernement moins apaisant. Cela peut également résulter du fait que les musulmans qui s'installent aux États-Unis sont généralement plus instruits et moins islamistes que leurs congénères européens.
Plusieurs développements indiquent une augmentation de la violence dans l'avenir. Saddam Hussein n'a pas encore réussi à se venger de la défaite qu'il a subie en 1991 de la part de l'Occident. L'Europe accueille de nombreux groupes mécontents de la situation dans leur pays d'origine – Iraniens anti-islamistes, Algériens islamistes, Kurdes antiturcs et irakiens, Palestiniens anti-israéliens, etc. La tragédie bosniaque ne manquera pas d'alimenter un nouveau terrorisme. De nombreux musulmans de toutes nationalités sont convaincus que les Européens chrétiens ont permis que ce génocide se produise parce que les Occidentaux ne pouvaient pas tolérer un État majoritairement musulman en Europe. Certains des millions de Bosniaques déplacés et leurs sympathisants musulmans chercheront sûrement à se venger.
Bref, une augmentation des meurtres de et par des musulmans en Occident est à prévoir.
Violence politique autochtone
Certaines formes de violence n'ont rien à voir avec le Moyen-Orient mais se développent en raison de circonstances propres à l'Occident. Les immigrés et les convertis occidentaux à l'islam ont des cadres de référence distincts et doivent donc être considérés à part.
Les immigrés. De toutes les tensions considérées ici, les émeutes déclenchées par ou contre les immigrés (et communément appelées émeutes raciales) présentent le plus grand risque de troubles immédiats. En Angleterre, il s'agit principalement d'Antillais non musulmans mais en Allemagne, en France, en Belgique et dans plusieurs autres pays, elles concernent presque toujours en premier lieu les musulmans. Il se peut que les griefs menant à de telles émeutes n'aient rien à voir avec l'islam (ils mettent souvent l'accent sur la discrimination ou la brutalité policière). Toutefois la prédominance de la composante musulmane se traduit généralement par l'adoption rapide de slogans et symboles islamiques.
Les incidents violents éclatent généralement dans des villes périphériques aux logements bon marché, devenues des banlieues musulmanes aux allures de ghettos où le chômage est souvent élevé et les espoirs limités. En 1991, la France et la Belgique ont connu des émeutes communautaires qui se sont transformées en mini-guerres civiles : d'un côté, les musulmans (Maghrébins, Africains subsahariens), de l'autre, la police et parfois des foules d'autochtones (Français, Belges). Des problèmes similaires au sein de la population turque d'Allemagne augurent des troubles futurs. Jusqu'à présent, ces « problèmes de banlieue » ont coûté peu de vies mais occasionnent des dégâts sur le plan matériel et psychologique.
Les immigrés musulmans se battent aussi entre eux et avec d'autres immigrés. Malgré la religion qui les unit, la population de la diaspora se compose de groupes distincts qui ont peu de choses en commun, qu'il s'agisse de l'histoire, des coutumes ou de la culture. Les musulmans noirs africains ont des priorités différentes de celles des Blancs bosniaques. Parfois, les violences entre immigrés sont l'importation de conflits en cours dans les pays d'origine :
- Conflits entre musulmans de même nationalité (mais de langues différentes) : Turcs et Kurdes turcs (en Allemagne), Iraniens et Kurdes iraniens (en Autriche).
- Conflits entre musulmans de même nationalité (mais de différentes obédiences) : sunnites et chiites d'Inde et du Pakistan (en Grande-Bretagne), sunnites et ahmadis du Pakistan (en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux États-Unis). Dans certains cas, comme celui des sunnites et alévis de Turquie (en Allemagne), les groupes ont beaucoup plus de contacts entre eux dans la diaspora que dans le pays d'origine.
- Conflits entre musulmans de différentes nationalités. Une partie de cette violence déborde du Moyen-Orient, comme dans le cas des Iraniens et des Irakiens, tandis que le reste provient de l'Occident. Des nationalités jusque-là peu familières les unes aux autres développent de fortes antipathies et recourent à la force pour régler leurs différends. En France, Marocains et Turcs s'affrontent à propos du logement et des femmes, comme dans une bataille de territoires. En Norvège, les Turcs sont devenus furieux à cause d'un téléfilm sur la communauté musulmane locale qui ne présentait que des Pakistanais. De leur point de vue plutôt étroit, les pratiques pakistanaises semblaient étranges, voire scandaleuses.
- Conflits entre musulmans et non-musulmans de même nationalité : musulmans et coptes égyptiens (aux États-Unis), musulmans et chrétiens chaldéens de Turquie (en Scandinavie), musulmans et juifs d'Afrique du Nord (en France et en Espagne), musulmans et chrétiens du Liban. Les chiites d'Iran agissent contre leurs compatriotes de confession bahaïe, juive et zoroastrienne.
- Conflit entre musulmans et non-musulmans de différentes nationalités : Grecs et Turcs (en Allemagne de l'Ouest et en Grande-Bretagne), Arméniens et Turcs (en France et aux États-Unis), Indiens hindous et Pakistanais musulmans (en Grande-Bretagne).
Aux États-Unis, la violence impliquant des musulmans immigrés répond moins à des modèles établis. Parfois, il s'agit de la reproduction de l'émeute raciale européenne, comme à Chicago en 1992, lorsque l'équipe de basket-ball de la ville a remporté le championnat et que les Noirs ont fêté la victoire en vandalisant des magasins appartenant à des Arabes (la scène ne s'est pas répétée en 1993 car les propriétaires de magasins se sont préparés à une éventuelle victoire des Chicago Bulls en achetant des armes).
À d'autres moments, la violence américaine impliquant des immigrés concerne davantage la religion que l'appartenance ethnique comme le montre l'exemple tragique de Rashad Khalifa, un biochimiste égyptien installé à Tucson, en Arizona. Khalifa a étudié le Coran dans le but d'enseigner l'islam à sa femme, une Américaine, et à ses enfants. En tant que scientifique, il a appliqué sa méthodologie au Coran et a découvert, au terme d'une analyse numérologique par ordinateur, que le nombre dix-neuf fournit la clé de son contenu (Ce n'était pas nouveau : des ordinateurs avaient conduit d'autres numérologues à la même conclusion). Dans un premier temps, les musulmans ont réservé à cette conclusion un accueil favorable voire un enthousiasme considérable. Mais par la suite, Khalifa a poussé sa théorie sur le nombre dix-neuf trop loin lorsqu'à l'aide de ses formules, il a calculé la date exacte du Jour du Jugement. À ce stade, les musulmans traditionnels ont condamné ses démarches qu'ils ont qualifiées de « canular de piètre facture ». Khalifa a franchi une nouvelle étape hors des sentiers battus en concluant que le schéma des dix-neuf excluait les deux derniers ayats (versets) de la sourate 9 et a aggravé la situation lorsqu'il a publié un Coran sans ces deux ayats. Enfin, Khalifa s'est déclaré prophète (nabi), ce qui correspond à peu près à l'offense la plus grave selon l'islam qui considère Mahomet comme le « sceau des prophètes ». Le 27 février 1989, le 11ème Majlis al-Fuqaha' (Conseil de savants religieux) s'est réuni à La Mecque et a déclaré Khalifa infidèle (kafir). Un an plus tard, il trouvait la mort, assassiné par des agresseurs inconnus, vraisemblablement des musulmans orthodoxes irrités par ses enseignements.
Les convertis. Les convertis européens ont rarement recours à la force. En revanche, les convertis américains, et particulièrement les Afro-Américains, sont les auteurs de violences graves dont le cas le plus célèbre est l'assassinat de Malcolm X, en 1965. Mais ce n'est pas le seul assassinat perpétré au sein de la Nation of Islam. Certains gangs ont récupéré l'islam pour servir de couverture à leurs activités criminelles. L'un des plus connus est El Rukn, le gang de rue le plus violent de Chicago qui à un moment donné, a même reçu de l'argent de la Libye.
L'islam ne fournit souvent guère plus qu'une couverture aux haines sectaires qui ont peu à voir avec la foi dominante. Alors que la plupart des convertis afro-américains à l'islam ont laissé derrière eux les doctrines racistes léguées par leur fondateur, Elijah Muhammad, certains continuent à suivre voire à accentuer ces enseignements. Louis Farrakhan, un orateur talentueux, dirige la Nation of Islam, éditeur de The Final Call. Espérant suivre les traces de Malcolm X en tant que leader du radicalisme noir, il s'est fait un nom en organisant un groupe de défense et de protection anti-drogue, en particulier dans la région métropolitaine de Washington DC. Lorsqu'en 1990 un policier de Los Angeles menacé par des membres de la Nation of Islam a tiré sur l'un d'eux en état de légitime défense, Farrakhan a habilement profité de cette occasion pour bâtir une campagne médiatique axée sur la mise en valeur de son propre rôle.
Silis Muhammad à Atlanta dirige un autre groupe, The Lost-Found Nation of Islam, Inc., qui publie la revue Muhammad Speaks et met l'accent sur la fibre extrêmement raciste des enseignements d'Elijah Muhammad. Un jour, il a refusé d'accepter l'épouse blanche d'un sympathisant, bien que celle-ci se soit convertie et ait affirmé par écrit la supériorité de la race noire tout en dénonçant la sournoiserie de sa propre race !
Les frictions entre les convertis noirs et les immigrés dégénèrent parfois en violence car la relation maître-disciple semble porter en elle des attentes de la part des convertis qui restent insatisfaites. Les « Nubiens » d'Isa Muhammad sont aussi anti-arabes qu'anti-caucasiens. Ils font la distinction entre ce qu'ils appellent les Arabes « rouges » (ou arabes « pâles » ou « soi-disant Arabes ») et les Arabes noirs. Isa Muhammad dénonce les Moyen-Orientaux comme racistes. « Vous ne pouvez pas me dire qu'il n'y a pas de racisme dans l'islam puisque je l'ai vu... Les Arabes pâles prennent de haut les Arabes noirs. » Les Nubiens dépeignent le prophète Mahomet comme un Arabe noir, ignorant allègrement à la fois sa généalogie arabe et l'interdiction islamique de représenter le prophète.
Exemple des tensions entre immigrés et Afro-Américains, l'enseigne affichée en novembre 1990 dans un quartier à prédominance noire de Chicago : « Ce magasin est en cours de rénovation. Aucun Arabe ne sera engagé ». |
Selon un converti britannique : « L'islam est valable pour l'ensemble de la Grande-Bretagne. Nous voulons la débarrasser de sa culture asiatique, celle des immigrés. » Déçu et vindicatif, un converti afro-américain a incité à tuer deux figures de l'islamisme à Philadelphie : Muhammad Aslam, Pakistanais assassiné en 1982, et Isma'il Raji al Faruqi, d'origine palestinienne, professeur d'études islamiques à la Temple University, assassiné en 1986 avec sa femme, également spécialiste de l'islam.
L'affaire Faruqi mérite une certaine attention car elle touche à un autre thème, le racisme. L'indifférence raciale de l'islam attire de nombreux Noirs américains mais, dans le même temps, conduit à de graves tensions avec les immigrés du Moyen-Orient qui, quoi qu'en dise la théorie, font preuve d'un racisme endémique. Les rencontres prolongées entre immigrés et convertis noirs font parfois voler ce mythe en éclats, avec parfois des conséquences tragiques. D'apparence slave et marié à une Américaine d'origine scandinave, Faruqi vivait dans une imposante maison située dans un quartier blanc. Les anciens admirateurs noirs de Faruqi ont fini par ne plus apprécier du tout l'intérêt qu'il portait principalement au bien-être de ses étudiants immigrés.
L'assassin de Faruqi, Yusuf 'Ali (Josef Young), ancien proche disciple, avait été encouragé par un autre converti. Tous deux estimaient que Faruqi avait trahi la cause des Afro-Américains opprimés. Yusuf 'Ali a exprimé ses sentiments xénophobes à Yushau Sodiq, un étudiant nigérian qui était son ami et professeur d'arabe : « Quand vous venez dans notre pays, vous ne savez rien et vous n'avez rien, mais en trois ans, vous y êtes arrivés. Nous vous aidons dans vos premiers pas, nous vous enseignons notre langue. Après trois ans, vous avez un travail, une voiture et une maison. Mais nous, les Américains, sommes toujours là où nous étions quand vous êtes arrivés. Nous faisons du sur place pendant que vous, les étrangers, allez de l'avant. »
Criminalité
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le taux de criminalité des immigrés musulmans de la première génération se situe, en moyenne, 40 % en dessous de celui de la population autochtone. Ce modèle de comportement respectueux des lois résulte de l'origine rurale de la grande majorité des immigrés et de leur peur d'être expulsés en cas de comportements délinquants. Toutefois, il n'en va pas de même avec les deuxième et troisième générations, en particulier les beurs (musulmans de deuxième génération en France) et les Turcs nés en Allemagne. Ces derniers se livrent au vol, au vandalisme et aux combats meurtriers entre gangs. En 1991 dans la ville allemande de Stuttgart, qui héberge le siège des usines Mercedes ainsi qu'une population musulmane d'environ 15 %, les enfants d'immigrés musulmans y représentaient près de 85 % des jeunes délinquants.
À leur arrivée en Occident, les immigrés du Moyen-Orient et d'Afrique avaient tendance à se spécialiser dans l'un ou l'autre type d'activité criminelle. Dans les années 1960 et 1970, les Arabes orientaux avaient organisé la tristement célèbre « Route Mercedes », qui consistait à envoyer via l'Espagne et l'Afrique du Nord vers le golfe Persique, des voitures volées en Europe occidentale. Ils ont également engagé – et parfois même enlevé – des femmes pour les prostituer au Moyen-Orient, ce qu'on a appelé la traite des Blanches. Ces deux métiers ont ensuite décliné. La police a pris des mesures plus sévères lorsque les vols de voitures sont devenus incontrôlables, tandis que les femmes du Sud et de l'Est asiatiques ont pris la place des femmes européennes.
Parfois, c'est la société d'accueil qui encourage à emprunter la voie criminelle. Beaucoup parmi les premiers Turcs en Allemagne ont trouvé un emploi comme videur dans des boîtes de nuit, établissant la quasi-tradition d'embaucher des Turcs pour des emplois impliquant de la violence physique (tels que des activités criminelles). Au cours des années 1950, les Algériens ont trouvé en France un créneau comme proxénètes. Ces carrières criminelles ont alors beaucoup diminué, moins par peur de l'emprisonnement que par crainte de l'expulsion.
Aux États-Unis, la majorité des immigrés musulmans ont un bon niveau d'instruction et trouvent un emploi. Leurs enfants ont beaucoup moins de démêlés avec la justice que d'autres groupes de population, en particulier les Noirs. Un cambrioleur saoudien pris en Virginie est plus une curiosité qu'un cas typique.
Même s'ils ont leur part dans l'ensemble des activités illégales, les musulmans n'ont pas créé de nouvelles organisations criminelles contrairement aux Croates et aux Serbes en Allemagne ou aux « triades » chinoises aux États-Unis. Si les musulmans se sont fait un nom dans l'activité criminelle, c'est dans les grandes entreprises. À l'exception de l'Agha Khan, basé à Paris, pratiquement tous les magnats musulmans établis en Occident ont fini par être poursuivis pour escroquerie. Adnan Khashoggi et Ghaith Pharaon ont été mis en examen aux États-Unis, Rifat Sayed en Suède et Asil Nadir en Grande-Bretagne (Nadir fuit désormais la justice et se cache dans la partie turque de Chypre). Les moins célèbres trouvent aussi le moyen d'avoir des ennuis. En août 1991, Muhammad Naviede, propriétaire d'une société de financement commercial, Arrows Ltd, a été mis en liquidation en raison d'irrégularités. Ces cas de grande escroquerie ont nui au moral de la communauté musulmane dont ils ont freiné le progrès économique, et ont porté gravement atteinte à l'épanouissement de l'islam en Occident.
Mais le pire des cas, en termes d'ampleur, de malveillance et de notoriété, est celui de la Bank for Credit and Commerce International (BCCI). Agha Hassan Abedi, un Pakistanais aux origines aristocratiques indiennes (ou hindoustani) a créé la BCCI comme une banque islamique qui ne dit pas son nom. Ce sont des musulmans qui occupaient la plupart des postes de la BCCI en Europe et ce sont des musulmans qui plaçaient leurs économies de manière disproportionnée dans cette banque. Les employés et les clients musulmans la considéraient comme une banque islamique et en étaient très fiers. La BCCI était également étroitement liée à la diaspora musulmane : la plupart de ses dirigeants étaient des hindoustanis vivant en Occident.
Au début, les décideurs hindoustanis de la BCCI espéraient constituer un « pont » entre le monde islamique et l'Occident. Ensuite, le succès phénoménal de la BCCI a poussé Abedi et la direction de la banque à viser toujours plus haut au point de finir par s'engager dans une sorte de prise de contrôle hostile de l'Occident en l'achetant et en sapant sa fibre morale. Cela peut sembler absurde mais l'équipe de la BCCI voyait cette entreprise commerciale comme un instrument de conquête du monde. À cette fin, elle a placé sur ses listes d'éminentes personnalités telles que Jimmy Carter et l'ancien Premier ministre britannique James Callaghan.
L'effondrement de la BCCI à la mi-1991 a donc été un scandale ouvertement islamique. Les islamistes radicaux ont choisi de présenter le problème en disant non pas que des banquiers musulmans avaient trahi leurs clients mais que l'Occident avait sapé une institution islamique. Gulam Sabdia explique cette attitude :
La campagne menée actuellement contre la Bank of Credit and Commerce International (BCCI) dans toute la partie du monde dominée par les sionistes fait partie d'un plan plus large visant à contrôler totalement le « tiers monde » et à empêcher la possibilité que les musulmans et les pauvres prennent le contrôle de leur propre richesse. Bienvenue dans le nouvel ordre mondial.
Comme Saddam, la BCCI n'était pas une menace pour eux mais ils se sont dit, tout en détruisant le monde musulman politiquement et militairement, pourquoi ne pas détruire aussi toutes les autres institutions.
Le message envoyé par les sionistes est clair : ne remettez pas en question de l'intérieur la supériorité de notre système.
Ce discours correspond à un schéma typique : chaque fois qu'une personnalité musulmane atteint une position de pouvoir et finit par tomber, les islamistes radicaux expriment leur indignation non pas parce que la communauté a été exploitée et déshonorée par un escroc, mais parce que, comme ils le disent, « l'Occident ne permettra pas à un musulman de réussir ». La stratégie consistant à faire passer Asil Nadir pour une victime a trouvé un soutien dans au moins une fraction de la communauté turque d'Angleterre. Il arrive que les Arabes et les Pakistanais placent la question dans une perspective ethnique, en postulant que l'Occident rejette leurs nationalités. En d'autres termes, c'est toujours l'Occident qui est à blâmer.
Problèmes familiaux
La manière dont les immigrés musulmans traitent leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles est la cause de nombreux conflits avec les communautés d'accueil. Les Occidentaux perçoivent généralement les pratiques musulmanes comme inhumaines. Certains vont plus loin et considèrent que les musulmanes ne jouissent pas des droits humains les plus fondamentaux.
Une série de problèmes se pose. Fin 1989, l'opinion publique française a connu une grande agitation autour d'une controverse sur des jeunes filles islamistes souhaitant se rendre à l'école publique coiffées d'un foulard et vêtues d'une sorte d'uniforme islamiste composé d'une robe longue ou d'un manteau couvrant. La controverse sur le foulard en France a rouvert de vieilles blessures et en a créé de nouvelles. En France, la grande question nationale du XIXe siècle concernait l'Église et l'État. En grande partie, le sujet s'est joué sur le terrain de l'enseignement jusqu'à ce que, finalement, un compromis soit trouvé : les écoles publiques seraient strictement laïques mais le gouvernement soutiendrait les institutions catholiques. Ce compromis a survécu à des décennies de différends et a été réaffirmé en 1986 avant de voler en éclats, à la fin de 1989, face à l'insistance islamiste sur le port du voile pour les femmes.
En 1991, le même type de controverse s'est produit en Allemagne, où il s'est concentré sur la question de savoir si les filles islamistes étaient exemptées des cours de natation obligatoires à l'école voire de toute activité sportive. La presse a longuement discuté d'une décision de justice très controversée exemptant les filles musulmanes des cours de natation. Cette question ne s'est pas encore posée aux États-Unis mais il convient de noter qu'à Dearborn dans le Michigan, des parents musulmans fondamentalistes ont obtenu du conseil de l'école primaire Salina la permission de séparer garçons et filles pendant les cours de sport.
Des milliers de filles musulmanes fuient la sévérité de leur foyer pour trouver refuge auprès d'agences gouvernementales ou de proxénètes. Plus d'une centaine de cas de suicide ou de tentatives de suicide ajoutent à l'urgence du problème. Il arrive que des filles musulmanes soient retirées de l'école ou des organismes de protection sociale par leurs pères ou leurs frères qui les renvoient au pays pour être mariées de force et qui, parfois, vont jusqu'à assassiner la fille ou la sœur récalcitrante.
Les mariages mixtes entraînent d'énormes tensions. Alors qu'ils permettent aux hommes d'épouser des femmes non musulmanes qui peuvent même rester infidèles, l'islam exige que la femme musulmane épouse un musulman, ce qui signifie bien souvent que les filles ne peuvent pas épouser l'homme de leur choix. Les érudits musulmans libéraux pourraient convenir que le mariage entre une musulmane et un chrétien ou un juif n'est pas à exclure catégoriquement mais les musulmans traditionalistes et les islamistes rejettent fermement cette possibilité.
L'interdiction faite aux musulmanes de se marier hors de l'islam présente un risque énorme de conflit. Elle contribue à une hostilité générale envers les musulmans et entraîne des actes de violences dont des combats entre gangs rivaux. Au milieu des années 1970, Berlin-Est a été le théâtre de bagarres périodiques entre Allemands et Arabes de sexe masculin à propos de jeunes filles, ce qui conduisait parfois à des émeutes inédites dans les pays du bloc soviétique. Les groupes travaillant pour la compréhension entre chrétiens et musulmans abordent souvent la question explosive du choix des femmes dans le mariage. Crislam, un groupe espagnol présidé par le père blanc Emilio Galindo Aguilar, a longuement délibéré sur cette question, en vain.
Si les femmes musulmanes immigrées mariées à des occidentaux restent rares, leurs homologues masculins par contre ont pleinement profité de leur liberté d'épouser des non-musulmanes. Ainsi depuis 1950, plus d'un million d'entre eux ont épousé des occidentales principalement en France et en Allemagne. Ces nombreux mariages ont également conduit à de nombreux divorces, en raison du nombre de toute façon élevé des divorces parmi les Européens et les Américains mais aussi à cause de la difficulté supplémentaire que représente la mixité culturelle. Par ailleurs, le divorce conduit à de terribles disputes concernant les enfants. Alors que les lois occidentales favorisent la mère, la loi islamique attribue les enfants au père. C'est là qu'est le nœud de nombreuses batailles violentes pour l'obtention de la garde. Pour parer à toute éventualité lors d'un procès devant un tribunal hostile, il arrive régulièrement que les pères musulmans enlèvent leurs enfants pour les emmener dans leur pays d'origine, hors de portée des lois occidentales. Se considérant comme les bénéficiaires d'une prérogative traditionnelle, les hommes ramènent les enfants au pays pour que ceux-ci soient élevés dans un cadre traditionnel et ne deviennent pas des Arabes de la rue en Occident.
En France, les enfants enlevés et emmenés en Algérie se comptent par milliers. Il existe des ravisseurs professionnels qui enlèvent les enfants entre la France et l'Algérie. L'Association des mères d'enfants enlevés, dont le siège est à Paris, exerce une influence politique comparable à celle des Mères de la Place de Mai en Argentine. Partout en Occident, des dizaines de milliers d'enfants ont été enlevés. Si on tient également compte des membres de la famille, ces cas touchent des centaines de milliers de personnes en Occident. Par ailleurs, le problème va bien au-delà des parents et des familles concernées car il touche une corde particulièrement sensible de la psyché occidentale et attise les sentiments hostiles aux musulmans. Il agite l'opinion publique depuis deux décennies et a même perturbé les relations diplomatiques entre les gouvernements français et algérien.
Le livre de Betty Mahmoody publié en 1987, Jamais sans ma fille, a eu un retentissement majeur. |
Même les Iraniens les plus laïcs ont perçu Jamais sans ma fille comme une diffamation de leur peuple et de leur culture, ce qui a suscité de leur part des répliques furieuses sous la forme de livres volumineux. Paul Loeffler, une personnalité luthérienne de Francfort impliquée depuis longtemps dans le dialogue entre chrétiens et musulmans, craint que l'histoire de Mahmoody n'ait porté atteinte aux relations entre chrétiens et musulmans plus que tout autre phénomène.
C. NATIVISME
Presque partout en Europe occidentale, une majorité au sein de la population chrétienne et juive d'origine se plaint d'être submergée par des hordes d'étrangers miséreux et en particulier par des musulmans. Mais un petit nombre va plus loin et adopte des idées relevant du nativisme. Ils négligent l'individu au profit du groupe, jouent sur l'importance de la couleur de peau et promeuvent un nationalisme agressif. Le nativisme a des similitudes marquées avec le fascisme.
L'hostilité envers les musulmans découle en partie de l'antipathie universelle envers les étrangers. Les problèmes d'emploi provoquent de nombreuses tensions car les Européens tiennent les étrangers pour responsables du manque de possibilités d'embauche et, par conséquent, veulent voir partir ces étrangers qu'il vont parfois jusqu'à agresser. Les Allemands en particulier ont l'impression d'avoir perdu le contrôle de leurs frontières et pensent que n'importe qui peut atterrir dans leur pays et bénéficier dans la foulée d'avantages sociaux. S'installe alors le sentiment d'être assiégé. L'Europe, dit-on, ne peut plus accueillir davantage de personnes. « La barque est pleine » entend-on d'un bout à l'autre du continent.
Les nativistes soulignent l'incompatibilité de l'islam avec les principes constitutionnels occidentaux. Ils considèrent qu'un totalitarisme de nature islamique fondamentaliste est en train de gagner en force au moment même où le totalitarisme dans sa version communiste perd de sa vigueur. Sur le plan économique, les minorités musulmanes constituent un handicap qui contribue davantage à la surpopulation et au chômage qu'à la productivité. Les musulmans cherchent invariablement à imposer leur système de valeurs et leur mode de vie aux autres et quand ils se heurtent à une opposition, ils ont recours au terrorisme. En l'absence de lien avec le pays d'origine de leur famille, les générations nées en Occident deviennent déracinées et sujettes à la violence.
Le nativisme est en outre alimenté par les spécificités de la présence musulmane.
Sentiments anti-islamiques
Le fait d'être musulman constitue en soi un motif d'antipathie. L'héritage historique anti-islamique du monde chrétien fait que les musulmans sont plus détestés que la plupart des étrangers (peut-être pas plus que les Vietnamiens en Europe de l'Est). Les Africains et les Noirs américains peuvent souffrir davantage parce qu'ils sont plus visibles mais les préjugés contre eux sont en fait moins importants que ceux contre les Arabes, les Turcs et les Pakistanais. Comme Judith Miller l'observait en référence à l'Europe occidentale, « pour la plupart, les Africains non arabes ne sont ni craints ni méprisés ». De même, un magazine français a observé que « tout le monde parle du problème des immigrés alors qu'en vérité ils n'ont en tête qu'une seule catégorie [...] les Arabes. » En somme, comme le dit Le Monde, les Européens sont convaincus que l'islam n'est pas « une religion comme les autres ».
L'hostilité prend souvent une dimension viscérale. Günter Wallraff cite une conversation entre deux Allemands d'âge moyen, ouvriers dans la construction, alors qu'ils sont dans des toilettes contiguës : « Qu'est-ce qui sent plus mauvais que la pisse et la merde ? », demande le premier. « Le travail », répond l'autre. Et le premier de rétorquer : « Non, un Turc ». Les rapports sur la xénophobie croissante en Scandinavie soulignent que l'islam est généralement le problème le plus fréquemment mentionné. « En Norvège, un commerçant dit à un journaliste qu'il déteste toujours les Allemands en raison de l'occupation pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aujourd'hui, il s'inquiète davantage de l'influence des "musulmans norvégiens" ethniques. » Il arrive que l'antipathie envers les musulmans soit motivée par la haine religieuse (comme l'exprime un graffiti de Cordoue, en Espagne: « Jésus Oui, les musulmans Non ! »).
La situation en Europe devient de plus en plus tendue, car même ceux qui sont bien disposés envers les étrangers expriment leur indignation face à l'afflux continu d'immigrés, pour la plupart musulmans. Deux vignettes allemandes peuvent aider à comprendre les tensions : un jour, lors de la visite de Leonid Brejnev à Bonn, des Afghans ont manifesté contre lui en criant Russen 'raus, wir wollen nach haus! (« Les Russes dehors, nous voulons rentrer chez nous ! »). Les spectateurs n'ont pas sympathisé, mais se sont plutôt moqués : « Excellent, oui, rentrez chez vous, allez là où est votre place. Nous aussi, nous voulons que vous rentriez chez vous. Laissez-nous tranquilles. » En 1985, Khalid Durán a été invité par l'Académie protestante (Evangelische Akademie) de Tutzing, en Bavière, à donner deux conférences sur les musulmans en Allemagne. Son auditoire, soixante femmes spécialistes de l'agriculture, l'a attaqué pour le simple fait d'avoir abordé la question de l'égalité des droits pour les travailleurs étrangers. « Ils sont là pour travailler. Ils reçoivent leur salaire. Il ne faut rien faire de plus. Pas question d'avoir des droits, ce sont des étrangers ! »
Détestation des coutumes étrangères
Les antipathies résultent également de différences de race, de culture et de coutumes. L'aspiration à une certaine uniformité, à une société moins diversifiée, moins déroutante et moins problématique conduit à un rejet du pluralisme et à un désir de « pureté ».
Le lavage rituel cause des problèmes, en particulier l'utilisation d'eau à la place du papier toilette. Les différences de conception entre les salles de bains occidentales et les salles de bains islamiques conduisent souvent à des complications et des disputes avec les propriétaires. En Allemagne, les enseignantes se plaignent du fait que les pères de leurs élèves turcs ne leur serrent pas la main, une attitude qu'elles interprètent comme un manque de respect envers les femmes (en fait, cela indique exactement le contraire). Les femmes pakistanaises sont généralement les plus isolées et portent un type de voile qui les fait apparaître aux yeux des occidentaux comme des personnes ayant profondément honte d'elles-mêmes ou semblables à des fantômes.
Les vacances provoquent des tensions. Certains musulmans, en particulier les convertis occidentaux trop zélés, exigent d'avoir congé le vendredi (même si le vendredi n'est pas un sabbat islamique). De nombreux employeurs européens ont désormais accepté le fait qu'une partie substantielle de travailleurs musulmans prenne congé lors des fêtes musulmanes. En revanche, leurs homologues américains restent généralement réticents. Le fait qu'il n'y ait vraiment que deux grandes fêtes musulmanes par an ('Id al-Fitr et 'Id al-Adha) rend l'idée plus facile à accepter, bien que leur caractère mobile et leur durée déroute et perturbe quelque peu.
Les politiciens de droite parlent sans cesse de ces problèmes mais le thème est repris par d'autres personnalités plus consensuelles. Jacques Chirac, le président gaulliste de la France, a un jour exprimé sa sympathie pour ses compatriotes qui « deviennent fous » en raison du « bruit et des odeurs » que causent les immigrés. Le président français François Mitterrand a parlé avec inquiétude du « seuil de tolérance », une expression reprise ensuite par le chancelier Helmut Kohl qui a prévenu que le Toleranzschwelle (seuil de tolérance) ne devait pas être franchi.
L'expérience relativement heureuse des 250.000 musulmans bosniaques en Europe occidentale s'explique par le rôle mineur joué par la religion. De toutes les communautés musulmanes immigrées, les Bosniaques sont ceux qui ont causé le moins de délits et sont, pour ainsi dire, passés inaperçus. Leur apparence généralement nordique et leurs habitudes européennes (en matière vestimentaire, alimentaire, etc.) tout comme leur pratique moins formaliste des rituels islamiques, ont grandement contribué à leur statut supérieur. Pour démontrer cette distinction, voici un épisode dont Khalid Durán a été témoin dans le métro de Berlin (après quoi il s'est entretenu avec les deux protagonistes pour connaître leur identité et leurs attitudes). Une ouvrière d'usine allemande, légèrement ivre et complètement areligieuse, s'est adressée à l'homme blond aux yeux bleus assis à côté d'elle : « Vous êtes yougoslave, c'est ça, je le vois. Vous êtes bien. Avec les Turcs, on ne peut pas s'entendre, à cause de la religion, ils sont trop différents. » L'homme, qui se trouvait être un musulman palestinien, n'a pas pipé mot.
Pour beaucoup en Finlande, l'arrivée entre 1990 et 1991 de quelque 2500 réfugiés somaliens a été la première rencontre avec les musulmans. Les Finlandais avaient tendance à trouver choquantes les différences culturelles liées à l'islam. Les Somaliens refusaient non seulement de manger du porc mais aussi de la viande préparée à l'aide d'ustensiles qu'ils considéraient comme impurs.
Ensuite, il y a l'opposé, le monde des playboys saoudiens qui affichent leur argent et leur débauche. Bien que peu nombreux, la réputation de leurs extravagances (telles que les virées shopping à Londres ou les tags d'organes génitaux sur des statues à Beverly Hills) génère une antipathie considérable. Voici le genre de scène, dans un hôtel américain, dont un médecin américain a été témoin :
J'ai été conduit dans les quartiers d'habitation réservés aux princes. Il y régnait une atmosphère de bordel. Une musique bruyante jaillissait de tous côtés et des serveurs en blouse blanche allaient et venaient en courant, transportant des plateaux de boissons et de collations. Les jeunes princes et leurs amis se parlaient en criant à travers les murs. Il y avait des rires bruyants et rauques venant des chambres, ponctués parfois d'un cri féminin. On pouvait voir des femmes à moitié nues se précipiter de pièce en pièce en riant, suivies par des princes saoudiens mal rasés et échevelés. Tout le monde semblait complètement ivre. On aurait dit que la bacchanale durait depuis un certain temps.
Les immigrés se sentent plus à l'aise dans certains pays occidentaux que dans d'autres. Tout d'abord, plusieurs pays (notamment la France, le Canada et les États-Unis) ont de vieilles traditions d'immigration. Ils savent comment accueillir des personnes d'autres cultures et d'autres couleurs de peau avec qui ils se marient. Deuxièmement, les différences culturelles et physiques varient en ampleur. La France est un pays méditerranéen, de sorte que les différences de mentalité et de physionomie entre une fille maghrébine et un garçon français fréquentant la même école peuvent être minimes. Un jeune marocain peut être pris pour un Espagnol et sa petite amie espagnole prise pour une Marocaine. On ne verra pas ce genre de situation avec un Bengali en Grande-Bretagne ou un Kurde en Norvège.
Construction de mosquées
À l'échelle du monde, les disputes sur la construction de mosquées semblent futiles. C'est pourtant la source de friction la plus importante pour de nombreux Occidentaux. Elles méritent donc d'être mentionnées. De tels affrontements atteignent rarement les colonnes de la presse internationale mais suscitent l'attention au niveau local.
Au début de leur existence, les communautés musulmanes utilisaient comme lieux de prière des usines abandonnées, des lofts et d'autres grandes salles peu coûteuses. Désormais, la plupart cherchent à construire leurs propres mosquées munies d'un dôme et d'un minaret. Ce ne sont pas les projets pompeux des centres-villes exécutés par les gouvernements du Moyen-Orient (comme celui récemment achevé sur la 96ème rue à Manhattan), mais des bâtiments ordinaires situés dans des quartiers résidentiels. Après avoir économisé pendant une vingtaine d'années pour bâtir une mosquée, les communautés ont découvert au début des années 1990 qu'elles avaient assez d'argent pour en entamer la construction.
Cette aspiration a suscité de puissantes réactions nativistes, en particulier en France et en Allemagne. Certaines municipalités (Mannheim, par exemple) ont accueilli ces projets avec enthousiasme, pour finalement se heurter à la révolte de leurs citoyens. Les Églises se sont souvent rangées du côté des initiatives musulmanes de construction mais en vain. Des campagnes organisées par des citoyens pour empêcher la construction de mosquées ont vu le jour dans des endroits aussi divers qu'Iserlohn, Pforzheim, Lyon et Rome. Dans la ville française de Libercourt, les projets d'agrandissement d'une mosquée ont été soumis à un référendum et 83 % des votants s'y sont opposés. Une bombe a détruit la mosquée de Rennes et le maire de Charvieu-Chavagneux près de Grenoble a fait « accidentellement » abattre une halle d'usine inutilisée par des bulldozers, prétendant ne pas savoir que la salle était utilisée par les musulmans comme salle de prière.
Plusieurs motivations se cachent derrière cette animosité. L'opposition à la construction de mosquées donne à l'Européen ordinaire, homme ou femme, l'occasion d'exprimer un sentiment antimusulman croissant. C'est la vengeance de Rushdie et Mahmoody contre Khomeiny, Saddam Hussein, Yasser Arafat et Agha Hassan Abedi. Elle offre également aux sociétés sécularisées un moyen d'exprimer leur dégoût pour un groupe religieux trop traditionnel.
Fait révélateur, les débats sur les mosquées (par exemple, à Fribourg et à Stuttgart) se sont souvent concentrés sur les questions de stationnement. Soit les citoyens se sont opposés à une mosquée au motif qu'elle causerait des problèmes de stationnement pour les riverains, soit ils voulaient utiliser la parcelle assignée à une mosquée comme garage.
Aux États-Unis aussi, le stationnement est une question importante. En effet, il touche tous les lieux de culte et pas seulement les mosquées. Bien avant la guerre du Koweït, par exemple, cinq conseils municipaux ont rejeté un groupe chiite irakien dans le sud de la Californie. À Falls Church, en Virginie, aux abords immédiats de Washington, la mosquée Dar Al-Hijrah a réussi à éviter la fermeture en prenant trois mesures : convaincre les fidèles de faire du covoiturage, utiliser le parking de l'Église du Christ situé à proximité et embaucher la police pour superviser le stationnement. Beaucoup de projets de mosquées ont dû être suspendus ou céder la place à un garage. C'est ainsi que le vieux conflit entre le croissant et la croix a dégénéré en un différend sur la mosquée et le parking.
Craintes démographiques
Malgré les efforts des gouvernements européens, les immigrants musulmans continuent d'arriver du monde entier, à la recherche d'un travail, d'une qualification, de membres de leur famille ou d'un refuge. À mesure que leur nombre augmente, le sentiment d'alarme s'accentue. La tragédie bosniaque va probablement exacerber ces préoccupations. Bien que les massacres perpétrés par les Serbes aient suscité une grande empathie en Europe occidentale, un demi-million de réfugiés ont fui vers le nord de l'Europe où ils ont ajouté au poids démographique de l'islam. Les Allemands se sont sentis tentés d'aider davantage ces musulmans mais ils n'ont pas cédé, comme l'a expliqué un consul : « Nous ne pouvons pas traiter quelqu'un différemment parce qu'il a les yeux bleus. »
Les nativistes accordent la plus haute importance à la limitation de l'afflux musulman et à la réduction des millions de musulmans (en particulier les familles accompagnant les travailleurs) résidant déjà en Europe occidentale. Jean-Marie Le Pen dit à ses partisans : « Je ne veux pas que les Français deviennent comme les Peaux-Rouges, anéantis par l'immigration. » O somos todos moros, o somos todos cristianos (« Soit nous sommes tous musulmans, soit nous sommes tous chrétiens ») était la devise de l'inquisition espagnole. Les skinheads nourrissent à peu près les mêmes craintes quoique vidées de leur contenu religieux.
La lutte contre l'immigration illégale est devenue une priorité absolue dans tout l'Occident. Deux pays, l'Autriche et la Suisse, ont déployé leurs armées le long de leur frontière pour empêcher les immigrants d'entrer (ces derniers ne sont pas tous musulmans, bien entendu). L'armée italienne vient en renfort de la police pour retenir des dizaines de milliers d'Albanais désespérés, majoritairement musulmans. Depuis 1987, un nombre considérable de Moyen-Orientaux et d'Asiatiques du Sud sont entrés aux États-Unis par le Mexique et le nombre de musulmans parmi les « wetbacks » [« dos trempés »] semble augmenter. Le gouvernement espagnol ne déploie pas officiellement l'armée à cette fin mais en réalité, l'armée aide la police à protéger le long littoral contre un autre type de « boat people » à savoir les Nord-Africains essayant de poser le pied sur le sol européen dans l'obscurité de la nuit. Les Espagnols appellent ces personnes (sans blaguer) espaldas mojadas (« dos trempés »).
Outre les immigrés, le taux de natalité des musulmans en Occident dépasse de loin celui des Européens et des Américains de souche, de sorte qu'un cinquième de tous les enfants nés en France ont un père issu d'Afrique du Nord et que Muhammad est l'un des prénoms les plus courants au Royaume-Uni. Reconnaissant que les faibles taux de natalité créent un besoin de main-d'œuvre, la droite cherche à ajuster les politiques des gouvernements européens pour encourager la natalité des chrétiens. En comparant les taux de natalité, certains Occidentaux craignent d'être submergés. Écrivant dans The Spectator, Charles Moore a rappelé la mise en garde de T.S. Eliot à propos des « hordes encapuchonnées » : « Par notre refus obstiné d'avoir suffisamment d'enfants, la civilisation européenne occidentale se mettra à mourir au moment où elle aurait pu renaître avec du sang neuf. C'est alors que les hordes encapuchonnées vaincront et que le Coran sera enseigné, comme Gibbon l'avait imaginé, dans les facultés d'Oxford. » Dans ce qui constitue peut-être la version la plus apocalyptique de cette préoccupation, Jean Raspail, un intellectuel français de premier plan, a écrit Le Camp des Saints, un roman illustrant la fin de la civilisation occidentale provoquée par l'afflux incontrôlé de musulmans en provenance du Bangladesh. En 1985, le poète britannique Philip Larkin écrivait : « Dans 10 ans, nous allons tous nous recroqueviller sous nos lits, quand des hordes de Noirs déroberont tout ce sur quoi ils pourront mettre la main. »
Politique de droite
Depuis Enoch Powell en Angleterre à la fin des années 1960 (qui avait prédit des « fleuves de sang » si l'immigration se poursuivait), la présence musulmane a stimulé la croissance des partis de droite en France, en Allemagne de l'Ouest, en Grande-Bretagne, dans les pays scandinaves et ailleurs. Portant souvent le nom de Front national, ces mouvements ont tendance à parler le même langage (mise en garde contre l'islamisation de l'Europe) et à employer les mêmes tactiques (mettre le feu à des centres de réfugiés ou arrêter la construction de mosquées). Les membres de ces mouvements sont très divers, allant de personnes respectables inquiètes de l'afflux de peuples étrangers, aux néonazis meurtriers, en passant par les skinheads violents.
Le Front national de Le Pen en France est actuellement l'organisation nativiste la plus puissante, recueillant environ 14 % des voix au niveau national, avec un électorat favorable à 32 % aux idées de Le Pen sur la restriction du nombre et des droits des étrangers. Entre 1991 et 1992, la plupart des autres pays d'Europe occidentale ont également connu des poussées significatives de l'extrême droite, notamment le Republikaner en Allemagne. Malgré leur rhétorique de type nazi, le Republikaner est apparu comme le troisième parti le plus fort dans une vingtaine de municipalités. Son parti frère, la Volksunion (Union populaire) a remporté 10 % des voix à Brême qui est le Land le plus libéral d'Allemagne, réputé pour son ouverture aux étrangers (l'afflux d'Européens de l'Est en Europe de l'Ouest exacerbe d'ailleurs les conflits car si les Européens de l'Ouest ont été éduqués au pluralisme et au cosmopolitisme, les Européens de l'Est sont imbus de préjugés raciaux et religieux).
Le Freiheitspartei (Parti de la liberté) réclame une Autriche « sans étrangers ». Dans la province de Styrie, il a obtenu plus de 15 % des voix. En Suisse, l'Auto-Partei, dont la première priorité est l'expulsion des immigrés, a remporté 8 sièges sur 200. Quant au Parti démocratique suisse, qui a fait campagne sur un programme anti-étranger similaire, il a remporté 5 sièges.
Les États-Unis n'ont rien de comparable mais on peut déceler les indices d'une tendance similaire. Pat Robertson, télévangéliste et ancien candidat à la présidence américaine, a fulminé lorsqu'à la fin de 1991, l'imam de New York, Wahaj Siraj, a ouvert une session de la Chambre des représentants par une récitation du Coran. Robertson considérait les musulmans comme les suppôts de Khomeiny ou de Kadhafi, et utilisait « Lockerbie » et « Islam » comme termes plus ou moins synonymes. Patrick Buchanan, autre ancien candidat à la présidence, a expliqué son présage dans une chronique de journal :
Pendant un millénaire, la lutte pour l'avenir de l'humanité s'est jouée entre le christianisme et l'islam. Au XXIe siècle, il en sera peut-être encore ainsi... Nous trouverons peut-être dans le siècle à venir que... le conservateur de notre culture T. S. Eliot avait raison, quand ce vieux gentleman chrétien écrivait dans « The Hollow Men », que l'Occident finirait non « pas dans un bang mais dans un gémissement » – peut-être le gémissement d'un enfant musulman dans son berceau.
Les politiques anti-immigrants gagnent des suffrages et les musulmans sont les immigrants perçus comme les plus menaçants. Cette tendance démagogique est donc susceptible de s'accentuer.
De grands drames impliquant des musulmans en Occident – l'affaire Rushdie, l'histoire de Mahmoody, le scandale de la BCCI et l'affaire du complot du World Trade Center – se jouent actuellement. Ils représentent à la fois les symptômes d'un profond malaise lié à l'apparition soudaine d'une population musulmane en Occident et les tensions entre celle-ci et la population majoritaire.
La confrontation culturelle soulève invariablement des questions difficiles car personne n'a le droit d'imposer de manière exclusive ses normes du bien et du mal. L'histoire à elle seule prouve que le face-à-face entre Islam et Occident est l'un de ceux qui revêtent le plus de facettes et de tensions. Vient ensuite toute une série de questions d'actualité qui exacerbent le problème.
Où situe-t-on la ligne de démarcation entre l'importance légitime à accorder à la liberté religieuse et un comportement illégal (bigamie) voire inconstitutionnel (atteinte au principe de laïcité) ? Alors que la population majoritaire considère un certain nombre de pratiques musulmanes non pas comme des droits mais comme des privilèges, les musulmans se voient discriminés et incapables de se prévaloir de l'ensemble des protections juridiques et sociales occidentales.
PARTIE II ENRAYER LES TENSIONS
Nous sommes Français. Nos ancêtres, les Gaulois... un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais... peut-être, qui sait, polonais. Et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.
François Mitterrand
Maintenant que nous avons identifié les principales sources de tension, analysons les moyens d'atténuer ou d'éradiquer ces problèmes. Sans surprise, certaines questions se prêtent à des compromis et à des solutions beaucoup plus facilement que d'autres.
Le conseil fourni ici présente trois limites. Tout d'abord, il s'adresse principalement aux autorités des pays occidentaux mais aussi aux principales institutions privées (Églises, universités, médias). Les musulmans ont besoin de conseils en parallèle mais ce n'est pas notre mission ici. Deuxièmement, les remèdes proposés concernent les symptômes du problème, non pas les causes : ils tiennent compte des populations existantes mais ne disent rien sur les causes sous-jacentes de l'émigration, qu'il s'agisse du besoin de main-d'œuvre bon marché du côté européen ou de l'aspiration à une vie meilleure du côté musulman. Troisièmement, la confrontation culturelle a nécessairement un impact négatif sur toutes les personnes impliquées. Les suggestions formulées ici visent seulement non pas à mettre fin à toutes les tensions mais à éviter que le processus s'aggrave.
Nous suivons ici le même ordre que dans le chapitre 1, en traitant d'abord l'islamisme, puis les problèmes émanant du côté occidental (Les recommandations spécifiques sont mentionnées en lettres capitales afin de les repérer plus facilement).
A. COMBATTRE L'ISLAMISME
Faire pression sur les États du Moyen-Orient pour qu'ils se retiennent
Compte tenu de la dépendance des dirigeants islamistes à l'égard de l'aide extérieure, la pression exercée sur les États du Moyen-Orient pour qu'ils réduisent cette aide permettrait d'affaiblir la position des islamistes. La diplomatie devrait produire des résultats avec les États qui cherchent à entretenir de bonnes relations avec l'Occident, notamment l'Arabie saoudite. Toutefois, ce serait moins utile avec l'Iran, la Libye et (lorsque ses ventes de pétrole reprendront) l'Irak. Dans leur cas, il faut établir une contrepartie : la poursuite du financement des projets islamistes en Occident entraînera des restrictions en matière commerciale, d'investissement, etc. Bien entendu, pour que cette menace soit pertinente et durable, il faudrait une audace dont les États européens ne sont plus coutumiers ces dernières années.
Dans le même temps, les États modérés devraient accorder plus d'attention à leurs ressortissants vivant en Occident. Certains le font déjà : nonobstant la laïcité de la République de Turquie, le Département des affaires religieuses d'Ankara nomme des conseillers aux affaires religieuses dans quinze ambassades turques en Occident ainsi que des attachés religieux dans vingt et un consulats. Ceux-ci supervisent les activités de quelque huit cents imams, dont 409 en Allemagne, 63 en France et 26 en Australie. Les Marocains, les Égyptiens et les Indonésiens feraient bien de prendre des mesures similaires.
Aider les musulmans modérés
Les institutions et les gouvernements occidentaux devraient soutenir les musulmans modérés. Par modérés, nous entendons des individus et des organisations engagés sans ambiguïté en faveur de la démocratie, du pluralisme et de la laïcité. Ils explorent des alternatives au ritualisme rigide de l'orthodoxie légaliste, mettent l'accent sur l'œcuménisme (relations fraternelles avec les chrétiens et les juifs) et l'égalité des sexes. Certains sont engagés religieusement, d'autres pas. Ils sont issus de manière disproportionnée de populations musulmanes minoritaires (comme les Berbères, les Kurdes ou les Alévis).
Les modérés disposent d'appuis forts au sein des communautés musulmanes. Les enseignants turcs dans les écoles allemandes, par exemple, aspirent à une laïcité ferme. La décision prise par un tribunal d'interdire la natation pour les filles turques les a énormément contrariés. De même, les travailleurs préfèrent une version moderne de l'islam.
Il existe particulièrement en Allemagne mais aussi en France, un puissant lobby contre le tchador et d'autres manifestations de l'islamisme. Il est constitué de femmes turques instruites de première et de deuxième génération qui utilisent leur influence pour freiner les activités islamistes et garantir la liberté des femmes musulmanes.
Les modérés disposent aussi d'une puissance de feu intellectuelle car beaucoup de leurs penseurs les plus originaux ont fui la répression de leur pays pour élire domicile en Occident. En Europe et en Amérique, les intellectuels musulmans travaillent sans l'oppression politique qui règne dans tant de pays musulmans. La stabilité politique, la tolérance religieuse, le pluralisme culturel et la liberté d'expression leur permettent d'explorer de nouvelles voies pour l'ensemble du monde musulman. Le débat islamique sur l'évolution des valeurs est discuté avec plus de sincérité et de profondeur aux États-Unis et en Europe occidentale que partout ailleurs, et certainement beaucoup plus qu'en Iran ou au Soudan. En conséquence, selon Kanan Makiya, « l'Europe a remplacé Beyrouth comme refuge pour les livres de qualité en arabe et sur le Moyen-Orient ».
Une galaxie d'érudits musulmans exceptionnels ont trouvé dans les universités occidentales la possibilité de faire des recherches et d'enseigner, une opportunité qui leur est refusée chez eux. Parmi les noms les plus importants figurent les Pakistanais Fazlur Rahman à Chicago et Ishtiyaq Ahmed à Stockholm, les Algériens Mohamed Arkoun (Paris) et Ali Merad (Lyon), les Égyptiens Fathi Osman (Los Angeles) et Zaki Badawi (Londres), le Soudanais Abdallahi Ahmed An-Na'im (Washington), le Yougoslave Smail Balic (Vienne) et l'Iranien Sayyid Hossein Nasr (Washington). Certains maîtres spirituels soufis et leurs disciples, dont les Marocains Khalid Bentounes (Belgique et France) et Jabrane Sebnat (Suède et Allemagne), sont résolument modernistes.
En Occident, l'opinion publique et les médias ne doivent pas mettre dans le même sac les islamistes et les musulmans modérés. Il faut surtout qu'ils comprennent que les islamistes constituent une minorité au sein des populations musulmanes. Ne pas le reconnaître revient à négliger tous ceux qui s'opposent aux régimes du Moyen-Orient. Bien que de nombreux Iraniens aient fui l'Iran précisément pour s'éloigner des mollahs, les Américains supposent à tort que les Iraniens vivant parmi eux sont associés au régime de Khomeiny.
Le fait de pénaliser l'ensemble des musulmans pour les extravagances de quelques extrémistes est profondément injuste. En effet, il s'agit d'une forme de double incrimination, où les modérés souffrent tant du monde extérieur qui les considère comme des extrémistes que des fondamentalistes qui les voient comme des traîtres. Les puissances du monde islamique les rejettent, l'Occident les perçoit comme un autre type d'islamistes et les islamistes les attaquent sans relâche, les qualifiant de communistes et de francs-maçons (Leur problème rappelle la situation difficile des Noirs respectueux des lois aux États-Unis, punis une première fois par les Blancs, qui les considèrent comme enclins à la criminalité, et une deuxième fois par les criminels noirs qui font d'eux leur cible privilégiée).
Réduire l'importance des Islamistes radicaux
Les islamistes jouissent d'une importance disproportionnée en comparaison avec leur assise réelle. Il faut donc que les autorités prennent des mesures pour réduire leur pouvoir.
Les gouvernements occidentaux n'ont pas fait grand-chose pour freiner les activités islamistes. Seuls les services de sécurité français ont pris des mesures pour les contenir, par exemple en surveillant les sermons dans les mosquées islamistes et en enquêtant sur les activités séditieuses en coopération avec des musulmans non islamistes (tels que les pro-Saddam). Le gouvernement français a particulièrement intérêt à contenir les activités islamistes puisqu'il craint que les troubles civils en Algérie ne se propagent aux plus d'un million de musulmans d'origine algérienne vivant en France, sans parler d'autres groupes de population qui pourraient en faire autant.
Pour bloquer l'extrémisme politique, les autorités allemandes disposent d'un cadre juridique efficace, le Radikalenerlass, un décret qu'elles ont pris contre les extrémistes politiques mais qu'elles refusent d'utiliser contre les islamistes. La raison officielle est que l'islamisme est un phénomène religieux et non politique. La véritable raison est commerciale : c'est le souhait de ne pas s'aliéner les riches gouvernements du Moyen-Orient. Ainsi lorsqu'un analyste parvient à des conclusions contraires aux souhaits du gouvernement allemand, son institution est interpellée par la voie du ministère compétent. De même, le conseil municipal d'Aix-la-Chapelle a favorisé un projet des Frères musulmans prévoyant la construction d'un centre islamiste pour toute l'Europe au motif que cela aiderait à attirer de riches clients des pays du Golfe vers les célèbres installations thermales d'Aix-la-Chapelle.
Les communautés musulmanes locales demandent souvent une action ferme contre les islamistes, généralement en vain. En partant du principe qu'une mosquée est une mosquée, les autorités d'Europe occidentale ont tendance à ignorer l'avis des musulmans locaux et à promouvoir les islamistes. Lorsque les anti-islamistes locaux élèvent la voix pour protester, il arrive que les autorités leur fassent comprendre que leurs activités mettent en péril certaines relations commerciales et ne sont donc pas souhaitables.
Aux États-Unis, le Federal Bureau of Investigation (FBI) semble surveiller de près les activités de la Nation of Islam de Louis Farrakhan et du groupe dissident clairement raciste de Silis Muhammad basé à Atlanta, en Géorgie. Mais jusqu'à l'explosion du World Trade Center [en 1993], le gouvernement américain ne s'inquiétait pas des islamistes radicaux étrangers, pas même des émissaires khomeinistes. Ceux-ci recevaient facilement des visas, allaient et venaient à leur guise et s'agitaient contre les valeurs américaines sans ressentir le besoin d'agir avec discrétion. Ainsi Afzal Bangash, rédacteur en chef pakistanais du Crescent International à Toronto, a effectué de nombreuses tournées aux États-Unis, au cours desquelles il a prononcé des discours incendiaires dans des mosquées et des centres islamiques. Non seulement le gouvernement américain a laissé ces extrémistes dans le pays et leur a permis de s'agiter ici ouvertement, mais à l'occasion, il les a même accueillis. En 1992, Hassan al-Tourabi, chef du Front national islamique du Soudan et secrétaire général de la Conférence des peuples arabes et islamiques (une internationale islamiste) s'est présenté au Capitole en tant que témoin principal lors d'une réunion du sous-comité de la Chambre des représentants sur l'Afrique du Nord.
Mais le cas le plus spectaculaire est celui d'Omar Abdel Rahman, l'un des personnages les plus sinistres du monde musulman actuel. En tant que mentor spirituel du groupe égyptien Jihad islamique, d'où sont issus les assassins d'Anouar el-Sadate, ce prédicateur aveugle a séjourné dans une prison égyptienne. Plus tard, il a appelé à l'exécution de Nagib Mahfouz, lauréat égyptien du prix Nobel de littérature, parallèlement au décret de Khomeiny contre Rushdie. Une telle expérience lui a valu une place sur une liste de surveillance d'étrangers indésirables, mais ne l'a pas empêché de recevoir un visa américain et d'apparaître dans la région de New York en 1990. Peu de temps après, il a épousé une musulmane noire américaine (en plus de ses deux épouses en Égypte) pour rester dans le pays.
Abdel Rahman a diffusé un message de haine à travers les États-Unis, fulminant contre les juifs et les chrétiens, le gouvernement et la culture de l'Amérique. Il a inspiré un groupe varié d'immigrants et de musulmans convertis à prendre des mesures violentes, certaines mises à exécution (l'assassinat du rabbin Kahane, l'attentat à la bombe du World Trade Center), d'autres pas (bombardement de tunnels vers Manhattan). La notoriété médiatique d'Abdel Rahman a fait de lui à la fois un problème dans les relations américano-égyptiennes et un symbole de l'agression islamiste contre les Américains.
L'inimitié islamiste envers l'Occident exige des réponses sévères comme punir de manière indiscutable les activités illégales, s'attaquer sans faillir à la propagande haineuse islamiste, surveiller les publications appelant à l'assujettissement des non-musulmans et à la « conquête de l'Occident », exclure les islamistes étrangers et observer les préparatifs de prise de pouvoir révolutionnaire ou d'autres actions subversives. De manière générale, les forces de l'ordre doivent prendre plus au sérieux les infractions islamistes. Sur le plan politique, les dirigeants occidentaux doivent inciter publiquement les musulmans à embrasser le rôle de partenaire parmi d'autres au sein d'une démocratie pluraliste, à renoncer au suprémacisme et à cesser de miser sur le nombre (en ayant recours à une procréation abondante et au prosélytisme afin de devenir la majorité).
Il faut étouffer les tendances totalitaires dans l'œuf. Les tergiversations ne font qu'empirer les choses. Les extrémistes prospèrent grâce à la politique d'apaisement, comme le montre l'expérience de plusieurs pays musulmans. Les présidents Zulfikar Ali Bhutto du Pakistan et Anouar el-Sadate d'Égypte ont payé de leur vie leur politique accommodante. Les Premiers ministres Bülent Ecevit de Turquie et Sadiq al-Mahdi du Soudan ont échappé de justesse au même sort. Ne pas répondre aux provocations islamistes augmente considérablement le risque de conflit.
Les appels à la liberté religieuse ou les menaces en provenance de grands États du Moyen-Orient ne doivent pas inciter à ne pas appliquer la loi. Les autorités ne doivent pas non plus craindre de contrarier des communautés musulmanes entières en cas d'expulsion ou d'emprisonnement de l'un ou l'autre agitateur islamiste. Au contraire, de telles mesures rencontreraient l'approbation et les applaudissements de musulmans, surtout si elles étaient prises en concertation avec eux et si les autorités indiquaient clairement que leur objectif n'est pas de s'opposer à l'islam mais de combattre une idéologie extrémiste.
Pour être fidèles à elles-mêmes, les sociétés occidentales doivent être raisonnablement ouvertes, tolérantes et culturellement pluralistes même si les bénéficiaires de ces attitudes éclairées s'avèrent peu appréciables. D'autre part, les gouvernements libéraux ne sont pas obligés de se suicider. Le défi, comme c'est le cas pour chacune des libertés civiles, consiste à trouver un équilibre prudent.
Reconnaître officiellement l'islam
LES GOUVERNEMENTS EUROPÉENS DOIVENT DE TOUTE URGENCE RECONNAÎTRE L'ISLAM, QUI CONSTITUE PRESQUE PARTOUT LA DEUXIÈME PLUS GRANDE RELIGION. NE PAS LE FAIRE, C'EST SE METTRE LES MUSULMANS À DOS ET LES RENDRE PLUS VULNÉRABLES À LA SUBVERSION ISLAMISTE.
Alors que les États-Unis sont beaucoup plus pieux que la plupart des pays d'Europe occidentale, ces derniers demeurent officiellement beaucoup moins laïques. La reconnaissance de la religion par le gouvernement continue de faire la particularité de l'Europe. Le luthéranisme est toujours religion d'État dans les pays scandinaves, tout comme l'anglicanisme en Angleterre et le catholicisme en Espagne. La plupart des autres pays, y compris la France et l'Allemagne, reconnaissent le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme comme religions officielles. Dans la pratique, il s'agit pratiquement de religions d'État. La reconnaissance officielle de l'islam signifierait son acceptation comme partie intégrante du paysage religieux européen. Cela faciliterait la construction de mosquées (ainsi que de salles de prière dans les institutions publiques comme les hôpitaux), la mise à disposition de terrains pour les cimetières musulmans, d'aumôniers dans les forces armées, de cours de religion dans les écoles publiques, de programmes à la radio et à la télévision ainsi que la reconnaissance des deux principales fêtes religieuses et la fourniture de viande halal (rituellement abattue).
En Europe occidentale, l'islam n'a obtenu de statut officiel qu'en Autriche, en Belgique et en France (certains länder allemands reconnaissent l'Église orthodoxe grecque mais jusqu'à présent, aucun ne reconnaît l'islam). C'est le gouvernement français qui s'est montré le plus ouvert. L'ancien ministre de l'Intérieur Pierre Joxe a poussé d'éminents musulmans à constituer un Conseil de réflexion sur l'islam en France (CORIF), un conseil officiel de 15 personnes qui sert d'organe consultatif pour les autorités françaises. L'une de ses tâches principales est de rédiger les règles de fonctionnement d'un organe véritablement représentatif des Français musulmans. Les autorités françaises ont pris cette mesure dans l'espoir d'établir l'islam en France en tant que communauté religieuse indépendante de directives de l'étranger. Étant donné qu'il y a désormais plus de citoyens français que d'Algériens parmi les musulmans résidant en France, cela semble très judicieux.
En Grande-Bretagne, la campagne islamiste pour la reconnaissance qui a commencé en 1980 a eu peu de succès. Bien entendu, les islamistes ont ralenti sa progression en formulant des demandes particulières, notamment l'exemption d'examens post-mortem pour les musulmans, l'exemption des activités sportives dans les écoles pour les filles ou encore l'application du droit musulman de la famille (c'est-à-dire la loi islamique sur le divorce, qui confie aux pères la garde des enfants et ne les oblige pas à payer de pension alimentaire).
En Allemagne, les groupes islamistes radicaux (la Fraternité Süleymanci et le Milli Görüş Teskilatlari) entravent la reconnaissance officielle en se constituant en communautés religieuses et en exigeant leur propre reconnaissance. Les autorités allemandes soupçonnent à juste titre ces groupes de ne pas accepter la constitution laïque du pays, une question importante car la loi allemande exige une certaine représentativité et une certaine structure organisationnelle, précisément pour empêcher le type d'aventurisme qui prospère actuellement parmi les musulmans. Depuis 1980 environ, les autorités allemandes attendent avec impatience l'émergence de porte-parole musulmans représentatifs avec lesquels discuter des préoccupations de la communauté de manière efficace et ordonnée. Alors que les Églises ont mené un travail plus intense avec les musulmans, les gouvernements ont fait preuve d'une plus grande sagesse dans le choix de leurs partenaires musulmans.
Les musulmans immigrés aux États-Unis se plaignent également de ne pas être reconnus mais leur situation diffère à trois égards. Premièrement, les États-Unis pratiquent une laïcité cohérente et une séparation de l'Église et de l'État inconnue en Europe. La reconnaissance par l'État importe moins que l'acceptation par le grand public. Deuxièmement, le pays exige et tolère le pluralisme. Troisièmement, les questions religieuses sont traitées au niveau local. Pas mal de musulmans préfèrent le système américain parce qu'il dépend plus de la population que des autorités : un organisme religieux qui a suffisamment d'énergie pourra non seulement survivre mais aussi prospérer. Dans la mesure où le gouvernement fédéral reconnaît la religion, l'islam a rapidement progressé ces dernières années. Le président félicite les musulmans à l'occasion des fêtes musulmanes. Des musulmans ont ouvert des sessions du Sénat et de la Chambre des Représentants par des récitations du Coran et les aumôniers musulmans servent dans les forces armées. Dans son poème célébrant l'investiture de Bill Clinton, Maya Angelou a spécifiquement mentionné « le musulman », « le cheikh », « le turc, l'arabe ».
L'ISLAM AFRO-AMÉRICAIN A BESOIN D'UNE FORME DIFFÉRENTE DE RECONNAISSANCE, NON PAS OFFICIELLE ET LÉGALE, MAIS SOCIALE ET CULTURELLE. ELIJAH MUHAMMAD A IMPRÉGNÉ LA NATION OF ISLAM DE DOCTRINES TRÈS CONTROVERSÉES QUI ONT SOUVENT CONDUIT SES DISCIPLES À S'ENGAGER DANS LA VIOLENCE, UNE CARACTÉRISTIQUE QUE CERTAINS DES GROUPES NOIRS MUSULMANS DISSIDENTS CONSERVENT ENCORE. LE MOYEN LE PLUS EFFICACE DE LES NEUTRALISER EST D'AIDER WALLACE DEEN MOHAMMED À INTÉGRER LA MISSION MUSULMANE AMÉRICAINE DANS LE COURANT DOMINANT DE LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE. SES DISCIPLES SONT DIVISÉS ENTRE EUX, CERTAINS FAVORISANT SINCÈREMENT LES RELATIONS FRATERNELLES AVEC LES CHRÉTIENS ET LES JUIFS, D'AUTRES REJETANT ENCORE LES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE ET MAINTENANT DES LIENS AVEC FARRAKHAN. LA MISSION MUSULMANE AMÉRICAINE SE TROUVE À LA CROISÉE DES CHEMINS ET LA RECONNAISSANCE POURRAIT LES AIDER À REJOINDRE LE CENTRE TANDIS QUE LE REJET ET L'ISOLEMENT POURRAIENT LES REPOUSSER VERS LA FRANGE RADICALE ET VIOLENTE.
Accorder le droit de vote et la citoyenneté
LES AUTORITÉS EUROPÉENNES DEVRAIENT ÉTENDRE LE DROIT DE VOTE ET LA CITOYENNETÉ AUX MINORITÉS MUSULMANES POUR DES RAISONS DE PRINCIPE ET D'OPPORTUNITÉ.
Droit de vote au niveau local. Les résidents de longue date issus d'un autre pays doivent-ils avoir le droit de voter aux élections municipales ? La question a été vivement débattue dans une grande partie de l'Europe occidentale tout au long des années 1980.
Malgré une opposition considérable, la Norvège, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas autorisent les étrangers à participer aux élections locales. Les Suédois ont même envisagé d'autoriser la participation des citoyens étrangers aux élections nationales. À Hambourg, l'État le plus libéral d'Allemagne, les autorités ont accordé le droit de vote aux résidents permanents mais un tribunal a annulé cette décision pour des raisons constitutionnelles. L'arrêt a été un coup dur pour les Allemands fiers de leur pluralisme et pour les travailleurs turcs qui se sont installés à Hambourg pour échapper à la discrimination endémique dans le sud de l'Allemagne. Ce n'était cependant pas le mot de la fin pour ce sujet très débattu. La question commence à se poser aux États-Unis, où elle concerne davantage les Hispaniques que les musulmans.
En fin de compte, les étrangers résidents obtiendront probablement le droit de participer aux élections municipales dans l'ensemble de la Communauté européenne, ne serait-ce que pour justifier la fermeture des portes à d'autres immigrés. Accélérer ce processus ferait beaucoup pour dissiper les tensions. Donner aux musulmans le droit de vote a l'avantage de les faire participer directement au processus politique, et de désamorcer ainsi certaines tensions, par exemple celles concernant la construction de mosquées.
Citoyenneté. Les résidents de longue date devraient-ils obtenir la citoyenneté ? Qu'en est-il des musulmans de deuxième génération ? La situation est confuse, les gouvernements occidentaux adoptant des positions différentes, voire contradictoires. Parmi les grands pays européens, la France a été la plus ouverte, l'Allemagne le moins. Dans l'ensemble, les États-Unis ont été les plus généreux dans l'octroi de la citoyenneté, la Suisse la plus restrictive.
Jusqu'en 1980, un enfant né en Allemagne d'une mère allemande et d'un père étranger n'avait aucune chance d'obtenir la nationalité allemande. Depuis lors, les choses ont radicalement changé et la tendance à une plus grande libéralisation se poursuit. Par exemple, en 1981, les autorités allemandes ont exhorté les Turcs à demander la nationalité allemande, pour se plaindre un an plus tard que les Turcs n'avaient pas répondu. En réalité, il a fallu un certain temps aux Turcs pour se rendre compte que le changement d'attitude était sérieux mais, à ce moment-là, la résistance allemande s'était à nouveau durcie. À l'heure actuelle, six millions de personnes vivent en Allemagne sans avoir la nationalité allemande. Dans la plupart des grands pays européens, les hésitations sur la question de la citoyenneté suscitent des inquiétudes inutiles et des suspicions réciproques. Il faut une solution claire.
Les États musulmans et organisations musulmanes sont ambivalents à propos de la migration vers l'Occident. Tantôt ils la déplorent comme une cause de la dissolution des liens islamiques et de la fuite de leur meilleure main-d'œuvre, tantôt ils s'en réjouissent en y voyant la création d'avant-postes en territoire ennemi et l'acquisition de compétences nécessaires.
Si l'acquisition d'une nationalité européenne nécessite la renonciation à sa citoyenneté d'origine, la plupart des musulmans de première génération déclineront une telle offre qui est ressentie comme un acte de trahison confinant à l'apostasie. Certains peuvent aussi craindre des représailles. Ali Ben Hadj, un dirigeant islamiste en Algérie, a déclaré aux musulmans que devenir citoyen d'un État occidental est « un péché, une impiété dirigée contre l'islam ». Le gouvernement marocain déconseille fortement ses citoyens de prendre la nationalité étrangère, le roi Hassan II exhortant encore et encore la main-d'œuvre marocaine à l'étranger à ne pas être autre chose que des hôtes étrangers prêts à rentrer chez eux. « L'immigration ne doit pas conduire à l'intégration », leur dit-il. Les Français, du fait de leurs liens étroits avec le Maroc, mettent leur libéralisme à mal en n'accordant pas la citoyenneté aux travailleurs marocains, condition de Rabat à la coopération économique. En conséquence, les immigrés demandent à pouvoir conserver leur nationalité d'origine au moment de prendre celle du pays d'accueil, la première devenant symbolique, la seconde opérationnelle.
Dans le même temps, les musulmans optent de plus en plus pour la citoyenneté européenne. En effet, une sorte de mouvement de masse se met en place. Même les islamistes ont changé leur point de vue. Lors d'un grand rassemblement de quarante organisations en Allemagne organisé au printemps 1991, les participants ont entendu des appels invitant à demander la nationalité de leur pays européen de résidence. Les islamistes craignaient entre autres qu'une Europe unie n'impose davantage de restrictions aux musulmans que ne le font les États individuels. Ce changement d'opinion chez les musulmans met du côté européen les mouvements de droite et les xénophobes en alerte.
Éduquer les immigrés à la citoyenneté
Alors que les Européens de l'Ouest (et, un jour, peut-être aussi les Japonais) s'adaptent à la vie multiethnique, ils trouveront peut-être utile d'examiner les expériences des pays issus de l'Europe – les États-Unis, le Canada et l'Australie. À contrecœur et avec hésitation, les dirigeants de ces pays d'immigration ont abandonné la vision de la pureté raciale ou culturelle et ont adopté une attitude plus ouverte. Au départ, il s'agissait d'accepter les Irlandais en Amérique et les Grecs en Australie. Plus récemment, il s'agissait des Vietnamiens et des Chinois. À l'avenir, il s'agira presque à coup sûr d'un grand nombre de musulmans.
Historiquement, ces sociétés issues de l'immigration ont absorbé de nouveaux peuples par trois mécanismes : l'idéalisme, l'éducation et la laïcité.
Des idéaux tels que la poursuite du bonheur et la liberté d'expression sont d'un intérêt vital pour toutes les sociétés issues de l'immigration. Celles-ci compensent l'absence de liens ethniques partagés au sein de la population par la définition d'un objectif commun. Les autorités devraient encourager les musulmans à vivre en harmonie avec leurs voisins occidentaux en intégrant les idéaux de la société d'accueil.
L'éducation des enfants est essentielle car même si les immigrés adultes ne peuvent pas assimiler les idéaux de leur pays d'adoption, il est impératif que ceux-ci soient transmis à la génération suivante. Les idéaux fournissent un substitut à la lignée comme l'illustre très bien George Washington qui représente l'ascendance symbolique de tout enfant américain, même si ses parents sont arrivés en Amérique au moment de sa naissance. Si les États européens veulent absorber les immigrés musulmans (et les autres étrangers), ils doivent aller dans cette direction. Ce ne sera pas facile pour les sociétés anciennes mais l'éducation doit mettre l'accent moins sur l'ethnicité et davantage sur les principes. L'histoire glorieuse de la France, par exemple, doit moins se focaliser sur les victoires contre les autres et se concentrer davantage sur tout ce qui a permis d'atteindre les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité.
Il faut convaincre les dirigeants musulmans d'inculquer le respect des coutumes occidentales. Les bars et les discothèques, loin d'être de simples lieux de perdition, ont une fonction sociale reconnue depuis longtemps. Les musulmans ont besoin d'en savoir plus sur leurs sociétés d'accueil et de respecter les coutumes de la majorité. Ils doivent éviter de provoquer la population majoritaire en lui imposant leurs différences comme s'ils voulaient imposer de nouvelles normes à tout le monde.
LA LAÏCITÉ DOIT ÊTRE EXPLIQUÉE ET VALORISÉE. LES MUSULMANS NOURRISSENT BON NOMBRE D'IDÉES ÉTRANGES SUR LA LAÏCITÉ (PAR EXEMPLE, L'HISTOIRE DÉJÀ CITÉE DES « RITES DÉGRADANTS DE LA LAÏCITÉ »). ILS Y VOIENT UN MOUVEMENT CRÉÉ POUR CONTRER L'ISLAM, UNE MARQUE D'INDIFFÉRENCE À LA RELIGION ET UNE ANTI-RELIGION À LA MODE SOVIÉTIQUE. NÉE EN RÉALITÉ D'UNE LASSITUDE PAR RAPPORT AUX GUERRES DE RELIGIONS, LA LAÏCITÉ A POUR SEULE CONSÉQUENCE LE RETRAIT DE LA RELIGION DE LA VIE PUBLIQUE ET N'A DONC RIEN À VOIR AVEC L'ISLAM. CES FAUSSES IDÉES DOIVENT ÊTRE CORRIGÉES DANS L'INTÉRÊT DE TOUS.
De plus, il faut encourager les musulmans à adopter eux-mêmes une vision laïque. Seule la laïcité permet de transcender le conflit historique entre islam et christianisme et de traiter l'autre en égal. Mais la laïcité a son prix : elle implique nécessairement le renoncement à toute idée de façonner les pays occidentaux à l'image de l'islam. Par conséquent, les leaders musulmans en Occident doivent pousser leurs partisans à s'intégrer dans la société au sens large. Ceci implique, par exemple, renoncer à faire pression sur le gouvernement pour financer les écoles islamiques, renoncer à faire appliquer la loi islamique par les tribunaux et à étendre les lois sur le blasphème en vue d'éviter les sujets liés à l'islam. Pour s'intégrer en Occident, les musulmans n'ont pas besoin de renoncer à leur foi mais ils doivent accepter la primauté du droit civil – dont la liberté d'expression est un élément essentiel. Ce n'est qu'en acceptant la laïcité que les musulmans pourront s'intégrer pleinement dans la société.
Il ne faut pas que les musulmans tergiversent sur les principes de la vie moderne. Le problème ne réside pas dans l'islam en tant que tel mais dans l'islamisme, cette tendance qui s'en tient littéralement aux préceptes archaïques de l'islam et refuse de s'adapter aux réalités de la vie moderne.
Réorienter les efforts des Églises
Les partis politiques ne font pas grand-chose pour les musulmans et les syndicats encore moins (en Allemagne, par exemple, les étrangers sont renvoyés dans leurs propres sections séparées des principaux syndicats). Paradoxalement, ce sont les Églises qui sont devenues une institution clé pour les relations entre musulmans et chrétiens. Ce sont elles qui déploient les plus grands efforts pour aider à répondre aux préoccupations éducatives et sociales des communautés musulmanes, allant même jusqu'à servir de médiateurs entre ces communautés et les autorités. Les Églises ont formé leurs propres spécialistes des affaires islamiques chargés d'assurer la liaison avec les communautés musulmanes dont ils surveillent de près l'évolution.
Ces spécialistes ont une expérience du monde musulman, ont une formation universitaire en islam et parlent souvent une ou plusieurs langues du Moyen-Orient. Certains spécialistes ecclésiastiques ont une compréhension exceptionnelle de l'islam et des musulmans, par exemple Emilio Galindo Aguilar, un Père blanc qui dirige le centre de rencontre entre chrétiens et musulmans à Madrid, et Jan Slomp, un protestant qui dirige le Ontmoeting met Moslims Center en Hollande. Aussi bien entraînés soient-ils, l'intérêt de ces ecclésiastiques est parfois suscité par de simples émotions humaines. Le révérend Oddbjorn Leirvik, un jeune ecclésiastique luthérien dont l'église paroissiale du centre-ville d'Oslo jouxte la concentration la plus dense de musulmans de cette ville, a été intrigué par les membres d'une famille musulmane qui nettoyait son église et qui à chaque fois qu'ils entraient dans l'édifice sacré, insistaient pour enlever leurs chaussures !
De nombreux spécialistes ecclésiastiques, cependant, succombent tour à tour à trois erreurs dont chacune empêche l'établissement de relations de confiance et harmonieuses avec les musulmans.
Préférence pour les islamistes. Les responsables ecclésiastiques courtisent les musulmans traditionalistes ou fondamentalistes et en font des partenaires de dialogue. Ils acceptent la version de l'islam telle que présentée par les érudits de la loi, sans aucune adaptation à la religion pratiquée par la population. Ils ont tendance à être mal disposés envers les soufis (que les islamistes abhorrent et appellent les corrupteurs de l'islam). Pire, les spécialistes chrétiens de l'islam regardent souvent les communautés musulmanes à travers le prisme islamiste et appliquent ainsi des critères fondamentalistes. Plus un musulman est orthodoxe, plus ils le considèrent comme authentique. Ils voient les musulmans moins formalistes comme n'étant plus musulmans ou comme occidentalisés et affadis.
Ce choix peut être plus ou moins lié à un certain goût pour le défi : travailler avec des musulmans libéraux et soufis ne constitue pas un grand exploit ; établir une relation de travail avec des islamistes, en revanche, a quelque chose de particulier qui s'apparente à l'apprivoisement d'une bête sauvage. Ce choix peut aussi résulter d'une profonde antipathie pour les Lumières, sinon européennes du moins celles qui couvent au sein de l'Islam. Par exemple, dans un article magnifiquement écrit, le révérend Gerhard Jasper présente l'élément extrémiste comme la communauté musulmane en soi. Jasper a sa propre représentation de l'islam à laquelle il souhaite vivement voir les musulmans se conformer.
Trop souvent, les Églises prennent au sérieux les individus dépourvus de statut. Prenons le cas de Mehdi Razvi, l'imam de Masjid Ali, la mosquée khomeiniste de Hambourg : si peu respecté par ses compatriotes pakistanais pour s'être « ridiculisé – et avoir ridiculisé le Pakistan », il a été exclu de la Pakistan Cultural Association pour avoir causé « la honte pour son pays ». Malgré cela, pendant près de vingt ans, Razvi est régulièrement apparu lors de rassemblements religieux et de cérémonies publiques en tant que représentant spirituel de la communauté musulmane.
À l'instar de Razvi, de nombreux dirigeants islamistes sollicitent avidement l'attention des Églises. Faute d'acceptation en tant que représentants authentiques de leurs communautés, ils dépendent de la légitimation par les Occidentaux. Dans le même temps, ils considèrent l'œcuménisme des instances ecclésiales d'une manière suspicieuse, comme une sorte de mission secrète. Ils se plaignent de l'intensification de l'activité missionnaire des Églises qu'ils attribuent à la réactivation d'une idéologie croisée. En effet, la propagande islamiste se concentre bien plus sur le clergé, considéré comme une bande de loups déguisés en brebis, que sur les skinheads ou les néo-fascistes.
La préférence cléricale pour les durs est une insulte adressée implicitement à la majorité des musulmans qui ne veulent pas des islamistes. Cela suscite parmi les musulmans beaucoup d'amertume et de méfiance envers le clergé chrétien. « Qui se ressemble s'assemble », est un commentaire qu'on entend souvent. Les théories du complot foisonnent pour expliquer le penchant des Églises pour les extrémistes chassés de leur propre communauté.
La conclusion est évidente : les Églises doivent éviter les islamistes et coopérer avec des dirigeants modérés et représentatifs.
Préférence pour les dirigeants sanctionnés par le Moyen-Orient. Les ecclésiastiques semblent être avides de voir les institutions islamiques hiérarchisées et structurées un peu à la manière de leurs propres Églises. Ce qui les pousse à se tourner vers des institutions aux noms pompeux, aussi vides soient-elle en réalité, plutôt que vers des organisations bien ancrées mais d'envergure locale.
Considérons le Congrès islamique mondial d'Inamullah Khan, un homme d'affaires pakistanais. Le Congrès est méconnu au Pakistan et n'a pratiquement aucune reconnaissance dans le monde musulman. Même les musulmans de la diaspora le connaissent à peine, bien qu'il opère principalement en Europe. Pourtant, le Congrès islamique mondial a connu un succès singulier en tant que partenaire d'organismes ecclésiaux tels que le Conseil œcuménique des Églises et la Conférence mondiale des religions pour la paix basées à Genève. Inamullah Khan instrumentalise l'organisation en vue de son autopromotion et même de son enrichissement personnel (ainsi, ce rapprochement lui a valu un siège au conseil d'administration du prestigieux prix Templeton qu'il a rapidement convaincu de lui attribuer le prix de 150.000 $ !). La légitimation par les Occidentaux a à son tour permis au Congrès islamique mondial de gagner un certain soutien dans les communautés musulmanes.
Les véritables dirigeants musulmans sont rarement islamistes et ne sont pas représentés par des organisations d'autopromotion. Les communautés musulmanes ont leurs propres mécanismes de production de leaders qui, même s'ils manquent de consistance et de visibilité, méritent d'être repérés et mis en valeur. Les Églises devraient rechercher des personnalités qui émergent naturellement au sein de leurs communautés et qui ne sont pas imposées par des gouvernements étrangers.
Préférence pour les théologiens. Le clergé chrétien semble avoir du mal à accepter comme partenaires égaux des musulmans qui ne soient pas de véritables théologiens. Tant qu'ils insisteront pour trouver du côté musulman leurs homologues les plus proches, ils tomberont généralement sur les mauvais partenaires. À l'inverse, les Églises devraient traiter avec des dirigeants sans rapport avec la théologie.
En l'absence de structure ecclésiale, le leadership provient généralement des milieux professionnels. L'instruction joue ici un rôle décisif. Juges, avocats et autres personnes travaillant dans le domaine du droit et de l'administration conviennent parfaitement. Viennent ensuite les enseignants, en particulier les professeurs d'université, ainsi que les médecins et autres professionnels hautement qualifiés. Les hommes d'affaires ayant des engagements caritatifs et des qualités de leadership sont de bons candidats. N'importe lequel d'entre eux gagne énormément aux yeux de ses compatriotes musulmans s'il officie en tant qu'imam, ne serait-ce qu'occasionnellement.
Dans l'ordre naturel des choses, ces dirigeants apparaîtront comme les porte-parole des communautés musulmanes. Beaucoup de fidèles les préfèrent à ceux qui n'étudiaient que les matières religieuses. Un médecin égyptien est directeur du Centre islamique de Californie du Sud, une entreprise communautaire très réussie, tandis que la plupart des titulaires de charge et leurs épouses sont également des médecins praticiens. Les membres parlent fièrement de cette mosquée florissante comme du « centre des médecins ».
B. LUTTER CONTRE LE NATIVISME
En vue de réduire la menace du nativisme, la population autochtone peut prendre différentes mesures, notamment :
L'acceptation du pluralisme culturel
Pendant trente ans, les dirigeants européens ont clamé que « l'Angleterre n'est pas les États-Unis » et que « la France n'est pas un pays d'immigration ». La République fédérale d'Allemagne est allée plus loin et s'est officiellement définie comme une « terre de non-immigration » (kein Einwanderungsland). Des personnages publics et des intellectuels comme Heinrich Böll se sont opposés à cette notion, sans grand succès.
Le moment est venu de clore le débat. S'accrocher aux visions de l'Angleterre du bon vieux temps n'est pas seulement futile mais profondément réactionnaire à l'instar des visions pastorales similaires qui existent dans les autres pays d'Europe de l'Ouest. Car l'Europe occidentale a fondamentalement changé : ses cultures incluent de nouvelles langues, religions et modes de vie et sa politique est soumise à de nouvelles influences. Des sociétés multiethniques et multiraciales ont vu le jour au début des années 1960 lorsque des travailleurs musulmans se sont installés par centaines de milliers, apportant avec eux des habitudes rustiques et exotiques. Trente ans plus tard, ce sont des communautés entières qui ont vu le jour, avec des petits-enfants et des grands-parents, qui n'ont pas l'intention de retourner dans le pays d'origine. En dehors de la Suisse, l'ancienne notion de main-d'œuvre étrangère temporaire est révolue car désormais, les communautés sont permanentes. L'idée (expérimentée en Allemagne en 1983) de payer des « primes de retour au pays » ne peut pas non plus changer la situation de fond. Vu sous l'angle de l'histoire à long terme, cette évolution est extrêmement paradoxale : après avoir combattu les guerriers musulmans pendant tant de siècles, les Européens ont fini par inviter des travailleurs musulmans. Alors que les premiers sont finalement partis, les seconds sont restés.
IL FAUT QUE LES EUROPÉENS ACCEPTENT LA RÉALITÉ À SAVOIR QU'ILS VIVENT DANS DES SOCIÉTÉS D'IMMIGRATION. IL FAUT AUSSI QU'ILS COMPRENNENT QUE L'INTÉGRATION N'IMPLIQUE PAS NÉCESSAIREMENT L'ASSIMILATION. C'EST UN MESSAGE QUI DOIT ÊTRE REÇU ET COMPRIS PAR L'ENSEMBLE DE LA POPULATION. TOUTE PERSONNE QUI PEUT Y CONTRIBUER – RESPONSABLES POLITIQUES, INSTITUTIONS PUBLIQUES, ORGANISATIONS PRIVÉES, JOURNALISTES, AGENCES DE PUBLICITÉ – REND SERVICE À SON PAYS. EN REVANCHE, IL NE FAUT PAS QUE CELA DEVIENNE UNE PROPAGANDE QUI ÉTOUFFE LES VOIX DISSIDENTES ET CONDUISE À REPOUSSER LE DÉBAT AUX MARGES. IL NE FAUT PAS NON PLUS QUE CELA SE TRANSFORME EN ATTAQUE MULTICULTURALISTE CONTRE « L'EUROCENTRISME » QUI EST APPARUE AUX ÉTATS-UNIS CES DERNIÈRES ANNÉES. IL FAUT PLUTÔT QUE S'ORGANISE UNE DISCUSSION DE FOND OÙ S'EXPRIMENT TOUS LES POINTS DE VUE RESPONSABLES. À CÔTÉ DE LA NÉCESSAIRE ACCEPTATION DU PLURALISME CULTUREL, TÂCHE COLOSSALE ET DÉROUTANTE À BIEN DES ÉGARDS, IL EST D'AUTRES QUESTIONS RELATIVEMENT SIMPLES.
La sensibilisation des occidentaux à l'islam
Pour que les chrétiens acceptent les nouveaux arrivants musulmans et que les deux religions coexistent en harmonie, il faut surmonter une tradition millénaire de méfiance et d'hostilité. Cela ne peut se faire que par une meilleure connaissance et une meilleure compréhension de l'islam et des musulmans.
L'ignorance conduit à mettre dans le même sac des groupes d'étrangers très différents. Les pays aux noms similaires (Iran et Irak notamment) se confondent et Arabe devient synonyme de musulman. Souvent, les Occidentaux veulent des distinctions simples et claires entre ami et ennemi, sans avoir à se soucier des nuances. Faire la différence entre les défenseurs d'un régime totalitaire et les démocrates en exil opposés à ce régime (comme dans le cas de l'Iran) semble être trop exigeant pour beaucoup en Europe et en Amérique. Les nativistes répondent à ces situations complexes par un simple renvoi : « Qu'ils aillent tous au diable ».
Cependant, pour éviter les conflits, il faut prendre la peine d'être attentif. Cela signifie non pas que les occidentaux se mettent à étudier la théologie islamique ou se familiarisent avec les pratiques religieuses mais qu'ils s'informent sur la civilisation de l'Islam et sur les communautés musulmanes en Occident. La tâche est rude car l'islam est une civilisation vaste et ancienne, aux éléments constitutifs complexes. Soyons réaliste : l'éducation sur l'islam et les musulmans n'ira pas très loin en profondeur. Néanmoins il faut faire de réels efforts en vue de promouvoir la sensibilisation sur ce qu'est l'Islam en tant que religion et civilisation.
Il n'appartient pas à monsieur tout le monde d'apprécier la composition, les préoccupations et les attitudes de la vie communautaire musulmane, avec ses divisions confessionnelles, ses loyautés politiques conflictuelles et la diversité de ses origines nationales, raciales, culturelles et linguistiques. Mais ceux qui entrent en contact avec des musulmans doivent être conscients de certaines subtilités. Dans une certaine mesure, ils n'ont pas le choix. Les enseignants français se retrouvent pris entre les factions rivales des élèves algériens : islamistes contre laïcs. Turcs et Kurdes mettent leurs professeurs allemands au défi de rejoindre leur camps contre l'autre. Les enseignants néerlandais doivent maintenir la paix entre les enfants des Marocains pro et antigouvernementaux.
Les effets positifs d'une connaissance accrue iraient bien au-delà de la simple acquisition d'informations car l'étude implique le respect. Or, le respect est très important pour des peuples fiers mais marginalisés. Les musulmans d'Occident se plaignent souvent de la négligence, sinon du mépris de l'Occident envers leur civilisation. Un sentiment de négligence engendre des revendications extrêmes parmi les musulmans. Même si de telles plaintes sont parfois exagérées, il serait très utile que les Occidentaux prennent les musulmans et leurs cultures plus au sérieux.
Les élèves musulmans sont très satisfaits lorsque les écoles secondaires européennes proposent des cours sur l'islam. Considérer leur héritage en le présentant de manière positive et attrayante devant leurs pairs non musulmans crée un sentiment de joie : pour une fois, ils ont l'impression de ne pas être décrits comme de vilains barbares. Alors que les universités américaines proposent des programmes de cultures comparées entre différents types d'Américains (Asiatiques, Noirs, Indiens), presque toutes ignorent les Américains arabes et iraniens.
L'étude des musulmans en Occident
Quels changements s'opèrent dans la vie religieuse des musulmans d'Occident ? Quelles sont les tendances qu'on peut observer ? Quelles attitudes gagnent en force ? Intégration est un mot qui sonne bien mais qu'est-ce qu'il signifie réellement ? Est-ce le juste milieu entre les extrêmes que sont l'assimilation (échange de l'ancienne identité contre une nouvelle) et de l'isolement (retrait dans une existence de ghetto auto-imposée) ? Quelles différences générationnelles voit-on apparaître ? Les musulmans de deuxième génération vont-ils devenir modérés ou radicaux, s'intégrer ou s'isoler, accepter le pluralisme ou se tourner vers la violence ?
CES QUESTIONS CLÉS DOIVENT ÊTRE ABORDÉES AVEC AUDACE ET DÉBATTUES EN PROFONDEUR PAR LES MUSULMANS ET LES NON-MUSULMANS. LES RÉPONSES PEUVENT GUIDER LES DÉCIDEURS POLITIQUES ET PERMETTRE L'ISOLEMENT DES FRANGES RADICALES ET CONTRIBUER À ÉVITER DE FUTURS CONFLITS. DES ÉTUDES SONT EN COURS. LES ÉGLISES EMPLOYENT DES SPÉCIALISTES QUI OBSERVENT DE PRÈS LES COMMUNAUTÉS MUSULMANES. LES SERVICES DE POLICE ET DE RENSEIGNEMENT LES SURVEILLENT. BIEN QUE BASÉ EN ARABIE SAOUDITE, L'INSTITUTE OF MULSIM MINORITY AFFAIRS PUBLIE UNE REVUE DE GRANDE QUALITÉ QUI PORTE BEAUCOUP D'ATTENTION AUX MUSULMANS EN OCCIDENT. LE CENTER FOR THE STUDY OF ISLAM AND CHRISTIAN-MUSLIM RELATIONS AUX SELLY OAKS COLLEGES DE BIRMINGHAM AU ROYAUME-UNI, FOCALISE LE TRAVAIL ACADÉMIQUE SUR CE SUJET POUR LEQUEL IL EXISTE, DANS L'ENSEMBLE, UNE LITTÉRATURE ABONDANTE, SURTOUT EN FRANÇAIS.
La quantité est certes abondante mais la qualité laisse à désirer. De nombreuses recherches menées sur les musulmans en Occident sont handicapées par la nouveauté du sujet et le manque de rigueur intellectuelle. Les études souffrent de scribalisme (documentation plutôt que réflexion) ou de distorsion idéologique. Pour remédier à ces faiblesses, il faut mettre en place de nouvelles institutions qui soient idéologiquement neutres et intellectuellement rigoureuses et qui emploient des universitaires indépendants, musulmans et occidentaux, travaillant ensemble en étroite interaction avec la diaspora et les musulmans convertis.
L'estime pour la main-d'œuvre étrangère
À l'exception de l'Irlande, de l'Albanie et de Malte, toute l'Europe souffre de faibles taux de natalité et de populations en déclin. Dans les années 1980, de tous les peuples du monde c'est la population allemande qui a diminué le plus rapidement. Selon certaines estimations, la population chrétienne du pays diminuera de 25 % d'ici 2015. Bien qu'elle ait accueilli près d'un million d'Allemands de souche en provenance d'Europe de l'Est, cette baisse se poursuit à un rythme soutenu. Les réflexions sur les touristes se promenant en Allemagne après l'année 2020 à la recherche du dernier village d'autochtones sont devenues monnaie courante. Le même schéma est observable ailleurs bien que de façon un peu moins spectaculaire. En France, la population diminue depuis un demi-siècle. Dans la petite Autriche, le nombre d'habitants diminue d'environ 15.000 unités par an si bien que, pour « assurer une légère expansion de l'économie », le gouvernement propose d'accueillir jusqu'à 30.000 personnes par an. La Belgique et la Hongrie sont confrontées à des problèmes similaires. Même l'Italie a un taux de fécondité d'à peine 1,7 enfant par femme (le niveau de renouvellement est de 2,1). Après le miracle économique des années 1980, la population espagnole a également commencé à décliner.
En revanche, les pays musulmans ont parmi les taux de natalité les plus élevés au monde. Jusqu'à récemment, le Maroc enregistrait le deuxième taux de natalité le plus élevé, avec une augmentation annuelle de 4,1 % par an (on dit maintenant qu'il serait tombé à 3,2 %, mais le chiffre est peut-être exagéré). Le reste de l'Afrique du Nord présente des chiffres similaires, tout comme l'Égypte, l'Iran et le Bangladesh.
Selon une étude de John R. Weeks, les pays comptant un grand nombre de musulmans ont un taux brut de natalité de 42 pour mille. En revanche, les pays développés ont un taux brut de natalité de seulement 13 pour mille. Traduit en taux de fécondité total, cela signifie 6 enfants par femme musulmane contre 1,7 dans les pays développés. Le taux moyen d'accroissement naturel dans les pays musulmans est de 2,8 % par an. Dans le monde développé, il n'est que de 0,3 %. Sur le plan démographique, Européens et musulmans se complètent si bien que la poursuite de la migration des musulmans vers l'Occident semble inéluctable. L'Europe a besoin d'habitants, le monde musulman en a trop. Le salut de l'Europe ne réside pas dans les travailleurs immigrés mais dans l'importation de nouvelles populations tout entières.
À cela, certains Européens pourraient répondre qu'ils préfèrent voir la population de leurs pays se réduire plutôt que de voir leurs traits culturels essentiels changer. Dans un sondage réalisé par l'Université de Göteborg, plus de la moitié des Suédois interrogés ont exprimé de fortes réserves à l'égard des musulmans et ont soutenu l'idée de restreindre le nombre d'immigrants notamment musulmans, pas mal ayant montré un grand enthousiasme pour une telle restriction. En un mot : « Mieux vaut mourir en Suédois que vivre en Turcs ! »
Mais veulent-ils vraiment vivre (ou mourir) comme de pauvres Suédois ? Si les étrangers cessaient de venir en Europe occidentale et d'y rester, la prospérité de cette région serait menacée. On n'en veut peut-être pas mais les immigrés sont nécessaires. Une étude de 1991 conclut que la France aura besoin de 315.000 nouveaux immigrés par an pour maintenir sa main-d'œuvre actuelle. Aujourd'hui, les Arabes constituent 60 % des ouvriers de l'industrie marseillaise et représentent pour l'ensemble de la France, 20 % des médecins, 50 % des cheminots et 60 % des éboueurs.
Le maintien du niveau de vie le plus élevé au monde exige un travail acharné, c'est-à-dire ce que proposent les immigrés musulmans qui en général assument des tâches dont les Européens ne veulent pas : emplois à la chaîne, métiers du bâtiment, nettoyage des rues, petit commerce de détail. Et ils excellent à ces postes, comme le montre le fait intéressant que les nouveaux immigrés d'Europe de l'Est n'ont guère affecté l'emploi des musulmans. Les Allemands de l'Est manquent tellement du dynamisme et de la discipline de travail requis dans l'Ouest capitaliste qu'ils ont pris peu d'emplois d'usine aux travailleurs turcs de l'Allemagne de l'Ouest. Malgré un chômage considérable en France et en Allemagne, la gastronomie reste très largement l'apanage des Marocains. La conclusion est claire : la crainte de perdre des emplois n'est pas fondée.
Des centaines de milliers de jeunes occidentaux en compétition pour trop peu d'emplois ou d'opportunités de formation professionnelle pourraient ne pas être convaincus par cet argument. Naturellement, ils ne veulent pas que les étrangers s'ajoutent à leurs concurrents.
Entre ce que la population perçoit du travail des immigrés et la réalité, il y a un gouffre. Par conséquent, combattre les perceptions erronées aide à atténuer les tensions. L'agitation vigoureuse des partis d'extrême droite nécessite une campagne de sensibilisation massive pour comprendre les avantages que procurent les immigrés. En effet, l'image conforme à la réalité est dans une certaine mesure relayée par les médias. Les lecteurs allemands apprennent que « les étrangers ne doivent pas être un fardeau, le bateau allemand est loin d'être plein ». Un homme politique suisse parle d'« une peur quelque peu irrationnelle » vis-à-vis des étrangers (dont 90 % sont musulmans). Günter Wallraff, l'as du reportage d'investigation allemand, a fait pour les Turcs ce que John Howard Griffin avait fait pour les Noirs américains et ce que Yoram Binur ferait pour les Arabes palestiniens : il s'est déguisé en individu appartenant à un groupe de parias et s'est volontairement soumis aux indignités qui ont suivi. Le rapport qui en est sorti, avec ses détails minutieux sur les dangers et l'injustice de la vie turque en Allemagne, a fait sensation dans ce pays et dans une grande partie de l'Europe occidentale.
Certains dirigeants ont toutefois des difficultés à le dire clairement. Les autorités françaises semblent avoir peur de dire à la population qu'elle a besoin de plus d'étrangers, pas de moins. Martine Aubry, la ministre française du Travail, a tempéré ses déclarations sur la future dépendance de la France à davantage de travailleurs étrangers en soulignant qu'il s'agissait « d'une simple hypothèse de travail ».
L'instauration d'une analogie avec l'antisémitisme
Les musulmans du Moyen-Orient présentent de nombreuses ressemblances avec les juifs. Plus un musulman vit selon la charia, plus il vit comme un juif orthodoxe. L'un et l'autre s'entourent d'un nombre infini de détails minutieux liés à l'observance rituelle. Les deux groupes partagent en outre beaucoup dans la façon de s'habiller, de se saluer, de parler, de bouger, de célébrer les fêtes, etc. Les exigences islamiques pour la nourriture halal ressemblent à celles de la nourriture casher. Comme les juifs, les musulmans ouvrent des boucheries et des restaurants principalement pour leur propre communauté tandis que les Italiens et les Grecs ouvrent des restaurants ethniques parce qu'il s'agit d'établissements à la mode, destiné aux non-Italiens et aux non-Grecs.
Sans surprise, les musulmans ont hérité de certains des préjugés occidentaux construits au cours des siècles contre les juifs. La réaction actuelle contre les musulmans rappelle ce qu'Hitler décrivait dans Mein Kampf comme le motif de sa haine des juifs. Lorsqu'il était jeune et vivait à Vienne, il a un jour rencontré « une apparition étrange avec des boucles noires et vêtue d'un long caftan ». Fixant du regard ce Juif orthodoxe et examinant furtivement chacun de ses traits, il s'est alors demandé : « Est-ce que c'est aussi un Allemand ? » Aujourd'hui, les rues sont remplies de Nord-Africains et de Turcs aux cheveux plus sombres et plus bouclés, portant des caftans plus exotiques et parlant des langues « plus étranges » que le yiddish. Ou, comme l'a dit un psychologue français après un crime antisémite particulièrement horrible : « J'ai toujours dit que Le Pen avait commencé par les Arabes et finirait par les Juifs. »
En Allemagne, le sentiment antiturc perpétue les anciens stéréotypes antisémites. Les Turcs en Allemagne sont désignés par les mêmes noms que ceux utilisés naguère pour les Juifs, comme Knoblauchfresser (« bouches d'ail »). Les méthodes quelque peu similaires d'abattage des animaux dans les deux religions provoquent souvent des problèmes semblables. Déjà en 1982, à la veille de la fête du Sacrifice, grande fête de l'islam, la commissaire du gouvernement allemand pour les travailleurs étrangers, Liselotte Funcke, anticipait de nouvelles flambées de violence antimusulmane provoquées par l'abattage rituel d'un grand nombre de moutons. Elle a même fait référence au Coran lorsqu'elle a appelé la communauté turque à autoriser l'étourdissement des animaux avant l'abattage. Au cours d'une campagne contre les méthodes musulmanes d'abattage des animaux à Bradford, la ville anglaise comptant le plus grand pourcentage de population musulmane, un appelant a affirmé que les musulmans dansaient nus autour de l'animal et le poussaient avec des bâtons. Ceux qui sont hostiles aux musulmans doivent être conscients que leurs préjugés sont semblables à de l'antisémitisme.
JUIFS ET MUSULMANS GAGNERONT EN UNISSANT LEURS EFFORTS. LES JUIFS SE FERONT UN GRAND NOMBRE D'ALLIÉS ET LES MUSULMANS ACQUERRONT INSTANTANÉMENT UN STATUT. LES EUROPÉENS ONT ENCORE TENDANCE À CONSIDÉRER LA CIRCONCISION COMME L'ÉTRANGE COUTUME D'UN PETIT PEUPLE. ILS VOIENT LA QUESTION TRÈS DIFFÉREMMENT EN APPRENANT QUE LA CIRCONCISION EST UNIVERSELLE CHEZ CINQ CENT MILLIONS D'HOMMES MUSULMANS. IL EN EST DE MÊME POUR D'AUTRES PRATIQUES SIMILAIRES DANS LE JUDAÏSME ET L'ISLAM COMME L'INTERDICTION DU PORC ET LA MÉTHODE D'ABATTAGE RITUEL.
Au contraire, Le fait que les pratiques juives sont devenues plus largement acceptées en Occident, offre aux musulmans le moyen de gagner la tolérance pour leurs coutumes. De plus, les juifs ont des institutions bien établies et largement acceptées pour combattre les préjugés, des institutions dont les musulmans pourraient grandement bénéficier.
La réconciliation et la coopération judéo-musulmanes existent. Certaines organisations œuvrent dans ce sens, notamment La Fraternité d'Abraham en France ou la Standing Conference of Jews, Christians and Muslims in Europe, dont le siège est en Angleterre. La maison Martin Buber à Heppenheim, en Allemagne, invite fréquemment des conférenciers musulmans. Aux États-Unis, la Detroit Round Table (une branche de la National Conference of Christians and Jews) rassemble activement juifs et musulmans. Ces efforts méritent d'être soulignés et projetés comme des modèles.
À l'occasion, juifs et musulmans découvrent le lien commun de leurs origines religieuses, de leurs rites et de leurs coutumes moyen-orientales ainsi qu'une certaine communauté d'intérêts, sinon une parenté de destin. En France, la plupart des Arabes et des juifs partagent une même culture et un même mode de vie maghrébins qui leur permettent de dépasser les clivages du conflit israélio-arabe. Aux États-Unis, les musulmans immigrés (pas des convertis, qui partagent des préjugés nationalistes noirs) et les juifs constituent deux unités comparables qui pourraient éventuellement former un bloc puissant. En Argentine, les juifs et les musulmans ont tendance à se considérer avant tout comme les descendants de Moyen-Orientaux sans trop se soucier de la politique actuelle.
Toutefois, ces efforts demeurent une exception. Malgré les avantages évidents que présente le fait de rassembler leurs forces, les musulmans et les juifs s'unissent rarement pour combattre les préjugés. En effet, en raison des émotions intenses générées par la situation politique au Moyen-Orient, ils se traitent plus souvent en adversaires. Il existe aussi d'autres obstacles : par exemple, en Europe occidentale, le judaïsme bénéficie d'une reconnaissance officielle, contrairement à l'islam pour le statut duquel les juifs montrent peu d'enthousiasme au changement. Au contraire, un certain nombre de musulmans accusent les juifs d'attiser le ressentiment antimusulman parmi les chrétiens. Pire, l'antisémitisme virulent des islamistes (l'un d'eux, Ahmed Rami, a passé six mois dans une prison suédoise, pour avoir diffusé des extraits de Mein Kampf) bloque la plupart des tentatives d'alliance.
L'engagement dans le dialogue interreligieux
LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX OFFRE L'UN DES MOYENS LES PLUS EFFICACES POUR ENRAYER LE RISQUE DE CONFLIT ET S'AVÈRE UTILE À D'AUTRES FINS.
Plus simplement, la rencontre personnelle pour apprendre à se connaître, a généralement pour effet bénéfique d'atténuer les préjugés. Les barrières psychologiques disparaissent. Le fait de se regarder dans le miroir de l'interlocuteur permet de corriger à la fois ses propres erreurs et celles de ce dernier.
Au mieux, le dialogue interreligieux rassemble des intellectuels érudits de diverses communautés religieuses pour discuter de questions théologiques complexes (par exemple, la révélation, la vérité absolue). Bien qu'inaccessibles aux profanes, ces discussions savantes favorisent la compréhension et la sociabilité entre les dirigeants et légitiment ainsi un esprit fraternel qui se répercute ensuite sur l'ensemble des communautés.
À un niveau moins abstrait, les représentants de différentes religions peuvent discuter de questions d'intérêt commun telles que l'avortement, l'insémination artificielle, les droits des femmes, les droits de l'homme. Les relations s'améliorent, parfois de façon spectaculaire, dès le moment où ils délibèrent. Le dialogue interreligieux a commencé entre chrétiens et juifs et a permis l'essor d'un certain nombre de groupes, d'associations et de publications reconnus. Le dialogue islamo-chrétien et surtout le dialogue judéo-islamique sont beaucoup plus récents et fonctionnent à titre plus expérimental. Des rencontres judéo-islamo-chrétiennes, connues sous le nom de trialogue, ont également vu le jour avec, aux places d'honneur, la Fraternité d'Abraham en France, Crislam en Espagne et la Standing Conference of Jews, Christians and Muslims in Europe. En Allemagne, les groupes de rencontre islamo-chrétiens du Kirchentage (avec ses rassemblements de masse annuels, alternativement catholiques et protestants) s'adressent à la base. L'International Council of Christians and Jews a tenu plusieurs réunions avec des équipes musulmanes pour discuter de l'élargissement de l'organisation en un International Council of Jews, Christians and Muslims.
Aux États-Unis, tout cela a déjà été mis en place, sauf le nom, en ce sens que la National Conference of Christians and Jews a désormais un premier responsable musulman et qu'elle parraine des réunions occasionnelles avec des intervenants musulmans. La NCCJ parraine ce qui est peut-être le plus important de tous ces projets, l'Annual JCM Scholars Dialogue, une association de professeurs d'université, huit juifs, huit chrétiens et huit musulmans, dont la plupart occupent également des postes religieux importants dans leurs communautés.
Lorsque le trialogue commence, la notion de tradition judéo-chrétienne conduit certains dirigeants juifs à se voir plus étroitement liés à leurs homologues chrétiens ; d'autres voient l'existence de lois sacrées juives et musulmanes comme créatrice de liens particuliers entre ces deux religions. Une tout autre division remplace rapidement ces notions car les dirigeants religieux constatent que chaque communauté se divise selon des sensibilités similaires : dans les trois religions, les traditionalistes s'alignent d'un côté et les libéraux de l'autre. Un nouveau sentiment d'appartenance traverse les frontières confessionnelles et montre que la condition humaine constitue une catégorie qui transcende les frontières confessionnelles. Plus profondément encore, les croyants se rendent compte de tout ce qu'ils ont en commun à une époque laïque.
Le trialogue ne doit pas se limiter aux hautes considérations d'ordre théologique. Les questions pratiques peuvent s'avérer plus utiles encore. Ainsi en mai 1991, les protestants allemands ont été bien avisés de choisir pour leur journée bisannuelle de l'Église (Kirchentag) le thème : « Comment allons-nous vivre ensemble, femmes et hommes ? » La mosquée de Dortmund où s'est déroulée la réunion était bondée et l'angoisse, palpable chez de nombreux participants, particulièrement les musulmans. Pourtant, il n'y a pas de sujet plus pratique.
Les résultats encourageants de la fraternisation interreligieuse n'excluent toutefois pas un renforcement nécessaire du processus. La participation musulmane reste faible et la sensibilisation du public, inexistante si bien que l'impact du trialogue a été très limité. Dans la lutte contre le risque de conflit et pour la paix entre les communautés, la publicité est cruciale.
Un avertissement cependant : alors que les organisations islamistes méprisent le dialogue interreligieux avec les non-musulmans, elles s'y engagent avec empressement. La presse islamiste regorge de diatribes contre le dialogue qu'elle voit comme « rien d'autre que le dernier stratagème en date de missionnaires chrétiens pour nous écarter de l'islam ». Or, la Ligue islamique mondiale et l'Islamic Foundation (Leicester) sont les premières à intervenir dans les conférences internationales pour rencontrer des juifs et des chrétiens. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons que voici : empêcher les autres musulmans de se faire les porte-parole de l'islam, gagner en légitimité et en statut en agissant comme les égaux des dirigeants d'Églises, se présenter aux musulmans comme les défenseurs de la foi, profiter de l'occasion pour faire du prosélytisme, faire respecter une ligne politique du côté musulman et maintenir les musulmans libéraux hors-jeu. Pour les radicaux, le dialogue interreligieux n'a rien à voir avec le dialogue et tout à voir avec l'autopromotion. Dès lors, il faut tenir les islamistes à l'écart du dialogue.
CONCLUSION : BLOQUER LES EXTREMISTES
En dernière analyse, tout se résume à la question de savoir qui aura le contrôle de la relation euro-musulmane : les extrémistes ou les modérés ? Si ces derniers ne s'imposent pas, les premiers domineront.
Les extrémistes. Les islamistes radicaux et les nativistes se nourrissent mutuellement de leurs paroles et de leurs actes. Le mécanisme fonctionne dans les deux sens. Le 14 juin 1979, dans la ville de Recklinghausen, Harun Reshit Tuyloglu, l'imam en chef de la ville, s'est qualifié à plusieurs reprises de « conquérant de l'Europe » et a offert de sacrifier sa vie et celle de ses partisans au service de la construction d'une chaîne de mosquées sous bannière turque allant « de Chypre à Oslo ». Il a appelé l'assistance à « casser les cornes de ceux qui ont essayé d'empêcher cette cérémonie publique et d'arracher la langue de tous nos adversaires. Je vais vous indiquer qui sont nos ennemis, et vous savez quoi faire d'eux. » Plus d'une décennie plus tard, Franz Schönhuber, chef du parti allemand Republikaner, citait encore régulièrement Tuyloglu et affirmait sa détermination à combattre le projet d'un « islam dominant le monde ».
À l'inverse, les islamistes se délectent des blagues grossières, voire blessantes, racontées entre nativistes, et y trouvent le combustible dont ils ont besoin pour enflammer leurs partisans. Voici une boutade reproduite dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Quelle est la différence entre un Juif et un Turc ? » « Eh bien, le Juif a eu sa leçon. Le Turc, pas encore ! » Des islamistes comme Kalim Siddiqui exploitent ce genre de plaisanterie pour agiter le spectre des « chambres à gaz à l'hitlérienne pour les musulmans ». Et il n'est pas le seul. Shabbir Akhtar, membre du conseil des mosquées de Bradford, soutient que « la prochaine fois qu'il y aura des chambres à gaz en Europe, il n'y aura aucun doute sur l'identité de ceux qui s'y trouveront ». Dans son roman, The Buddha of Suburbia, Hanif Kureishi décrit un personnage se préparant à tout hasard à une guerre urbaine qui surviendra « lorsque les Blancs se seront finalement retournés contre les Noirs et les Asiatiques et nous forceront à entrer dans des chambres à gaz ».
Tout comme la rhétorique appelle à la rhétorique, la violence engendre la violence. En 1991, six meurtres d'Arabes en France ont été commis en représailles d'actes de terrorisme musulman. Au Royaume-Uni, ce motif apparaît explicitement dans « The Voice of Britain », une chanson semblable à un hymne du Front national de ce pays. Une strophe indique que « Nos personnes âgées ne peuvent pas marcher seules dans les rues », tandis qu'une autre promet que « nous allons nous lever et nous battre ».
Livrés à eux-mêmes, les extrémistes transformeront un partenariat économique et un défi culturel en confrontation violente.
Les modérés. Les modérés parlent un tout autre langage. Du côté occidental, une partie de l'opinion considère que l'Europe tire un avantage de la présence musulmane. L'afflux de musulmans constitue une main-d'œuvre complémentaire indispensable. Bien plus, en défendant la foi et les valeurs familiales, les musulmans insufflent de la vigueur aux sociétés industrielles vieillissantes. Ils ajoutent aussi de la couleur et du piment à une vie occidentale menacée d'uniformité. L'étranger musulman témoigne même de traditions bibliques en voie de disparition et donne ainsi au christianisme un nouveau souffle.
Le révérend H. J. Brandt de Hambourg soutient que l'émigration musulmane offre une merveilleuse opportunité pour le renouveau occidental. Quelques réactionnaires considèrent même les musulmans comme des piliers de la tradition et donc comme des alliés utiles dans la bataille contre la modernité. Ainsi, Thomas Molnar écrit avec admiration sur le programme islamiste en Algérie, opposant un « Islam progressant victorieusement » à une « Europe décadente ». Maxime Rodinson, éminent spécialiste français de l'islam et marxiste d'origine juive, apprécie la vue des mosquées qui ornent le panorama des villes occidentales. Il note la résistance féroce de l'Europe au christianisme il y a plusieurs siècles et conclut que le christianisme n'est pas plus naturel pour l'Occident que l'islam. Il considère que les échanges entre les religions et les civilisations sont utiles et estime que les musulmans ont une contribution culturelle à apporter. D'où son regret de voir les musulmans si rapidement absorbés par la vie occidentale et son souhait de les voir impacter plus fortement l'Occident.
Les musulmans seront-ils intégrés à la vie européenne ? Alfred Dregger, ancien chef des démocrates-chrétiens au parlement allemand, estime que l'aspect islamique de leur façon de penser et de leur mode de vie les empêchera constamment de s'intégrer. En revanche, Christian Jelen soutient que les troubles actuels ne sont que des maladies de jeunesse et que les musulmans « feront de bons Français ».
Certains idéalistes bien intentionnés célèbrent avec détermination l'impact de l'Europe sur l'islam et envisagent un islam européanisé capable de réformer la religion et de lui donner un nouveau souffle. En France, Pierre-Patrick Kaltenbach, ancien directeur de l'Institut national d'études démographiques, voit dans la diaspora musulmane une opportunité pour l'islam d'acquérir une nouvelle force en se sécularisant et en adoptant le principe de laïcité.
Du côté musulman, les modérés reconnaissent les valeurs positives de l'Occident. Certains les reconnaissent comme spécifiquement occidentales, d'autres affirment que ces valeurs ont une origine islamique. Dans les deux cas, ils croient à l'enrichissement mutuel : les musulmans ont tout à gagner des avancées occidentales (démocratie, science, état de droit) tandis que l'Occident bénéficierait du style de vie plus humain des musulmans dont les mœurs préindustrielles privilégient l'éthique de voisinage, la focalisation sur les enfants et les soins aux personnes âgées au sein de familles élargies. De telles déclarations sur l'enrichissement mutuel peuvent sembler doucereuses. Or, elles ont des avantages indéniables par rapport aux musulmans qui déplorent l'affadissement de leur foi en raison de l'impact d'une société d'accueil dégénérée.
Les traditionalistes assurent aux Occidentaux que l'islam ne représente aucune menace pour l'Occident et qu'ils n'ont donc pas besoin de considérer les musulmans avec suspicion. Les musulmans cherchent seulement à avoir les mêmes droits que tout le monde, y compris le droit d'avoir leur propre mode de vie. Cela nécessite quelques ajustements, mais tout peut se faire d'un commun accord. Ils rejettent comme des absurdités les discours décrivant les musulmans comme avides de prendre le contrôle de l'Europe.
Qui contrôlera l'axe des relations entre Islam et Occident ? Des musulmans qui méprisent la société et la culture qui les entourent, rejoints par des occidentaux mettant en garde contre les dégradations de leur culture et la perte d'identité ? Ou des musulmans et des occidentaux de bonne volonté désireux de tirer le meilleur parti de leur cohabitation forcée ? La question reste ouverte.