« Une part significative de la population palestinienne ne partage pas les vues du Hamas »
Joe Biden, président des États-Unis.
Le Plan Netanyahou
L'original en hébreu du plan « Jour d'après le Hamas ». |
Les affaires civiles et la responsabilité de l'ordre public reposeront sur des acteurs locaux ayant une « expérience en gestion » et qui ne sont ni identifiés à des pays ou des organisations soutenant le terrorisme ni financés par ces derniers ; un programme de déradicalisation sera promu dans toutes les institutions religieuses, éducatives et sociales de la Bande [de Gaza] avec autant que possible la participation et l'assistance de pays arabes ayant de l'expérience dans la promotion de la déradicalisation.
Dans le cadre de la mise en place de ce programme d'autonomie, l'armée israélienne a lancé fin février un programme pilote informel de ce qu'elle appelle des « poches humanitaires ». Établies dans les zones du nord de Gaza débarrassées du Hamas, ces poches sont constituées d'organes de gouvernement locaux composés de dirigeants communautaires, notamment des commerçants et des dirigeants de la société civile, dont les tâches incluent la distribution de l'aide humanitaire et la révision des programmes scolaires. Le processus avance lentement. « Nous recherchons les bonnes personnes pour prendre la relève », a déclaré un responsable. « Mais il est clair que cela prendra du temps, car personne ne se manifestera si chacun pense que le Hamas va lui mettre une balle dans la tête. »
Il convient de noter que le document du 22 février ne mentionne pas l'Autorité palestinienne (AP) mais ne l'exclut pas non plus. Cela permet d'éviter, d'une manière générale, les questions litigieuses. Le New York Times l'a qualifié de « soigneusement rédigé pour reporter les décisions à long terme concernant le sort du territoire et pour éviter des confrontations irréversibles avec les alliés nationaux et les partenaires étrangers ».
Une source confidentielle m'informe que le plan s'appuie en grande partie sur un rapport intitulé « Construire les piliers de la paix : une option pour Gaza », une analyse indépendante soumise au gouvernement en août 2014. Ce rapport propose un mécanisme permettant aux Gazaouis de gérer leurs propres affaires à travers le création d'une présence internationale de transition basée sur les Accords d'Oslo. Il recommande la mise en place de douze groupes de travail sectoriels pour couvrir l'agriculture, l'éducation, la création d'emplois, l'environnement, la santé, les infrastructures et le logement, le renforcement des institutions, la police, le secteur privé, les finances publiques, le tourisme, ainsi que les transports et les télécommunications. [1]
Critiques
L'idée d'une collaboration entre Israël et les habitants de Gaza se heurte à deux critiques principales. La premier point critique est qu'on préfère replacer Gaza dans un contexte politique plus large. Ainsi, Joe Biden appelle à « une Autorité palestinienne revitalisée » (en abrégé APR). C'est pourquoi le porte-parole du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, John Kirby, a eu face au plan une réaction assez froide, affirmant que « le peuple palestinien devrait avoir une voix et un vote... à travers une Autorité palestinienne revitalisée ».
Bien entendu, l'AP déteste ce plan qu'un de ses porte-parole, Nabil Abu Rudeineh, a qualifié de moyen « visant à poursuivre l'occupation des territoires palestiniens par Israël et à empêcher la création d'un État palestinien ». Le Hamas est également de cet avis. L'analyste palestinien Mustafa Ibrahim a critiqué ce plan qualifié de « vision centrée exclusivement sur Israël et ses intérêts, sans aucun égard pour l'humanité ou les droits des Palestiniens ».
D'autres proposent des schémas alternatifs. Mohammed Dahlan, un homme politique gazaoui en exil, prévoit qu'un nouveau dirigeant palestinien de Gaza (lui-même ?) gouverne avec le soutien des États arabes. Le chef du parti Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, estime que les Égyptiens devraient prendre le contrôle de Gaza « dans le cadre d'un mandat des Nations Unies et de la Ligue arabe ». Natan Sharansky, défenseur de la démocratie, espère que les Saoudiens et les Émiratis contribueront à bâtir « une économie indépendante, une éducation normale, un logement normal, une société civile ». Près de 40 % des Israéliens, dont deux éminents ministres du gouvernement, souhaitent une colonisation juive du territoire.
Le deuxième point critique est de soutenir que, même si Gaza demeure un territoire séparé, Israël ne peut pas trouver d'« acteurs locaux » avec qui travailler. Les raisons de rejeter l'optimisme relatif implicite du plan de Netanyahou sont multiples.
- L'antisionisme est profondément ancré depuis longtemps à Gaza. Déjà, en 1967, les manuels scolaires de Gaza utilisaient des exemples tels que : « Vous avez cinq Israéliens. Vous en tuez trois. Combien d'Israéliens reste-t-il à tuer ? » En d'autres termes, les attaques du 7 octobre s'appuient sur un fondement ancien et reflètent les points de vues des habitants de Gaza.
- Feriez-vous davantage confiance à Israël qu'au Hamas ? Khalil Shikaki, du Centre palestinien de recherche politique et d'étude, conclut de son sondage qu'« Israël ne trouvera pratiquement personne qui soit prêt à prendre le relais de l'armée israélienne » et « n'aura donc d'autre choix que de diriger lui-même » la Bande de Gaza.
- Certains critiques rappellent l'expérience israélienne des « Ligues villageoises » menée entre 1978 et 1982 en vue d'établir des relations avec les Cisjordaniens modérés. Cette expérience a échoué précisément à cause de la faiblesse de l'appareil sécuritaire israélien. [2]
Sami Abu Zuhri, haut responsable du Hamas, ridiculise les efforts israéliens entrepris pour gouverner Gaza, les qualifiant d'« inutiles », et prédit qu'ils « ne réussiront jamais ». L'ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, Meir Ben Shabbat, abonde en ce sens et espère que le Hamas « continuera de toute évidence à être la puissance dominante dans la bande de Gaza ». Le journal The Economist conclut que Gaza deviendra « un État défaillant de plus au Moyen-Orient, brisé mais jamais reconstruit ».
L'analyse qui va suivre soutient le plan Netanyahou et son optimisme implicite [3] et plaide en faveur de ce que j'appelle une Bande de Gaza convenable dirigée par des Gazaouis convenables. [4] Mon espoir repose sur le fait que les habitants de Gaza ont enduré une chose monstrueuse et peut-être unique dans l'expérience humaine à savoir, leur exploitation par leurs dirigeants comme chair à canon à des fins de relations publiques. Cela signifie que, aussi antisionistes soient-ils, la plupart des habitants de Gaza méprisent le Hamas et veulent à tout prix passer à autre chose, même si cela implique de travailler avec l'ennemi sioniste, et sont prêts à diriger un État policier typique du Moyen-Orient.
Hamas contre Gazaouis
Cette « expérience monstrueuse et peut-être unique » est à la base des sentiments anti-Hamas. Tout au long de l'histoire, les dictateurs ont considéré leurs troupes comme des drones humains remplaçables par de nouveaux conscrits. Le mépris de la Russie à l'égard de ses recrues de la prison de Wagner lors de la bataille de Bakhmut est typique de cette utilisation désinvolte d'une main-d'œuvre bon marché. Pour le président russe Vladimir Poutine, la quantité de chair à canon sacrifiée importait peu tant que la ligne de front avançait. Les gains réalisés sur le champ de bataille justifiaient toutes les pertes en vies humaines.
Prisonniers utilisés par la Russie comme de la chair à canon lors de la bataille de Bakhmut. |
Il y a ensuite le Hamas, l'organisation djihadiste qui dirige Gaza depuis 2007. Depuis dix-sept ans, elle poursuit un objectif opposé et peut-être historiquement inédit à savoir le fait de tourmenter délibérément sa propre population. Plutôt que de sacrifier des soldats en vue de gagner sur le champ de bataille, elle sacrifie des civils à des fins de relations publiques.
Le Hamas attaque Israël à plusieurs reprises pour provoquer des représailles et s'attend à juste titre à ce que les destructions et les souffrances à Gaza lui apportent le soutien des antisémites et des radicaux de toutes tendances, y compris des nationalistes palestiniens, des islamistes, des extrémistes de gauche, des extrémistes de droite et de diverses dictatures. Après les attaques du Hamas et les représailles d'Israël, la responsabilité de la violence se déplace rapidement du Hamas vers Israël, au bénéfice du Hamas [5]. De façon pernicieuse, plus les habitants de Gaza endurent de misère, plus le Hamas peut, de manière convaincante, accuser Israël d'agression – et plus le soutien qu'il reçoit est important en nombre et en intensité.
Pour s'assurer que les civils de Gaza seront affamés, sans abri, blessés et morts, le Hamas place des troupes et des missiles dans les mosquées, les églises, les écoles, les hôpitaux et les habitations privées. Une personnalité politique émiratie, Dirar Belhoul al-Falasi, a expliqué dans un cas que « le Hamas a tiré une roquette depuis le toit de l'hôpital, de façon à ce qu'Israël bombarde cet hôpital ». Le Hamas appelle les Gazaouis à servir de boucliers humains. Il gare les véhicules en travers des routes pour empêcher les civils de se déplacer vers le sud et se mettre hors de danger. Il tire sur les réfugiés potentiels.
Le gouvernement américain a depuis longtemps remarqué ce type de comportement. En 2014, le diplomate Dennis Ross déclarait que les habitants de Gaza payaient un prix « ahurissant » pour l'agression du Hamas mais que ses dirigeants « ne s'en préoccupent jamais. Pour eux, la douleur et la souffrance des Palestiniens sont des outils à exploiter, pas des conditions pour y mettre fin. » Douglas Feith, un ancien haut responsable du Pentagone, trouve à juste titre qu'on n'a « jamais vu un camp adopter une stratégie de guerre visant à maximiser les morts civiles dans son propre camp ». Il qualifie cela de « une stratégie non pas de bouclier humain [mais] de sacrifice humain ».
De nombreuses preuves – sondages, manifestations et déclarations – suggèrent que les Gazaouis comprennent cette stratégie du Hamas et refusent de servir de pions dans un jihad obsessionnel et illusoire.
Gazaouis contre Hamas I : résultats de sondages
Pour commencer, les sondages le montrent clairement. Heureusement, le Washington Institute for Near East Policy a réalisé en juillet 2023 auprès des Gazaouis un sondage approfondi dont voici les conclusions :
- 40 % des habitants de Gaza ont une opinion négative du Hamas.
- 42 % espèrent qu'« un jour nous pourrons être amis avec les Israéliens puisque, après tout, nous sommes tous des êtres humains ».
- 44 % conviennent que « nous devrions reconnaître que nous ne vaincrons jamais Israël et que les combats ne font qu'empirer les choses ».
- 47 % estiment que les accords d'Abraham ont eu un impact positif.
- 47 % déclarent que « ce serait mieux pour nous de faire partie d'Israël plutôt que de territoires dirigés par l'Autorité palestinienne ou le Hamas ».
- 50 % souhaitent que le Hamas « cesse d'appeler à la destruction d'Israël et accepte plutôt une solution permanente à deux États basée sur les frontières de 1967 ».
- 50 % conviennent que « si l'Arabie Saoudite normalise ses relations avec Israël, [les] dirigeants palestiniens devraient également normaliser leurs relations et mettre fin au conflit ».
- 52 % ont une opinion négative des Frères musulmans.
- 59 % soutiennent « la reprise palestinienne des négociations avec Israël ».
- 60 % des personnes interrogées reconnaissent que lorsqu'elles entendent parler de l'évolution de la situation en Syrie, au Yémen et ailleurs, « j'ai l'impression qu'en réalité, ma situation n'est pas mauvaise ».
- 61 % souhaitent que davantage d'emplois israéliens soient proposés à Gaza et en Cisjordanie.
- 62 % souhaitent que le Hamas maintienne le cessez-le-feu avec Israël.
- 63 % recherchent des contacts personnels directs et le dialogue avec les Israéliens.
- 67 % pensent que « pour le moment, les Palestiniens devraient se concentrer sur des questions pratiques comme l'emploi, les soins de santé, l'éducation et la stabilité quotidienne, et non sur de grands projets politiques ou des options de résistance. »
- 72 % conviennent que les Palestiniens devraient se tourner davantage vers les gouvernements arabes comme la Jordanie ou l'Égypte pour « aider à améliorer notre situation ».
- 72 % conviennent que « le Hamas a été incapable d'améliorer la vie des Palestiniens à Gaza ».
- 76 % souhaitent que les gouvernements arabes « jouent un rôle plus actif dans le rétablissement du processus de paix israélo-palestinien, en proposant des incitants aux deux parties de sorte que celles-ci adoptent des positions plus modérées ».
- 79 % estiment qu'« à l'heure actuelle, les réformes politiques et économiques internes sont plus importantes pour nous que n'importe quelle question de politique étrangère ».
- 82 % conviennent que « les Palestiniens devraient faire plus d'efforts pour remplacer leurs propres dirigeants politiques par des dirigeants plus efficaces et moins corrompus ».
- 87 % estiment que « de nombreuses personnes sont davantage préoccupées par leur vie personnelle que par la politique ».
Une enquête du Baromètre arabe menée auprès des Gazaouis et achevée la veille du 7 octobre, confirme ces résultats. Elle montre que
Les habitants de Gaza étaient plus susceptibles d'attribuer leur situation difficile aux dirigeants du Hamas qu'au blocus économique imposé par Israël. ... Dans l'ensemble, 73 % des habitants de Gaza sont favorables à un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien. À la veille de l'attaque du 7 octobre par le Hamas, seulement 20 % des habitants de Gaza étaient favorables à une solution militaire pouvant aboutir à la destruction de l'État d'Israël.
Ses sondeurs ont conclu que,
Plutôt que de soutenir le Hamas, la grande majorité des habitants de Gaza est frustrée par la gouvernance inefficace du groupe armé et subit des difficultés économiques extrêmes. La plupart des habitants de Gaza ne s'aligne pas non plus sur l'idéologie du Hamas. Contrairement au Hamas, dont l'objectif est de détruire l'État israélien, la majorité des personnes interrogées est favorable à une solution à deux États où coexistent une Palestine et un Israël indépendants.
Amaney Jamal, de l'Université de Princeton, qui a pris part à l'enquête du Baromètre arabe, estime que 27 % des habitants de Gaza auraient voté pour le Hamas avant le 7 octobre. Gershon Baskin, un Israélien d'extrême gauche ayant de nombreuses relations à Gaza, est du même avis : le soutien au Hamas avant le 7 octobre était bien inférieur à 30 % « car à Gaza, ils ont connu 17 années de pouvoir du Hamas ».
Selon un sondage du Centre palestinien de recherche politique et d'enquête réalisé six semaines après le 7 octobre, le soutien des Gazaouis au Hamas s'élève à 42 %, soit une légère augmentation par rapport aux 38 % enregistrés trois mois plus tôt. En d'autres termes, le massacre a légèrement accru le soutien au Hamas alors que la plupart des habitants de Gaza le rejette.
Gazaouis contre Hamas II : protestations
Dans le contexte brutal de Gaza, les sondages peuvent être sujets à la manipulation. Or, d'autres moyens d'expression confirment le sentiment anti-Hamas. Les manifestations publiques en sont un exemple frappant.
Une vidéo montre des centaines de Gazaouis évacués du nord vers le sud de Gaza scandant « À bas le Hamas ». Devant l'hôpital des martyrs d'Al Aqsa à Deir al-Balah, les déplacés du nord de Gaza ont exigé que le Hamas libère les otages israéliens, mette fin aux combats et permette aux otages de rentrer chez eux. Les enfants tenaient des morceaux de papier blanc portant l'inscription « Oui à la restitution des otages ». Les manifestants scandaient
Le peuple veut mettre fin à la guerre ! Nous mettons notre confiance en Allah, il est notre meilleur soutien ! Nous ne voulons pas de coupons [alimentaires] ! Nous voulons vivre ! Nous voulons rentrer chez nous, à Beit Lahia ! Nous voulons rentrer chez nous, à Al-Shati ! Nous voulons rentrer chez nous, à Jabalia !
Les vidéos d'une manifestation à Rafah montrent des Gazaouis maudissant le Hamas et Yahya Sinouar. L'unité 504 de la Direction du renseignement militaire des Forces de défense israéliennes (FDI) a eu des dizaines de milliers de conversations téléphoniques avec des Gazaouis, exhortant les civils à évacuer les zones de combat. En chemin, elle découvre la résistance locale au Hamas, comme lorsque les habitants ont chassé le Hamas alors que celui-ci tentait de s'emparer de leurs maisons.
Le quartier de Remal, dans la ville de Gaza, suite à une frappe aérienne israélienne le 9 octobre 2023. |
Le problème du vol de l'aide humanitaire par le Hamas suscite de vives émotions.
- Après qu'un homme armé du Hamas eut abattu Ahmed Barika alors que celui-ci s'approchait d'un camion qui distribuait de l'aide dans le sud de Gaza, sa famille a insulté le Hamas, incendié des pneus et un commissariat de police du Hamas et juré de venger sa mort.
- « Un homme qui a été réprimandé par un officier du Hamas pour avoir coupé la file d'attente pour le pain a pris une chaise et l'a fracassée sur sa tête. »
- « Des affrontements entre des membres du Hamas et des civils à propos de fournitures d'aide, les civils hurlant des jurons contre les hommes armés. »
- « Des foules en colère ont lancé des pierres sur les policiers du Hamas qui se sont mis devant une arrivée d'eau et les ont frappés à coups de poing jusqu'à ce que la foule se disperse. »
D'autres rapports indiquent que « Certains Palestiniens contestent ouvertement l'autorité du Hamas... dans des scènes inimaginables il y a à peine un mois ». En voici quelques exemples :
- « Au milieu de la nuit, des centaines de personnes [cachées dans un abri de l'ONU] ont lancé des insultes contre le Hamas et clamé qu'elles voulaient que la guerre se termine », tandis que « des roquettes du Hamas filaient au-dessus de leurs têtes en direction d'Israël ».
- Des habitants de Gaza « critiquent ouvertement le Hamas devant les caméras de télévision » et le qualifient de « traître du peuple palestinien ».
- Des habitants « prient pour qu'Israël détruise le Hamas et le disent tout haut ».
- Les personnes évacuées vers le sud de Gaza se saluent généralement en disant « Que Dieu se venge du Hamas ».
Dans une scène télévisée en direct, un passant a perturbé le discours d'un porte-parole du Hamas, brandissant sa main bandée en l'air et criant « Que Dieu vous demande des comptes, Hamas ! » L'extrait très partagé de cet incident a conduit le Hamas à proférer une menace publique : « Nous mettons en garde contre la publication de toute photo, vidéo ou tout matériel qui porterait atteinte à l'image de fermeté et d'unité de notre peuple à Gaza. » Pour empêcher les manifestations, le Hamas a, selon le JNS, « déployé du personnel de sécurité dans les centres pour réfugiés, les écoles et d'autres endroits ».
Au total, le général major Rasan Aliyan, qui dirige le bureau de liaison de l'armée israélienne avec les Palestiniens, a relevé « de plus en plus de preuves de critiques exprimées publiquement par les habitants de Gaza contre l'organisation terroriste Hamas ». [6]
Gazaouis contre Hamas III : interviews
Une enquête menée dans la presse amène Bassam Tawil, du Gatestone Institute, à conclure que les habitants de Gaza anti-Hamas « ont été presque complètement ignorés par les grands médias occidentaux ». De même, les médias arabes « ont pris l'habitude d'ignorer tout Palestinien qui ose critiquer le Hamas ». Pourtant, des opinions dissidentes se font jour.
Des interviews qui tournent mal en direct sur Al Jazeera et d'autres médias arabes diffusent par inadvertance la haine à l'encontre du Hamas et de ses soutiens étatiques.
- Un homme âgé et blessé déclare que les membres du Hamas « viennent se cacher parmi la population. Pourquoi se cachent-ils parmi les gens ? Qu'ils aillent en enfer pour s'y cacher ». Le journaliste lui a coupé la parole.
- D'après une jeune fille, « le Hamas met la population de Gaza en danger. Ses combattants se cachent dans les tunnels tandis que les civils gazaouis en sont les victimes. »
- Une femme âgée de Khan Younes s'interroge sur l'aide étrangère : toute cette aide « va dans les [tunnels] souterrains. Elle n'atteint pas la population. ... Le Hamas emmène tout chez lui ». Elle a conclu sur un ton provocateur : « Ils peuvent m'emmener, me tirer dessus ou faire de moi ce qu'ils veulent. »
- Un homme dans la rue s'est écrié : « Qu'Allah règle ses comptes avec le Qatar et la Turquie », avant que l'interviewer lui coupe la parole.
Les Gazaouis se risquent à parler à des reporters étrangers.
- Un homme d'affaires de 56 ans déclare : « Des gens meurent chaque minute. C'est le Hamas qui nous a entraînés dans cette terrible spirale. »
- Un coiffeur venu du nord, désormais réfugié au sud, s'exclame : « Maudit Hamas. Que Dieu m'en soit témoin : si je vois Ismail Haniyeh, je le frapperai avec mes pantoufles. »
Parfois, ils se laissent même identifier, comme dans un reportage du Daily Beast.
- Hasan Ahmed, 39 ans : « Il n'y a pas de démocratie à Gaza quand on veut parler contre le Hamas ou son gouvernement de facto. Nous craignons qu'ils nous arrêtent pendant la guerre, ou après la guerre si nous parlons contre eux. Ils peuvent même nous tuer facilement et dire au monde que nous sommes des espions. »
- Salam Tareq, 33 ans : « Les voleurs se multiplient dans notre région. Ils se dirigent vers les maisons évacuées, même celles partiellement détruites, et volent tout ce qui peut être volé. »
- Um Ahmed, 55 ans : « Le Hamas a perdu son soutien à Gaza. »
Les Palestiniens opposés au Hamas publient des tracts sur les otages israéliens. |
- « Lorsque le Hamas distribue l'aide, seuls les membres du Hamas la reçoivent. » La même chose s'applique au système de santé de Gaza, où « les familles du Hamas bénéficient d'un traitement préférentiel » et où les besoins les plus urgents des habitants ordinaires de Gaza « peuvent être retardés sur le long terme afin que les personnes loyales envers le Hamas soient traitées prioritairement ».
- « Le Hamas porte la responsabilité de toutes les guerres mais c'est nous qui en payons le prix. »
- « Mettre fin au Hamas est la revendication des jeunes et des moins jeunes à Gaza. »
- « Nous saluons tout changement qui nous sauverait de cette chose indigne appelée Hamas. »
Les Gazaouis vivant à l'étranger peuvent s'exprimer en toute franchise, notamment sur les sujets délicats comme le leader du Hamas Yahya Sinouar, le cerveau de l'attaque du 7 octobre. Un exilé déclare que les habitants de Gaza « ont été surpris » par l'attaque et traite Sinouar d'« imbécile et fou. ... Nous savons que le Hamas a déclenché cette guerre, ce que Sinouar a fait était suicidaire ». Au final, « les gens en ont vraiment marre de la guerre. Que faut-il encore de plus ? Ça suffit. » Dans une vidéo de son audition par le gouvernement israélien, Yousef al-Mansi, ancien « ministre des communications » du Hamas, a critiqué Sinouar : il « se sent au-dessus de tout le monde » et a « la folie des grandeurs ». Par ailleurs,
Les habitants de la bande de Gaza disent que Sinouar et son groupe nous ont détruits, nous devons nous en débarrasser. ... Je n'ai vu personne dans la bande de Gaza soutenir Sinouar. Personne n'aime Sinouar. Il y a des gens qui, jour et nuit, prient pour que Dieu nous libère de lui.
Au final, dit-il, le Hamas « a détruit la bande de Gaza, et l'a fait reculer de 200 ans ». Politologue à l'Université Al-Azhar de Gaza, Mkhaimar Abusada, qui a fui la Bande, rapporte « de nombreuses critiques parmi les Palestiniens selon lesquelles l'attaque du 7 octobre – le meurtre de civils, de femmes et d'enfants israéliens – était une erreur stratégique qui a poussé Israël à la guerre actuelle. » Il prédit : « Une fois la guerre terminée, vous entendrez de plus en plus de critiques contre le Hamas. » Même un Gazaoui vivant à Gaza a trouvé le courage de cracher du venin contre Sinouar :
Je veux transmettre mon message au gouvernement du Hamas. Que Dieu se venge de vous [et] maudisse vos ancêtres. ... Que Dieu te maudisse, ô Sinouar, fils de chien. Que Dieu se venge de toi, tu nous as détruits. ... Rendez les prisonniers [israéliens à Israël], ces chiens qui sont en votre possession. ... Sinouar est sous terre, il se cache avec [Muhammad] Deif et tous les autres dégoûtants.
Un autre manifestant anti-Sinouar a appelé à une « révolution des affamés ». Finalement, des foules entières ont hurlé des plaintes contre Sinouar et d'autres dirigeants du Hamas, ce qui aurait conduit les forces du Hamas à tirer sur les manifestants.
En somme, ces nombreuses données indiquent qu'une solide majorité de Gazaouis souhaitent se libérer de la tyrannie du Hamas. Alors que peu de Gazaouis acceptent Israël et que la plupart adhère au concept de « résistance », Joseph Braude du CPC affirme que : « Une majorité substantielle s'oppose au type de résistance du Hamas – c'est-à-dire le déclenchement de guerres qu'il ne peut pas gagner en se cachant dans des bunkers et en laissant les civils en subir les conséquences. » Par ailleurs, « un grand nombre de Gazaouis, bien qu'opposés à Israël, adoptent une vision pragmatique de la coopération à condition que celle-ci leur apporte des avantages tangibles. Ces pragmatiques, combinés à la minorité qui croit dans la coexistence comme principe, constituent une base solide de soutien pour toute administration post-Hamas engagée dans la reconstruction. » Ensemble, ils « montrent qu'un avenir différent, plus brillant et plus pacifique est possible. »
Soutien à une Bande de Gaza convenable
Malgré le pessimisme très médiatisé quant à une Bande de Gaza convenable, cette perspective trouve un solide soutien. Bassam Tawil constate que si « de nombreux Palestiniens continuent de soutenir le Hamas », un nombre croissant d'entre eux « déplorent ce que les terroristes du Hamas ont fait et sont prêts à s'exprimer ». Le CPC rapporte que son réseau à Gaza comprend « une masse critique d'éducateurs, d'intellectuels et de militants qui s'opposent au Hamas et soutiennent un changement et une évolution systémiques. ... La possibilité d'un avenir meilleur pour Gaza dépend d'un plan intelligent de responsabilisation de ces derniers et d'autres Gazaouis qui partagent la volonté d'y parvenir. » Bassam Eid, militant des droits de l'homme en Cisjordanie, espère qu'« Israël libérera très bientôt Gaza du Hamas. Après la guerre, la meilleure chose à faire sera de donner Gaza à son propre peuple pour qu'il la gouverne ». Les clans de chacun des cinq districts de Gaza devraient prendre les choses en main. « Laissons ces grandes tribus diriger elles-mêmes leurs propres villes. (...) Ces tribus assureront une très bonne sécurité à Israël. »
La Bande de Gaza a vu le jour après la guerre d'indépendance d'Israël. Sa superficie est de 141 miles carrés (ou 365 kilomètres carrés), soit à peu près la taille d'Omaha (Nebraska). |
Même le secrétaire d'État américain Antony Blinken a soutenu quelque chose dans ce sens : « Nous ne pouvons pas revenir au statu quo, où le Hamas dirigerait Gaza. Nous ne pouvons pas non plus laisser... Israël diriger ou contrôler Gaza... Entre les deux... il existe une variété de changements possibles que nous examinons de très près actuellement. » Blinken souhaite qu'Israël « soit un partenaire des dirigeants palestiniens prêts à diriger leur peuple et à vivre côte à côte et en paix avec Israël ». Le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, abonde en ce sens : « Dès que possible, une évolution vers un leadership palestinien épris de paix est l'issue la plus souhaitable » à Gaza.
De nombreux Israéliens sont du même avis. Mordechai Kedar, de l'université Bar-Ilan, plaide depuis longtemps pour qu'Israël traite avec les clans palestiniens. En comparant le succès des Émirats arabes unis, composé de sept clans, aux désastres en Syrie, en Irak, au Liban, au Soudan et en Libye, il conclut qu'un clan par gouvernement offre « le meilleur moyen d'établir un État au Moyen-Orient ». De tels États, constate-t-il, recherchent la stabilité et la prospérité, et non des ennemis. Ils n'ont pas besoin « d'un ennemi extérieur comme Israël pour galvaniser tous les groupes en une seule nation ». Le député Moshe Saada souhaite quelque chose de similaire : « Un mukhtar local [ancien du village] dirigera la vie civile dans chaque région. Il n'y aura pas de gouvernement central. »
Shaul Bartal du Centre BESA prévoit deux étapes après la prise de Gaza par les forces israéliennes : « un gouvernement militaire israélien complet » et ensuite « l'intégration des forces locales et régionales, y compris les forces militaires, dans le gouvernement nouvellement formé ». Il les voit constitués d'éléments palestiniens, égyptiens et autres. Jonathan Rynhold et Toby Greene de l'Université Bar-Ilan souhaitent qu'Israël planifie « la façon dont il pourra intégrer des éléments de la bureaucratie existante dans un ordre politique post-Hamas stable ». Glen Segell de l'Université de Haïfa espère que « des Palestiniens instruits et compétents » établiront des comités locaux qui « assumeront la gestion des services publics tels que l'eau, l'électricité, l'éducation et la santé en collaboration avec l'armée israélienne ». Natan Sharansky estime que seule une société palestinienne libre dans laquelle la population « jouit d'une vie normale, d'une liberté normale, de la possibilité de voter et de jouir des droits humains » peut assurer la sécurité d'Israël. Un sondage révèle que 21 % des Israéliens soutiennent ce type de gouvernement palestinien.
Des analystes américains sont du même avis. Robert Satloff, du Washington Institute for Near East Policy, espère que « de cette crise naîtra l'opportunité... de faire de Gaza une administration qui fonctionne raisonnablement bien et qui donne la priorité aux besoins de ses citoyens et non à l'idéologie de ses dirigeants ». Les anciens responsables gouvernementaux Lewis Libby et Douglas J. Feith notent que pour les Gazaouis opposés au Hamas, les mois à venir constitueront une opportunité car le monde extérieur aidera avec enthousiasme « les Gazaouis qui prennent position en faveur d'un nouveau gouvernement qui soit honnête et respectueux de son peuple et qui favorise la paix par le biais d'un compromis mutuel avec Israël. » Jeff Jacoby, chroniqueur au Boston Globe, considère une administration israélienne « explicitement engagée à nourrir une société civile saine » comme la meilleure voie vers « une autonomie efficace et pacifique ».
Conclusion
Israël peut raisonnablement s'attendre à trouver une cohorte importante de Gazaouis prêts à travailler avec lui pour établir une nouvelle autorité à Gaza qui commencerait à les ramener à une vie normale. Ces Gazaouis assumeront un large éventail de tâches : police, services publics, services municipaux, administration, communications, enseignement, urbanisme, etc.
Bien que cela puisse ressembler à un vœu pieux, il convient de rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, les habitants de Gaza menaient une vie convenable sous la domination israélienne. Gaza et la Cisjordanie dans les années 1970, raconte l'historien Efraim Karsh, « constituaient la quatrième économie à la croissance la plus rapide au monde, devant des « merveilles » comme Singapour, Hong Kong et la Corée, et nettement devant Israël lui-même. » La médecine, l'électricité, les écoles, l'alphabétisation : tout prospérait. Les habitants de Gaza disposaient de réfrigérateurs, d'eau courante propre et de bien d'autres choses encore. Les habitants de Gaza ne sont pas insensibles aux charmes d'une vie normale.
Malheureusement, Israël n'a pas réussi à entretenir des relations avec des Gazaouis relativement amicaux et a manqué de partenaires gazaouis convenables au cours de sa première période de contrôle entre 1967 et 2005. Ensuite, dans un acte d'une stupidité historique, il a cédé le territoire au génocidaire Yasser Arafat. Autre erreur, Israël a non seulement permis au Hamas, encore plus horrible, de contrôler Gaza après 2007 mais a également encouragé les bailleurs de fonds extérieurs comme le Qatar.
Appelez la nouvelle entité l'Autorité palestinienne revitalisée si vous le souhaitez, mais elle ne doit avoir aucun lien avec l'exécrable Autorité palestinienne qui dirige certaines parties de la Cisjordanie. Les organismes arabes ou internationaux ne devraient pas non plus participer à son administration.
Une Bande de Gaza convenable signifie un régime militaire israélien strict supervisant un État policier ferme, à l'instar de ce qui existe en Égypte et en Jordanie, des pays où l'on peut mener une vie normale à condition d'éviter les ennuis et de ne jamais critiquer le dirigeant. Gaza peut devenir convenable, sans guerre avec son voisin et économiquement viable. Les Israéliens auront-ils la perspicacité et l'endurance nécessaires pour y parvenir ? Peuvent-ils tirer quelque chose de positif de cette tragédie ?
M. Pipes (DanielPipes.org, @DanielPipes) est président du Middle East Forum et auteur, plus récemment, de Islamism vs. The West: 35 Years of Geo Political Struggle (Wicked Son, 2023). © 2024 par Daniel Pipes. Tous droits réservés.
[1] Plus en détail : quelques jours après l'entrée en vigueur des Accords d'Oslo, le Groupe de pilotage multilatéral des pourparlers multilatéraux sur la paix au Moyen-Orient a créé le Comité de liaison ad hoc (AHLC) comme principal mécanisme de coordination sur les questions politiques liées au développement économique en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. L'AHLC a ensuite créé le Comité local de coordination de l'aide (LACC) pour déléguer le processus de coordination des donateurs. À son tour, le LACC a créé douze sous-comités, appelés Groupes de travail sectoriels.
[2] Ils rappellent également le Conseil de gouvernement irakien, le gouvernement provisoire parrainé par les États-Unis en Irak de mi-2003 à mi-2004. Destiné à représenter les composantes ethniques, religieuses et idéologiques, il n'a pas réussi à acquérir de légitimité, étant plutôt considéré comme une créature des États-Unis.
[3] Malgré mon mantra souvent répété, selon lequel le pessimisme construit la carrière d'un spécialiste du Moyen-Orient.
[4] Cet article s'appuie sur une version préliminaire, « Une issue convenable est possible pour Gaza », Wall Street Journal, 17 octobre 2023.
[5] De plus, le « Ministère de la Santé de Gaza », alias le Hamas, publie des chiffres sur les décès qui éclipsent les pertes subies par Israël. Ainsi, les 1.200 Israéliens massacrés le 7 octobre ne sont rien en comparaison du chiffre d'environ 30.000 morts à Gaza annoncé fin février, et repris tel quel par les principaux médias du monde.
[6] Pour de nombreux autres exemples, voir la collection publiée par MEMRI intitulée « Critique croissante des résidents de Gaza à l'égard du Hamas et de ses responsables : ils nous ont imposé une guerre inutile ; nos vies ne valent rien à leurs yeux ; nous aspirons à voir la fin du Hamas ». Cette collection comprend également une liste des publications de MEMRI d'avant le 7 octobre « se plaignant de son régime inefficace, corrompu et tyrannique et du décalage entre la population de Gaza et les dirigeants du Hamas à l'étranger, qui vivent dans le luxe et ne se soucient pas de la vie des Gazaouis ».
Addenda, 1er mars 2024. (1) La déclaration complète citée dans le paragraphe d'introduction concernant la future autorité à Gaza (les puces ont été ajoutées) :
Les affaires civiles et la responsabilité de l'ordre public reposeront sur
- des acteurs locaux ayant une « expérience en gestion » – qui ne sont ni identifiés à, ni financés par des pays ou des organisations soutenant le terrorisme émanant d'eux ;
- un programme de déradicalisation qui sera promu dans toutes les institutions religieuses, éducatives et sociales de la Bande [de Gaza] avec autant que possible la participation et l'assistance des pays arabes qui ont de l'expérience dans la promotion de la déradicalisation ;
- Israël s'efforcera de fermer l'UNRWA, dont les agents ont été impliqués dans le massacre du 7 octobre et dont les écoles enseignaient le terrorisme et la destruction d'Israël. Israël s'efforcera de mettre fin aux activités de l'UNRWA dans la bande de Gaza et de la remplacer par des agences d'aide internationales responsables... et
- La réhabilitation de la Bande ne sera possible qu'une fois la démilitarisation achevée et le processus de déradicalisation entamé. Le plan de réhabilitation sera financé et dirigé par des pays acceptables pour Israël.
(2) Khaled Abu Toameh cite d'autres éléments prouvant le mécontentement de Gaza par rapport au Hamas dans son article « Palestinian Leaders Have Brought a Nakba to Their People » [« Les dirigeants palestiniens ont provoqué une Nakba contre leur propre peuple »]