Question : Quelles sont les mesures concrètes et spécifiques les plus prometteuses que l'Amérique pourrait prendre au cours des prochaines années afin de promouvoir la liberté, la démocratie et l'État de droit dans d'autres pays ? Quels sont les lieux et les personnes sur lesquels vous vous concentreriez ? Pour quelles raisons devrait-on s'y consacrer ? Et comment, concrètement, y parviendriez-vous compte tenu des contraintes imposées par le paysage politique et budgétaire américain ?
La question posée est un peu datée. Entre 1945 et 2008, soit de l'accession des États-Unis au rang de grande puissance à l'élection de Barack Obama, cette question avait du sens mais aujourd'hui, elle est malheureusement devenue un anachronisme.
L'ère de la superpuissance américaine a commencé et s'est terminée avec des présidents démocrates. |
L'Amérique représentait un nouveau type de grande puissance, une puissance qui associait de façon inédite intérêt national et principes moraux. Forgée dans la guerre chaude contre le nazisme et la Guerre froide contre le communisme, forte d'un consensus chancelant mais adéquat entre démocrates et républicains, et incontestée dans son leadership, Washington s'est en effet fièrement imposée pendant deux tiers de siècle comme la tribune « de la liberté, de la démocratie et de l'État de droit ».
Sa position a ensuite connu un déclin qui s'est accentué avec le temps. Entre un parti démocrate aux accents bruyants et pleins de mépris pour les États-Unis (« F**k America »), et un parti républicain qui, en réponse, affiche un isolationnisme irritable (« Stop au financement de la guerre en Ukraine »), le centre s'est affaibli au cours des quinze dernières années. Aucun des candidats à la présidence (pas même les petits) n'offre le leadership potentiel qui permettrait aux États-Unis de remplir leur ancienne mission de leadership et de boussole morale.
Je n'ai donc pas de « mesures concrètes et spécifiques les plus prometteuses » à proposer. En revanche, je peux souligner un point positif qu'on ne remarque bien souvent pas à savoir, le renforcement des alliés des États-Unis.
En 1997, à l'époque où les États-Unis se montraient remuants, j'observais que « les officiels américains... persuadés de la justesse et de l'importance de leur cause » avaient commis plus d'une fois l'erreur d'assumer une trop grande part de responsabilité en matière de sécurité internationale et ont ainsi
mis de côté les acteurs locaux. Ce comportement a eu pour effet pervers de déresponsabiliser les autorités locales : conscientes que leur action n'avait plus guère d'importance, elles ont régressé vers l'immaturité politique. N'ayant plus à défendre elles-mêmes leur peau, elles se sont adonnées à la corruption (Vietnam), à l'opportunisme politique (OTAN) et au conspirationnisme (Moyen-Orient). Ainsi, les Américains, adultes, ont fait des autres des enfants.
Ce qui a conduit à « cette situation paradoxale où le protagoniste le plus puissant et le moins menacé supplie presque des États plus faibles que lui de l'aider à contenir leur ennemi commun ».
Mogens Glistrup, l'homme politique européen le moins sérieux de tous. |
À l'inverse, un affaiblissement des États-Unis oblige ces alliés à mûrir. En Europe, cela implique de quitter le monde agréable des États providence, de prendre conscience des réalités du hard power, de tenir tête à la Russie, d'aider financièrement l'Ukraine et de développer des capacités militaires sérieuses. Au Moyen-Orient, cela se traduit par la formation d'une alliance semi-officielle contre l'Iran, dirigée par l'Arabie saoudite et incluant même Israël. En Asie de l'Est, cela amène un grand nombre d'États, de la Corée du Sud au Japon, en passant par Taïwan, les Philippines, Singapour, le Vietnam et l'Inde, à former des alliances multiples pour se défendre contre la Chine.
Le fait de ne plus compter sur l'Oncle Sam permet de concentrer son attention, de renforcer des muscles atrophiés depuis longtemps et de développer quelque chose de sérieux en termes d'objectifs. De cette manière, une Amérique redevenue enfant pousse ses alliés à accroître leur responsabilité, leur volonté et leurs capacités. Il se pourrait, mais c'est une simple hypothèse, qu'un leadership partagé entre l'Argentine, Israël, l'Italie, Taïwan et d'autres renforce le monde libre. Il serait bon que le Bureau ovale se mette à donner des cours.
L'Argentin Javier Milei (à gauche) et l'Italienne Giorgia Meloni se sont rencontrés en février 2024. Se préparent-ils à suivre des cours donnés par le Bureau ovale ? |
Daniel Pipes (DanielPipes.org, @DanielPipes) est le président du Middle East Forum et l'auteur de Israel Victory: How Zionists Win Acceptance and Palestinians Get Liberated (Wicked Son) © 2024 par Daniel Pipes. Tous droits réservés.
Addendum, 22 octobre 2024. Cette analyse s'appuie sur un article que j'ai publié en 2013 « La faiblesse de l'Amérique d'Obama a du bon ».