Quand le président Bill Clinton déploya les troupes américaines dans les endroits comme la Bosnie et Haïti, il fut critiqué pour avoir transformé la politique étrangère en « travail socialement utile », comme l'a lancé Mandelbaum de façon caustique. De quel droit, se demandèrent beaucoup dans les années 1990, le président avait-il placé des troupes américaines dans des endroits dangereux sans que l'on discerne les enjeux pour les intérêts américains.
Le président Bush a assuré ne pas vouloir répéter cette erreur. Il a déployé les forces à deux reprises – en Afghanistan et en Irak- et les deux fois il a fait un plaidoyer convaincant en faveur de la sécurité des Etats-Unis qui exige la suppression des régimes ennemis.
Mais certains membres du Congrès- beaucoup de voix dans les médias et encore plus sur les Campus universitaires ( pour ne pas parler des manifestations de rue) ont jugé les hostilités dans ces deux pays moins en fonction des bénéfices pour les Américains qu'en fonction des dommages pour l'autre côté.
Notons les nombreuses voix des pays alliés qui ont parlé d'échec des forces américaines en faisant valoir comme raisons que l'Afghanistan continue de souffrir d'un éventail de maux ( dictature des seigneurs de la guerre, répression des femmes, pauvreté, trafic de drogue).
- Le sénateur Joseph Lieberman (Démocrate-Connecticut) : l'expérience afghane est une histoire qui sert de « mise en garde des Etats-Unis concernant les problèmes qui résultent de la participation au monde trop au hasard, trop arrogante et trop à la légère.»
- Le président de la Banque mondiale James Wolfensohn a estimé : l'Afghanistan a été « abandonné » et la présence continue des barons de la drogue et la pauvreté pourraient affaiblir les raisons morales pour envahir l'Irak.
- Le Philadelphia Inquirer : « La frustration et l'échec marquent la reconstruction de l'Afghanistan. »
- Le Herald de Glasgow , en Ecosse « L'Afgnanistan a été bel et bien trahi. »
Même le Secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfels, interrogé au sujet des « échecs américains en Afghanistan », n'a pas contesté le principe, mais pour sa défense il notait qu'en étant libérés les Afghans « chantaient, faisaient voler des cerfs-volants et ils étaient heureux. »
Mais ce point de vue oublie les bénéfices en termes de sécurité dont ont bénéficié les Américains à la suite de l'élimination du quartier général de Al-Qaïda. Les Talibans ne sont plus actifs et ne soutiennent plus le quartier général du terrorisme.
Quelque chose de similaire se produit actuellement au sujet de l'Irak : les gains pour les Américains et les Britanniques que constitue le fait de s'être débarrassé de Saddam Hussein et ses armes de destruction massive et du parrainage du terrorisme semblent avoir moins d'importance que le résultat de plans visant à réhabiliter l'Irak. Les difficultés rencontrées dans le redressement de l'Irak sont utilisées pour jeter le doute sur l'aventure militaire toute entière.
En d'autres termes, les guerres afghane et irakienne sont jugées plus en fonction du bien-être social apporté aux vaincus qu'en fonction des gains procurés aux vainqueurs.
C'est passé presque inaperçu mais la guerre comme service social utile est ce que l'on attend [aujourd'hui] de la guerre.
Souligner cet étrange évolution des choses n'est pas argumenter contre le fait que les Afghans et les Irakiens bénéficient de l'action militaire des Etats-Unis.
Cela devait être fait, et ce faisant, ils rejoignent une longue liste d'anciens adversaires libérés par les Etats-Unis.
- La Seconde Guerre mondiale : Allemands, Autrichiens, Italiens et Japonais
- La guerre froide : Russes, Ukrainiens, Kazakhs, Azerbaïdjanais (azéris), Arméniens, Géorgiens, Mongols, Polonais, Allemands de l'Est, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Roumains, Bulgares, Albanais et beaucoup d'autres.
Les gains irakiens sont bien accueillis, s'ils viennent comme des conséquences heureuses mais secondaires de la poursuite des intérêts propres de la coalition et non pas comme le principal objectif. Ce n'est bien de risquer la vie des forces de la coalition que dans la mesure où les prestations de libération et de reconstruction de l'Irak sont bénéfiques pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les autres partenaires de la coalition.
En d'autres termes, les obligations de chaque Etat sont finalement envers ses propres citoyens.
Ce n'est en aucune façon argumenter pour s'opposer à la fourniture de prestations à l'Afghanistan et à l'Irak mais c'est pour dire qu'il ne s'agit pas d'une obligation morale. Les guerres ne doivent pas être entreprises uniquement pour des raisons humanitaires.
Si les leaders démocrates oublient cette loi inflexible et décident de déployer des efforts purement philanthropiques, les résultats ne seront pas agréables. Prenons le cas américain : lorsque la population ne voit pas les avantages qu'elle peut retirer de la guerre, les soldats américains sont retirés du champ de bataille comme au Liban en 1984 et en Somalie en 1993. Elle n'est tout simplement pas prête à subir des pertes aux fins d'un simple travail à caractère social.
Ainsi il est juste de pousser par tous les moyens à la « liberté de l'Irak ». Mais il faut garder toujours présent à l'esprit, comme le président Bush l'a fait, que le but ultime de la guerre est d'accroître la sécurité américaine.