MARK COLVIN: Trois ans après l'invasion de l'Irak, où se situent maintenant les néo-conservateurs, qui étaient si influents dans la période précédant la guerre?
L'un d'eux, Daniel Pipes, est arrivé en Australie aujourd'hui, et il dit que même si l'Irak sombre dans une guerre civile de grande ampleur, ce ne serait pas une tragédie stratégique.
Daniel Pipes est directeur du think tank du Middle East Forum, et quand il était ici la dernière fois en 2004, il s'est décrit lui-même sans réserve comme un néo-conservateur.
Aujourd'hui, il est plus circonspect concernant l'étiquette, en disant que beaucoup de gens l'associent avec le néo-conservatisme, et il ne se reconnait pas exactement avec la description.
C'est peut-être parce que, contrairement, par exemple, à Paul Wolfowitz, qui croyait que l'Irak devrait être libéré et qu'il pourrait devenir une vitrine pour la démocratie au Moyen-Orient, Daniel Pipes, dit que la seule raison pour l'invasion américaine a été l'intérêt national.
En fait, dit-il, le sort de l'Irak ce n'est pas de la responsabilité de la coalition qui a envahi et occupé le pays.
DANIEL PIPES: Je veux dire, c'est une chose affreuse, et j'espère vraiment qu'elle n'aura pas lieu, mais devrait-il y avoir une guerre civile en Irak, cela n'a pas une grande incidence sur ceux d'entre nous qui ne vivent pas en Irak . Ce n'est pas vraiment notre problème.
MARK COLVIN: Cela fait un peu penser à Chamberlain à Munich, disant que la Tchécoslovaquie était un pays lointain dont nous savons peu de choses.
DANIEL PIPES: Eh bien, certains des pays lointains sont importants pour nous, et ... mais pas tout pays lointain est important pour nous.
En d'autres termes, ce contre quoi je suis en train d'argumenter c'est contre l'idée très répandue que nous, les pays occidentaux et plus particulièrement les pays de la coalition sommes responsables de ce qui se passe en Irak - je veux dire, quelque chose va mal en Irak, c'est notre faute, c'est notre problème, nous devons y remédier
MARK COLVIN : Bien, mais qu'en est-il de la règle de la poterie que Colin Powell est accusé d'avoir dit au président - vous cassez, vous réparez..
DANIEL PIPES: Je suis en profond désaccord avec lui. Je pense qu'il est possible et parfois nécessaire de faire la guerre sans prendre la responsabilité pour le pays où vous faites la guerre.
Prenons un exemple hypothétique, mais pas éloigné: s'il était nécessaire de détruire une partie de l'infrastructure en Iran pour empêcher le régime iranien de fabriquer des armes de destruction massive, il n'est pas nécessaire que nous, nous nous engagions à la mission de réhabilitation et de reconstruction de l'Iran. Nous pouvons simplement détruire des positions militaro-industrielles sans refaire le pays.
MARK COLVIN: Si vous ne prenez pas la responsabilité de l'Irak, alors quelqu'un d'autre, par exemple l'Iran voisin, peut très bien le faire.
DANIEL PIPES: Eh bien, permettez-moi de faire demi-tour et de dire que si je pensais que nous, les pays de la coalition pourrions définir le destin de l'Irak, pourrions déterminer son résultat, je serais heureux de le faire. Je serais heureux de faire ce qui est nécessaire pour les rendre libres et prospères.
Je ne pense pas que nous pouvons. Et soit dit en passant, bien que nous nous efforçons de garder les Iraniens hors d'Irak, ils sont déjà là. Le premier ministre de l'Irak est un islamiste pro-iranien.
MARK COLVIN: Mais si vous vous vous retirez complètement, alors l'Irak, certainement le sud, pourrait devenir juste un mandataire iranien.
DANIEL PIPES: Eh bien, je ne préconise pas de se retirer complètement. Je dis que nous devrions réduire nos ambitions ...les baisser, nous devrions comprendre que nous ne contrôlons pas l'Irak, on ne peut pas contrôler l'Irak, et que les développements en Irak sont des développements qui sont principalement faits par les Irakiens.
Et s' ils se battent entre eux, ils se battent entre eux. J'espère qu'ils ne vont pas le faire, je souhaite du bien à l'Irak, mais moi en tant qu'analyste de la politique étrangère des États-Unis je ne suis pas prêt à assumer la responsabilité de ce qui se passe en Irak.
MARK COLVIN: Parmi les raisons que vous donnez pour dire que la guerre civile ne serait pas une tragédie stratégique est que cela inviterait les Syriens et les Iraniens à participer et accélèrerait la possibilité d'une confrontation américaine avec ces deux Etats. Comment cela peut-il être autre chose qu'un danger?
DANIEL PIPES: Eh bien, il y a ceux qui aimeraient voir les Syriens et les Iraniens contenus, et ce serait une façon de le faire.
MARK COLVIN: Eh bien quand vous dites contenus, vous ne pouvez pas ... l'Amérique ne peut pas se permettre de les embarquer dans une guerre ouverte, le peut-il?
DANIEL PIPES: c'est du bon pour l'Amérique la guerre ouverte. Ce n'est tout simplement pas bon pour les pays d'occupation.
MARK COLVIN: Qu'entendez-vous par la confrontation avec ces deux pays?
DANIEL PIPES: Je ne suis pas en train d'esquisser des scénarios spécifiques, mais je dis simplement que le développement d'une guerre civile en Irak est une perspective terrible, et je veux en aucune façon que cela se produise.
Mais si l'on regarde froidement, on voit que ce n'est pas, d'un point de vue américain ou d'un point de vue australien , une possibilité désastreuse. C'est désastreux pour ceux qui sont impliqués, mais pas nécessairement pour ceux d'entre nous qui sommes à l'extérieur.
MARK COLVIN: Vous avez aussi une façon désobligeante de parler de ce que vous appelez le rêve de faire de l'Irak un modèle démocratique pour le reste du Moyen-Orient. Pourquoi?
DANIEL PIPES: Je ne suis pas méprisant, C'est juste que je ne pense pas que c'est réaliste. L'Irak sort de 30 années de bastion totalitaire de Saddam Hussein. Ils ne sont pas en mesure, dans mon esprit, de développer des institutions de pointe de la démocratie et du capitalisme. La démocratie n'est pas un processus de plusieurs mois, c'est un processus de plusieurs décennies.
Regardez dans le monde et voyez combien de temps cela prend. Regardez, par exemple, à l'ex-Union soviétique et le Mexique - ils le sont maintenant depuis environ 15 ans, et ils sont toujours dans le milieu de ce processus.
MARK COLVIN: D'un autre côté, j'ai entendu le week-end Mouammar Kadhafi prononcer un discours dans lequel il attaquait l'islam extrémiste, et ce de la personne qui était autrefois vilipendée par le monde occidental tout entier. Est-il possible que le changement puisse venir plus vite que vous le pensez?
DANIEL PIPES: Eh bien, Kadhafi a toujours été hostile à l'islamisme radical.
MARK COLVIN: Eh bien, il a créé une soi-disant révolution verte, un état qui a été fondée autour de l'islam.
DANIEL PIPES: Eh bien, Le vert est la couleur de l'Islam, mais c'est son propre point de vue très personnel, excentrique et, du point de vue islamiste, hérétique - pas un terme utilisé dans l'Islam - mais pas acceptable. Et ils l'ont attaqué et s'opposèrent à lui durant des décennies. Ce n'est donc pas surprenant qu'il attaque l'islam radical.
Ce qui est surprenant, c'est qu'il ait renoncé à son armement nucléaire. Cela a été une étape remarquable, et l'une des rares bonnes nouvelles sorties sur le Moyen-Orient ces dernières années.
MARK COLVIN: Un néo-conservateur comme Paul Wolfowitz a toujours eu à cœur de suivre leur idée du néo-conservatisme, une idée de la libération, une idée de construction de la démocratie. Vous appelleriez-vous encore un néo-conservateur dans ce sens là?
DANIEL PIPES: Eh bien, je ne me suis jamais appelé moi-même vraiment ainsi, sauf pour dire que les autres me voient comme ça, et, vous le savez, peut-être je suis l'un d'entre eux. Mais je pense que c'est une merveilleuse vision, et je pense que c'est réalisable. Cela prendra juste du temps
MARK COLVIN: Daniel Pipes, directeur du think tank du Moyen-Orient, prenant la parole au Centre pour les Etudes indépendantes à Sydney, aujourd'hui.