Politique Internationale - La victoire des alliés dans la guerre du Golfe a-t-elle ouvert de nouvelles perspectives de règlement du conflit israélo-arabe?
Daniel Pipes - Dans une certaine mesure, oui. Il y a un an, la situation était totalement bloquée. Or l'invasion irakienne a redistribué les cartes de fond en comble. Des questions qui paraissaient figées depuis des années sont examinées aujourd'hui sous un jour différent.
Mais cela n'est pas sans danger. A trop se focaliser sur les relations entre Arabes et Israéliens, on risque en effet de négliger les changements à l'oeuvre en Irak, au Koweït et dans l'ensemble du Golfe. A l'inverse du conflit israélo-arabe, qui plonge ses racines dans une histoire diplomatique tortueuse et des haines légendaires, la guerre contre l'Irak, elle, est restée une affaire superficielle, aux données très claires, et encore peu chargée d'émotion. A l'heure actuelle, c'est donc dans le Golfe que se présentent les occasions les plus favorables, et aussi les pièges les plus nombreux.
P. I. - Où en est aujourd'hui l'Organisation de libération de la Palestine?
D. P. - Yasser Arafat a misé sur le mauvais cheval. Il a perdu le soutien financier de l'Arabie saoudite, du Koweït, ainsi que celui des autres membres arabes de la coalition anti-irakienne. Et, pour remuer le couteau dans la plaie, ajoutons qu'il a dû également faire une croix sur les quelque 50 millions de dollars qu'il recevait jusqu'alors de Bagdad. Pis encore: au Koweït, qui représentait pour eux un véritable Eldorado, les Palestiniens ont été contraints d'abandonner la quasi-totalité de leurs avoirs. Par ailleurs, il n'est pas exagéré d'affirmer que l'OLP a payé l'erreur de son alliance avec Saddam par l'assassinat de J'une de ses principales figures, le second personnage de sa hiérarchie, Salah Khalaf, également connu sous le nom d'Abou Iyad. Khalaf était l'homme qui gérait l'organisation de l'intérieur, tandis qu'Arafat en présente le visage public. Il était très doué, et sa di sparition se fera cruellement sentir. Un Israélien m'a confié que Khalaf était le seul dirigeant palestinien qu'il souhaitait voir travailler pour son pays; il avait probablement raison.
P. I. - Si l'OLP est aussi affaiblie que vous le dites. pourquoi les Arabes de Cisjordanie el de la bande de Gaza attendent- ils toujours son feu vert avant de prendre la moindre initiative?
D. P. - Ils sont prudents. Dans le passé, J'OLP a souvent opéré de spectaculaires retours en scène. Pourquoi n'en serait-il pas de même cette fois-ci? La politique palestinienne est un jeu dangereux: il vaut mieux éviter de s'y faire des ennemis pour rien ...
P. I. - Ces dernières années. la centrale palestinienne a plutôt prôné une politique d'ouverture en direction d'Israël. Son affaiblissement actuel risque-t-il de renforcer l'influence des organisations extrémistes?
D. P. - En fait, presque tous les rivaux d' Arafat - Abou Moussa, Abou idal, Ahmed Jibril , Georges Habache, Nayef Hawatmeh, Cheikh. Tamimi - sont partisans d'une ligne plus dure vis-à-vis de l'Etat hébreu. Les seuls qui semblent accepter l'idée d'une possible coexistence - Fayçal el-Husseini, Hanna Siniora. Sari Nosaybeh - sont ceux qui vivent sous gouvernement israélien.
P. I. - Selon vous. le déclin de l'OLP ne compromet donc en rien les chances d'un règlement du conflit israélo-arabe ...
D. P. - Je ne le crois pas. Mais Yasser Arafat en personne ne réussi ra pas pour autant à engager un véritable dialogue avec les Israéliens: ceux-ci se méfient beaucoup trop de lui, sans doute à juste titre. En fin de compte, la principale réussite d'Arafat aura consisté à attirer l'attention de J'opinion mondiale sur la question palestinienne; mais, je le répète, il n'est pas J'homme du règlement avec Israël.
P. I. - A quelles conditions - garanties des grandes puissances, tracé des frontières, création de zones démilitarisées, restrictions de souveraineté - un Étal palestinien pourrait-il lIoir le jour et vivre durablement en paix avec Israël?
D. P. - Bien des efforts ont été accomplis pour concevoir un État palestinien qui ne mettrait pas en danger Israël. L'expert militaire israélien Ze'ev Schiff a proposé d'interdire à ce futur État palestinien de posséder une armée, de conclure des alliances militaires, de permettre à des troupes étrangères de s'installer sur son territoire et de fabriquer des armes. Les Palestiniens n'ont pas accueilli ces suggestions avec enthousiasme, c'est le moins qu'on puisse dire! Arafat a répondu qu'i! n'accepterait de telles limitations que si elles s'appliquaient également à Israël. Mais même si les Palestiniens se rangeaient à cette solution, elle déboucherait sur un échec. Pour une raison simple: la logique, de la souveraineté ne saurait conduire qu'à la crise. Deux Etats peuvent-ils vivre côte à côte de manière stable et pacifique à l'intérieur d'un si petit territoire, coincé entre la Méditerranée et le Jourdain? L'expérience des soixante-dix dernières années montre que cela n'est pas possible. Prétendre le contraire procède de la naïveté ou de l'hypocrisie. A ceux qui demandent au nom de quoi les Palestiniens doivent être privés d'Etat, je répondrai simplement qu'en leur accordant cette faveur on déclencherait une série d'événements en chaîne qui aboutiraient inexorablement soit à la disparition de cet État, soit à l'extinction d'Israël.
P. I. - La dimension israélo-palestinienne constirue-t-elle la clé du conflit israélo-arabe?
D. P. - Certainement pas, et cela pour trois raisons. D'abord, les Palestiniens n'ont pas le pouvoir de décider seuls de la guerre ou de la paix. Ne disposant pas des ressources d'un gouvernement, ils peuvent s'engager dans la voie de l'entêtement ou du terrorisme, mais guère plus. Ils ne peuvent pas mettre fin unilatérale,ment au connit, car même s' ils souhaitaient en finir, certains Etats choisiraient de passer outre et de poursuivre la lutte anti-sioniste.
Ensuite, il n'est pas sûr que les Palestiniens veuillent réellement faire la paix. En général, les Occidentaux - et moi-même - considèrent que deux peuples peuvent vivre ensemble en bonne intelligence si les conditions nécessaires sont réunies. Mais que doit-on penser des Palestiniens? Que penser de ces hommes qui dénoncent comme « collaborateur » - el se réservent le droit d'assassiner - quiconque se déclare prêt à vivre en paix avec Israël? Qui applaudissent à la folie koweïtienne de Saddam Hussein et prénomment leurs enfa nts « Scud »? Qui, dans tous les sondages et toutes les consultations, affi chent des prises de position d'un irréalisme à couper le souffle? Plus le temps passe, et plus l'opinion palestinienne se radicalise. A dire vrai, je la trouve aussi de plus en plus déroutante. Enfin, je voudrais insister sur l'incompétence des équipes dirigeantes palestin iennes. Les leaders eux-mêmes - qu'il s'agisse de Mufti Amin el-Husseini avant la Seconde Guerre mondiale, de Ahmed Choukeiry dans les années 60 ou de Yasser Arafat depuis lo rs - n'ont vraiment réussi qu'une seule chose: faire parler d'eux. Mais, sur le plan pratique, ils n'ont atteint aucun des buts qu'ils s'étaient fi xés. Abba Eban a dit un jour que les Palestiniens « ne manquent jamais une occasion de manquer une occasion ». Depuis 1920, ils ont laissé passer, les unes après les autres, toutes les chances qui s'offraient à eux, qu ine à tenter de les rattraper par la suite. Yasser Arafat n'a accepté - et avec des réserves - le plan de partage de la Palestine proposé par l'ONU en 1947 que quarante et un ans plus tard: c'est peu dire que les Israéliens n'en avaient plus grand-chose à faire ... Un autre exemple: au début de cette année, l'OLP a fait savoir qu'ell e était di sposée à discuter avec Jérusalem sans condi tions préalables; en 1988, cel a aurait été un événement, mais, aujourd'hui, personne n'y prête attention !
P. I. - S erait-il plus f acile de s'entendre avec les États arabes?
D. P. - Bien plus fa cile. Contrairement aux organisations palestiniennes, les États arabes possèdent des structures hiérarchiques susceptibles de prendre des décisions. Et la raison d' État empêche ces gouvernements constitués de camper sur des positions pures et dures, comme les mouvements irrédent istes. En outre, ces pays n'ont pas besoin d'une « Palestine arabe »; pour eux, c'est un luxe.
P. I. - Depuis peu, Washington a adopté vis-à-vis du conflit israélo-arabe une politique de « double approche » fondée sur la recherche d'un équilibre entre les aspirations des Israéliens el celles des Palestiniens. Que pensez-vous de ce changement d'orientation?
D. P. - J'en suis ravi! Souvenez-vous: à l'époque héroïque des a.nnées Kissinger et Carter, la diplomatie moyen-orientale des Etats-Unis repo,sait sur J'idée d'une négociation directe entre Israël el les Etats arabes. Puis, pour toutes sortes de raisons - la guerre Iran-Irak, une certaine dérive idéologique. les difficultés économiques -, les nations arabes ont renoncé au dialogue et se sont laissé supplanter par les Palestiniens. A partir de 1985 et jusqu'à l'invasion du Koweït par \'Irak, l"activité diplomatique de ta région s'est presque exclusivement concentrée sur les relations entre Jérusalem et l'OlP. Une telle stratégie était vouée à l'échec: il n'était pas logique d'exiger que les Israéliens fassent des sacrifices importants sans rien leur proposer en échange! La politique de la « double approche» remédie à ce problème dans la mesure où elle ne se contente pas de demander quelque chose aux Israéliens : elle leur offre autre chose en contrepartie. Certes, l'État hébreu doit faire des concessions envers les Palestiniens: mais, en retour, les États arabes doivent se montrer compréhensifs. l' intérêt de cette approche « à deux voies » réside dans sa réciprocité : ce qu' Israël réclame aux gouvernements arabes - reconnaissance et acceptation de son identité nationale - correspond précisément à ce que les Palestiniens exigent d' Israël.
P. I. - Quel sera, après l'Égypte du président Sadate. le deuxième Élal arabe à signer un traité de paix avec Israël?
D. P. - Autrefois, les Israéliens avaient coutume de dire que ce serait le Liban. C'était en effet l'intention des Libanais; mais il leur a manqué la force nécessaire pour braver les foudres des opinions arabes. En mai 1983, au moment de la signature de l'accord israélo-lîbanais, on s'est vraiment approché de la paix. Hélas! cet accord n'a pas duré un an : sous la pression des Syriens, le gouvernement du Liban l'a abrçgé. Rénéchissons un instant: le premier Etat arabe qui ait fait la paix avec Israël était le plus puissant d'entre eux. Le suivant devrait donc être, en toute logique, la deuxième puissance du monde arabe. On peut exclure d'emblée la Jordanie, l'Arabie saoudite, le Koweït, un hypothétique État palestinien, et l'Irak, qui est pour le moment hors course. Reste la Syrie.
P. I. - Mais Hafez el-Assad veut-il faire la paix avec Israël?
D. P. - Il existe aujourd'hui deux modèles de négociation avec Israël : le « modèle Sadate » et le « modèle Arafat ». Sadate était fondamentalement sincère; et même si, au départ, il a pu nourrir quelques arrière-pensées m!lchiavéliques quant à la possibilité de saper les fondations de l'Etat hébreu tout en le reconnaissant, il a fini par changer d'avis et par faire la paix. Arafat, au contraire, n'était pas sincère. En entamant un processus de négociation, il espérait surtout desserrer les liens qui unissent Washington à Jérusalem; en fait, ses sentiments vis-à-vis d'Isra.ël n'ont jamais varié. Pour en revenir à Assad, je crois qu'il est beaucoup plus proche du « modèle Arafat » que du « modèle Sadate ». Ce qui me laisse assez pessimiste quant aux chances d'un accord entre la Syrie et Israël...
P. I. - Assad présente pourtant plus d'~n point commun avec Sadate : comme lui. il dirige un Etat; et. comme lui. il cherche à récupérer des territoires. Pour quelle raison mellez-)lous en dOUTe sa sincérité?
D. P. - Assad n'a pas les mains libres dans son propre pays. li faut savoir qu'il appartient à une minorité méprisée: les Alaouites. Or un Alaouite au pouvoir à Damas ne peut, au mieux , qu'être toléré par la majorité sunnite. Imaginez-vous un intouchal?le chef du gouvernement en Inde, ou un juif tsar de Russie? Evidemment pas! Et pourtant, face aux sunnites. Assad représente un cas de figure comparable. Cette situation constitue, pour le président syrien, un énorme handicap et l'oblige à recourir constamment à de nouveaux artifices afin de satisfaire sa majorité sunnite. Parmi ces mesures, il y a l'au(QrÎsation de pratiquer un certain capitalisme, l'octroi de postes gouvernementaux importants à des sunnites... et l'anti-sionisme. La Syrie étant un pays fermé, je n'ai pas la preuve de ce que j'avance, mais je crois que le discours anti-israélien d'Assad lui assure un réel soutien populaire. Ne serait-ce que parce que les Syriens considérent la Palestine comme partie intégrante de la Grande Syrie. Il y a donc rort à parier que le président Assad y regardera à deux fois avant d'abandonner une politique anti-sioniste à laquelle il doit de se maintenir au pouvoir. Il n'est pas prêt à renoncer à cet instrument de puissance. L'occupation israélienne des hauteurs du Golan le met certainement dans l'embarras, d'autant qu'il était lui-même minist re de la Défense lorsque ce territoire fut perdu; mais le prix à payer pour le récupérer risque d'être trop lourd. Pour tourner les choses autrement, disons que, en lui flanqu ant de temps en temps des coups de poing dans la figure, Israël rend à Assad un service politique. Cette explication est assez alambiquée, j'en conviens, et peut-être ai-je ton. Mais, quoi qu'il en soit, je soutiendrai tous les effons qui visent à faire entrer Assad dans un processus de négociation avec Israël, sans grand espoir cependant. ..
P. I. - A quelles conditions un dirigeant syrien pourrait-il êTre amené à fa ire la paix avec Israël?
D. P. - Il faudrait que ce dirigeant soit sunnite. Comme je vous l'ai dit, le fait d'appartenir à la minorité alaouite rend Assad particulièrement suspect aux yeux de son propre peuple. Dans le passé, sa communauté s'est montrée non seulement indifférente, mais parfois même ouvertement favo rable à l'entreprise sioniste. Je ne vous citerai qu'un exemple: en juin 1936, six notables alaouites, parmi lesquels probablement le grand-père d'Assad, Solayman, ont signé une pétition qu'ils ont adressée à Léon Blum pour exprimer leur solidari té avec les sio ni stes de Palestine. Il n'est pas faci le de faire oublier ce genre de chose! C'est pourquoi Assad est aujourd'hui obligé de se montrer plus royaliste que le roi, plus unnite que les sunnites. Je ne vous dis pas qu'un dirigeant sunnite ferait à coup sûr la paix avec Israël, mais cela lui serait beaucoup plus aisé.
P. I. - Les Libanais ne feraient-ils pas les frais d'un leI accord entre Damas el Jérusalem?
D. P. - Ces deux questions n'ont presque rien à voir l'une avec l'autre. Depuis le début de la guerre civile au Liban, en 1975, le gouvernement syrien n'a cessé d'étendre el de renfo rcer son emprise sur cet infortuné pays, allant jusqu'à signer, le 22 mai dernier, un traité de « fraternité, coopération et coordination n. Pour l'heure, aucune puissance ét rangère n'est prête à se mesurer avec Damas. Trois s'y sont frottées - la France, les États -Unis, et Israël - , et toutes trois ont èchoué. Quant aux Libanais eux-mêmes, ils sont bien trop affaiblis par leurs di visions internes pour se débarrasser des forces syriennes. Aussi les Syriens continueront-ils à contrôler la plus grande partie du Liban, quel que soit l'état de leurs relations avec Israël.
P. I. - Les positions du ra; Hussein de Jordanie durant la crise du Golfe lui ont gagné le soutien de ses sujets. EnvisageM ,-il, selon vous, d'en lirer avantage?
D. P. - L'idée selon laquelle le roi pourrait profiter de sa popularité toute neuve parmi les Palestiniens pour écarter Yasser Arafat et se substituer à lui est une idée qui fait son chemin. Mais, compte tenu du caractère conflictuel des relations jordane-palestiniennes - souvenez-vous des massacres de Septembre noir, au moment où les Palestiniens ont été expulsés de Jordanie, en 1970, et des revendications d'Amman sur la Cisjordanie - . je crois que cette idée est parfaitement illusoire. Finalement, et à la surprise générale, l'alliance malheureuse du roi avec Saddarn Hussein ne lui aura porté que peu de tort. Les autorités de Jérusalem et de Washington ont beau lui en vouloir, elles savent bien qu'il représente la moins mauvaise des solutions. L'Arabie et l'Égypte finiront probablement, elles aussi, par le comprendre.
P. I. - Quelle sera l'évolution ci long terme de la Jordanie?
D. P. - Le problème de l'identité de la Jordanie est revenu au premier plan avec la crise du Golfe. Un grand avocat d'Amman, confiait, l'automne dernier, à un journaliste; « Je ne me suis jamais senti jordanien, jamais. » De la même façon , un camionneur observait: « Je sacrifierais tout pour Saddam: tout, même la Jordanie. » Ces réflexions, qui reflètent des sentiments répandus parmi les Palestiniens, conduisent à s'interroger sérieusement sur l'avenir du royaume. Le prince héritier Hassan lui-même, s'exprimant d'une manière tout à fait inhabituelle pour un dignitaire de son rang, a fait part, en novembre dernier, de son inquiétude: « Notre petit pays de trois millions et demi d' habitants est sur le point de disparaître. » Ce danger n'est pas immédiat, mais il reste que la Jordanie - tout comme Israël d'ailleurs - se trouvera dans une situation précaire tant qu'une large fraction de sa population contestera son fondement essentiel, en l'occurrence la monarchie hachémite.
P. I. - Si les Palestiniens prenaie!1f le pouvoir ci Amman, la Jordanie deviendrait-elle cet Etat palestinien dont On parle depuis des années? Pensez-vous, comme le général Sharon, que la question palestinienne trouverait ainsi sa solution?
D. P. - Ce serait un État palestinien, mais pas l'État de Palestine. Amman ne saurait remplacer Jérusalem . L'OlP serait certainement heureuse de s'emparer de la Jordanie - sa posilion en serait grandement renforcée -, mais elle ne s'en contenterait pas. Les dirigeants palestiniens l'ont clairement affirmé; à la fin de l'année dernière, Salah Khalar rappelait encore: « Il n'existe aucune alternative en dehors de la terre de Palestine pour établir notre État indépendant... Nous n'accepterons aucune solution en dehors de la Palestine. » Le plan Sharon accroîtrait la puissance des Palestiniens, mais ne règlerait pas pour autant la question palestinienne.
P. I. - l'a ltitude de l'Arabie saoudite, du Koweït et des autres émirats du Golfe vis-à-vis de l'OLP a-t-elle évolué?
D. P. - Énormément. Prenez les Saoudiens, Durant des décennies, leurs responsables n'ont cessé de chanter les louanges de Yasser Arafat. Mais l'invasion du Koweït par l' Irak les a encouragés à révéler leurs véritables sentiments, et ils ne sont pas beaux à voir. Bandar Ben Sultan, l'ambassadeur saoudien à Washington, a traité Arafat de « clown H, mot fort doux par rapport aux sobriquets dont les dirigeants de l'OLP sont affublés dans les journaux de son pays, où ils sont régulièrement traités de « loups affamés » et de « terroristes » ... L'OLP, en tant qu'institution, n'est pas la seule à en prendre pour son grade. Les Palestiniens eux-mêmes, en tant que peuple, sont soudain devenus personae non grafae. Les lynchages et les exécutions sommaires perpétrés au Koweït contre les Palestiniens ne sont que la manifestation extrême d'une colère largement répandue. En outre, la guerre a créé une solidarité implicite, et inconnue jusqu'alors, entre la communauté arabe et Israël. Le meilleur exemple en aura été la couverture médiatique simultanée des attaques de missiles Scud sur Israël et l'Arabie saoudite, réalisée par la chaine CNN. Les Saoudiens ont partagé les mêmes angoisses et les mêmes joies que les Israéliens en regardant les Patriot atteindre leur cible et l'aviation américaine détruire les rampes de lancement des Scud. Tout à coup, les Arabes du Golfe ont compris ce que signifie vivre sous la menace armée d'un dirigeant arabe agressif. Même s'ils prennent soin de préciser qu'ils soutiennent toujours la cause palestinienne, c'est maintenant plus une clause de style qu'autre chose.
P. I. - En quoi celte évolution des mentalités est-elle déterminante?
D. P. - Les Arabes du Golfe n'exerceront jamais une influence décisive sur le connit avec Israël. Mais ils ont des moyens, et ils participent au consensus du monde arabe.
P. I. - Précisémelll, à quel rôle l'Égypte peut-elle prétendre au sein d'un monde arabe en pleine recomposition?
D. P. - Le gouvernement égyptien est l'un des rares gouvernements arabes qui ait la possibilité d'entrer dans le connit avec Israël ou d'en sortir à sa convenance et au mieux de ses intérêts. Le roi Farouk s'y est aventuré et en est sorti; Gamal Abdel Nasser y a profondément impliqué son pays; Anouar el-Sadate l'a désengagé; Hosni Moubarak est resté en dehors. Je ne crois pas qu'un dirigeant égyptien se risquerait de nouveau à suivre l'exemple de Nassçr, pour la bonne raison que la guerre a très peu rapporté à l'Egypte tout en lui coûtant fort cher en vies hU1;naines et en argent. A mon avis, l'Egypte continuera à se tenir à l'extérieur du conflit. Le président Moubarak a jugé bon de se consacrer entièrement au redressement de la situation intérieure de son pays, et il te fait avec une conscience admirable. D'aucuns pçurront lui reprocher de n'être que « Mqnsieur le Maire de l'Egypte» : mais c'est exactement ce dont l'Egypte a besoin.
P. I. - Une dernière question, si vous le permettez: quelles réflexions VOLIS inspire, en ce domaine, la politique de la France?
D. P. - Ces derniers, temps, la France ne semble plus voir dans la création d'un Etat palestinien le seul remède au connit israélo-arabe. Si cette tendance se confirmait, je m'en féliciteraiS. Puis-je conclure par une remarque, qui vous paraîtra peut-être un peu arrogante, mais qui, en tout cas, part d'un bon sentiment? Les Français font du commerce, se battent, tentent de convertir les Infidèles et voyagent au Moyen-Orient depuis neuf cents ans; nous, les Américains, sommes de nouveaux venus. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la présence américaine se limitait encore à une poignée d'employés des compagnies pétrolières et à quelques missionnaires. Pourtant, en "espace de trois ou quatre décennies. nous avons tant appris sur le Moyen-Orient contemporain que, chez nous, le débat public sur cette région dépasse en qualité tout ce que ron peut entendre sur le même sujet en Europe. Sans vouloir vous donner des conseils, je vous engage vivement à nous rattraper ...