Après le décès du Président syrien, Hafez el Assad, la question n'est pas de savoir qui lui succèdera mais comment cette disparition, survenue trois semaines après le retrait israélien du Liban, affectera-t-elle le paysage politique et stratégique du Moyen Orient. La Syrie va-t-elle pouvoir maintenir l'état de guerre et perpétuer sa présence au Liban se demandent les analystes. La succession prendra du temps, mais pour Clinton, qui a fait de la paix au Moyen Orient sa principale priorité, les jours sont comptés.
Devant ce bouleversement des données, les analystes se penchent sur le futur du Moyen Orient. Sollicité par toutes les chaînes de télévision, Daniel Pipes a accordé une interview à L'Orient le Jour portant sur l'impact du décès du Président syrien. Connaissant parfaitement la région, il est le fondateur et Directeur du Middle East Forum. Ce conférencier à l'Université de Pennsylvanie, est l'éditeur du Middle East Quarterly et auteur de plus d'une dizaine d'ouvrages dont trois la Syrie: Syria Beyond Peace Process (1996), Damascus Courts the West: Syrian Politics, 1989-1991 (1991), Greater Syria (1990). Journaliste de grand renom, ses articles et analyses sont publiés dans les organes de presse les plus prestigieux, tels The New York Times, The Wall Street Journal, The Washington Post, et Business Week.
Quel est l'impact du décès du Président syrien, Hafez el Assad, sur le processus de paix ?
"A mon avis, la mort du Président Hafez el Assad crée de nouvelles opportunités pour la diplomatie syrienne avec Israël. Comme vous le savez, j'ai pensé qu'aussi longtemps que Hafez el Assad était en vie, il n'y avait aucune chance de signer un traité de paix avec Israël et qu'il n'y avait pas non plus de risque de guerre pour la récupération du Golan. Il aimait la situation de ni guerre ni paix, le statu quo. Tout cela va changer. Les nouveaux leaders, quels qu'ils soient, n'auront pas la même perspective que l'ancien président. L'arrivée au pouvoir de nouvelles figures apportera de nouvelles opportunités. Cela pourrait aussi dire risques de guerre. Mais je suis raisonablement optimiste. Il pourrait y avoir une amélioration dans les relations syro-israéliennes et peut-être même un traité de paix."
Comment voyez-vous le changement de régime en Syrie ?
"A ce stade là, il est difficile de parler du nouveau commandement en Syrie. Nous savons peu de choses sur Dr Bashar-el-Assad. On connait certains traits de sa personnalité, mais ne savons rien de ses capacités et sa détermination à imposer sa volonté sur l'Etat. D'un autre côté, nous ne savons pas ce que les personnages-clés en Syrie, tels les chefs des services de renseignement et commandants des bases militaires principales sont entrain de faire. On ne peut juger de loin la situation actuelle. Elle semble évoluer rapidement. Les évènements dans les jours qui viennent pourraient avoir un impact significatif sur le futur. C'est la transition d'une situation stable, statique et immobile à une situation d'ouverture et de volatilité. D'autres personnages peuvent chercher à jouer un rôle dans la situation actuelle. Mais, Dr Bashar est plus fort. Il a la légalité puisqu'il a été désigné par son père pour lui succéder avec l'aval du Parlement. Tout cela est du ressort de la politique intérieure syrienne."
Avec le changement de régime, la Syrie restera-t-elle sur la liste des Pays terroristes ?
"La Syrie restera pour quelque temps sur la liste des Pays terroristes. Cela, bien sûr, dépendra des actions du nouveau pouvoir. Pendant des décades, le gouvernement syrien a abrité sur son territoire des groupes terroristes. Seront-ils expulsés ? Leurs activités seront-elles suspendues ? Là résident les principales questions. Nous allons vers un grand changement avec les relations avec Israël, le terrorisme, l'occupation... Il y a des chances que tout aille mieux maintenant."
Quelles en sont les conséquences pour le Liban ?
"Pour le Liban, ce changement veut dire que, pour la première fois depuis 1975, il pourrait y avoir la possibilité d'un retrait syrien. Il sera difficile pour les Syriens de garder l'infrastructure et la force qu'ils ont au Liban depuis un quart de siècle. Je pense que c'est le moment pour les Libanais de décider et de déclarer aux Syriens et au monde qu'ils ne veulent plus tolérer d'être un pays satellite de Damas."
Le Président Clinton cherchait à réaliser une paix incluant la Syrie avant la fin de son mandat. Est-ce qu'une telle opportunité existe encore ?
"Il y a maintenant une plus grande possibilité de faire la paix entre la Syrie et Israël que du vivant de Hafez el Assad. La succession prendra du temps avant d'arriver à un accord avec Israël. Il est très difficile de prévoir ce qui peut arriver. On ne sait pas qui sont les acteurs et les données ont changé. Cette nouvelle dynamique contraste avec l'état statique des années passées."
Cet évènement change-t-il le rapport de forces entre Israël et ses interlocuteurs dans le processus de paix ?
"Je n'ai jamais pensé que le rôle des Syriens était important dans les pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens. Ceux-ci ont leurs propres problèmes, rythme et potentiel. Cela n'affectera donc pas le volet palestinien des pourparlers de paix. Dans le cas du Liban, si l'inflluence syrienne venait à décroître, cela permettrait au gouvernement libanais de se prendre en charge.Et bien sûr, cela affectera profondément le volet syrien d'une manière que je ne peux pas prévoir."
Barak est en ce moment sur la sellette avec l'action de son opposition. Ce changement de situation a-t-il un impact sur le déroulement politique interne en Israël ?
"Je ne pense pas qu'il ait un impact sur la politique israélienne. C'est une affaire typiquement interne. Le volet palestinien a plus d'influence que celui de la Syrie. Il est plus sensible, et peut éventuellement affecter la coalition du gouvernement israélien. Le volet syrien est stratégique, il n'est pas émotionnel. Il n'a donc pas le même potentiel sur la vie politique interne israélienne."