Daniel Pipes n'est pas un historien classique. Lorsque le spécialiste du Moyen-Orient de 53 ans a donné une conférence publique, il y a un an, à l'Université de Washington, le professeur Edward Alexander l'a fait accéder par une entrée souterraine à la salle de conférences. Des policiers armés l'ont emmené à un endroit caché en coulisses. De longues files de membres de l'auditoire avançaient petit à petit avant que ceux qui vérifiaient les sacs n'aient inspecté leurs affaires. Mr. Alexander n'avait jamais vu une telle phalange renforcée de sécurité entourant un conférencier universitaire. M. Pipes est en voie de voir les campus d'université de cette façon plus souvent.
Des lettres protestant contre cette conférence sur «La guerre contre le terrorisme et l'Islam militant», ont inondé la boîte e-mail de Mr Alexander dans la demi-heure qui a suivi l'envoi d'un message en messagerie interne au sujet de l'événement. Daniel Pipes « déteste de façon enragée les musulmans», écrit un homme, représentant un groupe musulman local. "S'il va plus loin, il sera à mettre dans le même camp qu'Hitler quand il a dit à Mussolini que les Juifs étaient comme des « bacilles de la tuberculose» et devaient être éradiqués. "
La critique contre Mr. Pipes n'a fait que croître depuis lors. En avril, le président Bush l'a nommé pour siéger au conseil d'administration de l'Institut des États-Unis pour la paix, un think tank du gouvernement fédéral dont les administrateurs sont tenus par la loi "d'avoir une expérience universitaire ou pratique appropriée dans la paix et dans la résolution des conflits."
Le Conseil pour les relations islamiques américaines (CAIR) a lancé une campagne pour bloquer sa nomination. Les sénateurs Ted Kennedy (sénateur démocrate du Massachussetts), Christopher Dodd (sénateur démocrate du Connecticut.), Tom Harkin (sénateur démocrate de l'Iowa), et Jim Jeffords (sénateur indépendant du Vermont) tous ont décrié le choix comme le pire choix ne correspondant pas à l'organisation. Le Sénat a retardé un vote sur la nomination de Mr. Pipes, forçant le président Bush à le nommer pendant la pause estivale du Congrès. Cela signifie que M. Pipes servira [son pays]seulement jusqu'en 2005, quand un nouveau Congrès prendra ses fonctions, plutôt que pendant une pleine période de quatre ans.
Comment un universitaire nommé à un poste un peu obscur déclenche-t-il une telle rancune ? Le défaut de M. Pipes, aux yeux de ses détracteurs, semble être sa volonté de souligner qui – et quelle religion- est derrière le terrorisme. «Pipes rend furieux beaucoup de gens parce qu'il dit que notre ennemi n'est pas le « terrorisme », mais l'islam radical», a déclaré M. Alexander, «et qu'il n'est pas plus logique pour Bush de dire que nous sommes en guerre contre «le terrorisme»que cela l'aurait été pour Franklin D.Roosevelt s'il avait dit, après Pearl Harbor, que nous sommes en guerre contre les «attaques sournoises» au lieu de dire, comme il le faisait, que nous sommes «maintenant en guerre contre l'empire du Japon."
M. Pipes a préconisé le profilage racial des Moyen-Orientaux comme une nécessité désagréable pour extirper les terroristes. Il estime que 10 à 15 pour cent des musulmans dans le monde sont des islamistes et donc des meurtriers potentiels. Il a sonné la sonnette d'alarme à propos des groupes de défense musulmans nationaux tels que le CAIR et l'American Muslim Council, disant que leurs dirigeants visent à favoriser l'islam radical en Amérique. Et tandis que M. Pipes ne condamne pas l'islam tout entier, il ne l'appelle pas non plus une «religion de paix»,
Sur la question israélo-palestinienne, M. Pipes soutient que les Accords de paix d'Oslo il y a 10 ans et la feuille de route du président Bush d'aujourd'hui sont des échecs. Ils ont fait l'énorme erreur de permettre aux Palestiniens de penser qu'Israël était faible quand il a fait des concessions. Seule la force implacable de la part d'Israël, dit-il, convaincra les Palestiniens qu'ils ne peuvent pas effacer l'Etat juif, et alors seulement, ils accepteront de coexister avec Israël.
Ses détracteurs font leurs choux gras de tels propos où il ne mâche pas ses mots. Ses partisans voient ces points de vue comme des déductions de bon sens, et attirent l'attention sur sa prévision d'un jour comme le 11 septembre comme une preuve de sa perspicacité. De toute façon, M. Pipes semble attirer seulement la haine ou l'adoration.
Historien diplômé de Harvard, Mr. Pipes a commencé sa carrière par l'étude de l'histoire islamique médiévale. Il a commencé à voyager seul en Afrique du Nord quand il avait 18 ans, et après l'université il a passé trois ans en Egypte, tout en poursuivant ses études de doctorat et en parlant couramment l'arabe. Ce qui le fascinait était l'influence que l'Islam avait sur la politique et la vie de la région. «Le travail sur le sujet il y a 35 ans, était peu reconnu," a t-il dit.
À la même époque, Mr. Pipes enracinait les convictions avec lesquelles il avait grandi dans un foyer de parents politiquement conservateurs. Son temps d'université à Harvard se situe à l'apogée de la révolution culturelle de la fin des années 60 et début des années 70. Son père, Richard Pipes, était un professeur de Harvard qui s'était spécialisé dans l'Union soviétique et il continua à diriger la politique de Reagan dans les années 1980 laissant tomber la politique de la détente au profit de la guerre froide pour affronter l'ennemi par excellence. Son fils Daniel a observé les manifestations contre la guerre du Vietnam sur le campus et perdu des amis à cause de ses opinions. Ce furent des moments qui ont forgé son caractère.
«Ce fut plus difficile que toute chose depuis, juste au moment d'entrer dans le monde", a t-il dit. M. Pipes a contesté lui-même la raison pour laquelle il a été un conservateur: «Ce fut une question que je me suis posée à plusieurs reprises. J'ai beaucoup voyagé et ai donc eu une compréhension des Etats-Unis et du monde et donc de ce pays d'une manière que d'autres n'ont pas. ». Un camarade qui partageait son appartement à la faculté et ami de longue date Arthur Waldron se souvient de lui assis sur le plancher à la maison, appuyé contre une bibliothèque avec de la musique classique douce ou de jazz en fond sonore comme il l'écrit dans son journal, où il dit que Mr. Pipes discutait ferme ses idées.
«Ce que je pense que cela reflète c'est le côté sérieux de la vie », a t-il dit. «C'est quelqu'un d'extraverti, mais en même temps intraverti. Il a l'esprit d'analyse- et place la barre très haut." Mr. Pipes a été un grand penseur dès l'enfance. Il adorait lire, surtout les classiques (son livre favori était Orgueil et Préjugés de Jane Austen). "L'image que j'ai de lui jeune garçon c'est celle d'un adolescent dans un remonte-pente en Suisse, lisant un livre", a déclaré son père, Richard.
En 1979, le domaine d'études choisi par Mr. Pipes n'est plus si obscur, car des étudiants radicalisés tiennent en otage des Américains à l'ambassade américaine en Iran pendant 444 jours. C'était le premier coup que l'Amérique recevait venant de l'islam militant, que Mr. Pipes est venu à considérer comme un ennemi des États-Unis. Il compare l'Islam militant, qu'il définit comme une idéologie cherchant à contrôler des Etats, au fascisme dans la Seconde Guerre mondiale et au marxisme-léninisme dans la guerre froide. Le terrorisme n'est qu'un symptôme de l'idéologie. (La phrase de la signature de Mr. Pipes est «l'islam militant est le problème, l'Islam modéré est la solution.")
La reconnaissance pour la stabilité et la liberté américaines l'a amené à fonder le Middle East Forum basé à Philadelphie, en 1990, un think tank consacré à la promotion des intérêts américains dans la région. Mr. Pipes a également fondé le campus watch.org deux semaines après le 11 septembre, un site web dont la mission est de contester les points de vue aveuglément pro-islamiques ou anti-américains dans le domaine des études du Moyen-Orient enseignées dans les universités. Le site présente des enquêtes sur des universités particulières et des exemples de documents où la politique des professeurs a influencé leur enseignement et souligne leur soutien à des tactiques terroristes.
Dans les deux semaines suivant son lancement, le site a reçu 80 000 visiteurs. Il a également attiré le courroux des universitaires et bénéficié d'une large couverture médiatique - en particulier pour les fichiers individuels sur huit professeurs différents que le site a identifiés comme «apologistes» de l'islam militant. Quelques semaines plus tard, 108 professeurs ont demandé à être ajoutés à la liste dans un élan de solidarité. Finalement, M. Pipes a enlevé la liste ayant désigné à l'origine les huit professeurs après que les savants l'ont accusé d'essayer de réduire la liberté universitaire. (Il a choisi d'inclure des informations sur le site Web sur les huit dans le contexte d'enquêtes plus larges sur les universités.)
Tashbih Sayyed, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire national Pakistan Today (Le Pakistan aujourd'hui), est l'un des rares musulmans dans le pays qui a soutenu la nomination de M. Pipes à l'Institut américain pour la paix. «L'Islam radical est intrinsèquement opposé aux valeurs américaines », a t-il dit. "Il a été mis en place en Amérique, afin de détruire l'Amérique de l'intérieur. Daniel Pipes n'a rien fait, sinon avertir, signaler, souligner ces efforts de l'islam radical pour détruire l'Amérique."
Le CAIR a envoyé des lettres demandant à l'Institut américain pour la paix de rejeter et au président Bush de retirer la nomination de M. Pipes à l'organisation. Le groupe a également fait une action qui alerte les musulmans par e-mail et un appel au président et à l'Institut, et a lancé un appel public en dernier recours à la Maison Blanche quelques jours avant la nomination. Le porte-parole Ibrahim Hooper, l'un des critiques les plus virulents de Mr. Pipes, est en désaccord avec la façon dont il caractérise l'Islam. «Il définit tous les musulmans comme des musulmans radicaux, et ses modérés sont ceux qui attaquent l'islam », a t-il dit. «Le gars est un bigot, il est islamophobe, et sa haine de l'islam suinte de tout ce qu'il écrit." (Le CAIR a revendiqué plus tard la «victoire morale» pour les dizaines de milliers de personnes dont l'opposition, a-t-il dit, a contribué à tronquer son mandat.)
Mr Pipes a fait référence à sa rubrique du 23 septembre du New York Post sur les musulmans modérés de premier plan en Occident. Il a dit que certains sont très pieux, tels que Abdelwahab Meddeb d'origine tunisienne, auteur de « La maladie de l'Islam. »L'élément commun est d'être anti-islam militant», a déclaré M. Pipes. "C'est ce que Hooper veut nier. Il veut faire en sorte qu'ils ne soient pas autorisés à le dire."
À l'institut, M. Pipes veut mettre en évidence la souffrance des musulmans sous les gouvernements islamiques radicaux. Il écrit déjà une chronique hebdomadaire pour le New York Post et d'autres pour des publications telles que le Jerusalem Post. Il parle fréquemment sur les campus universitaires, et est apparu à des émissions de télévision telles que Hannity and Colmes de Fox News. Son nouveau rôle va alourdir une semaine de travail qui atteint 70 heures depuis le 11 septembre. «Ces deux dernières années, j'ai été débordé», dit-il doucement.
L'opposition peut le forcer à utiliser des entrées souterraines, mais Mr. Pipes s'est juré de continuer à accéder aux amphithéâtres. Entre maintenant et la fin de l'année, il a programmé des conférences qui vont de New York à la Californie, et en Italie.