Les missiles irakiens ont réussi à frapper le navire de guerre américain Stark en partie parce que personne à bord ne s'attendait à avoir des problèmes avec l'Irak. Si l'avion d'attaque avait été iranien, le navire aurait été prêt à se défendre. Cette idée renvoie à une réalité importante: bien que toujours officiellement neutres dans la guerre, les Etats-Unis ont en effet de bonnes relations avec l'Irak et des relations hostiles avec l'Iran.
Et à juste titre, parce que l'Iran menace l'Irak et avec lui les intérêts vitaux américains. La chute du gouvernement en Irak renforcerait grandement l'influence iranienne, mettrait fortement en danger l'approvisionnement en pétrole, menacerait les régimes pro-américains dans toute la région, et bouleverserait l'équilibre israélo-arabe. Comme l'analyste politique Frederick Axelgard le note à juste titre "Une victoire iranienne sur l'Irak pourrait bien constituer le revers le plus grave pour les intérêts occidentaux au Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale."
À cette fin, les États-Unis doivent prendre des mesures claires pour démontrer qu'ils s'opposent à l'apaisement de l'Iran et considèrent qu'une victoire iranienne irait à l'encontre des intérêts occidentaux. Cela signifie [la nécessité de]l'établissement de liens avec l'Irak.
Les Etats-Unis fournissent actuellement à l'Irak des crédits des matières premières pour 800 millions de dollars annuellement; les modalités de remboursement pourraient être assouplies. La possibilité d'ouverture d'une ligne de crédits d'import-export a été discutée au début de 1986, les États-Unis ont reculé ensuite, mais devraient maintenant avancer. En outre, les autres programmes d'aide à l'Irak devraient être explorés.
Politiquement, les Etats-Unis devraient coordonner une campagne soutenue avec leurs alliés européens pour isoler l'Iran. Les efforts de l'an dernier contre la Libye pour leur soutien du terrorisme ne peuvent servir de modèle parce que l'Iran soutient le terrorisme aussi.
Les Etats-Unis pourraient aussi envisager de fournir un soutien militaire à Bagdad pour corriger les dommages militaires faits à l'Irak par l'échange armes contre otages. Cela signifie donner à l'Irak des renseignements et des armes. Nous savons maintenant que les Etats-Unis ont fourni des informations sur les concentrations de troupes iraniennes et l'évaluation des dégâts des attaques irakiennes contre des cibles iraniennes ; Washington devrait également envisager de transférer des armes vers l'Irak. Bien que l'Irak fonctionne essentiellement comme un système de construction soviétique et a beaucoup d'armes, il pourrait faire bon usage de certaines armes américaines, y compris les mines dispersables à distance, les mines antipersonnelles, et des radars spécialisés.
Aider l'Irak militairement a un côté avantageux important: Cela offre la meilleure façon pour Washington de renforcer sa position à Téhéran. Les hommes de l'ayatollah Ruhollah Khomeiny ne nous aimeront jamais, mais ils pourraient être amenés à nous craindre, et la meilleure façon de les faire s'inquiéter des actions américaines est d'aider leur ennemi mortel. Une réduction de l'agression iranienne dépend de la peur iranienne des Etats-Unis. Cette approche est cohérente avec la politique américaine n'importe où dans le monde, tout comme les efforts de contrôle des armements ne dépendent pas de mots doux et de la bonne volonté, mais des craintes soviétiques d'armes américaines, de même avec l'Iran. Lorsque l'ayatollah commencera à s'inquiéter de Washington, on sera assuré qu'il prendra note et essaiera de gagner sa faveur. Aider l'Irak est l'initiative de défense stratégique des relations avec l'Iran.
Un certain nombre d'objections peuvent être soulevées contre le fait d'aider l'Irak. Certains pourraient soutenir que les Etats-Unis devraient se retirer et n'ont rien à voir avec les belligérants dans la guerre Iran-Irak. L'implication précédente a mal tourné, il est vrai, mais l'importance du conflit, rend impossible de l'ignorer. L'enjeu est l'éventuelle résurgence virulente de l'islam fondamentaliste anti-américain, la sécurité de l'accès occidental au pétrole du Golfe Persique, et une potentielle prédominance soviétique dans la région. Abdiquer n'est pas un choix responsable pour les États-Unis.
Le Congrès pourrait s'opposer à une telle initiative. Mais les alternatives - les armes contre des otages ou ne rien faire - sont encore pires. Le premier est ridicule et le second une recette pour l'impuissance. Il n'y a aucune raison de supposer à l'avance que le Congrès refuserait un effort bien conçu pour réduire les pertes américaines dans la région du golfe Persique.
Pour l'argument selon lequel une politique de ce genre peut conduire les Iraniens vers l'Union soviétique, la réponse est que les dirigeants iraniens ont leurs propres raisons profondes pour garder leur distance de Moscou, comme leurs peurs de l'expansionnisme soviétique et de l'idéologie communiste. Quant au danger que les modérés en Iran seraient affaiblis, les événements récents devraient avoir clairement indiqué qu'il n'y a pas de modérés à des niveaux élevés du gouvernement iranien. En effet, contrecarrer l'effort de guerre de l'Iran est la meilleure façon de renforcer les forces de modération à Téhéran.
Le seul argument sérieux contre la possibilité d'armer l'Iran a à voir avec le danger que Bagdad se retourne contre les Etats pro-américains dans la région, surtout Israël, mais aussi le Koweït et les autres Etats faibles dans la région du Golfe. Il y a des raisons de s'inquiéter; pendant des décennies, le gouvernement irakien était en première ligne de l'anti-américanisme et l'anti-sionisme, engagé dans le terrorisme et allié avec l'Union soviétique. Armer l' Irak est un risque calculé; personne ne peut garantir que les armes américaines ne finiront pas par être utilisées contre Israël.
Mais étant donné les nouvelles réalités créées par la révolution iranienne et les sept années de conflit sanglant entre l'Iran et l'Irak, les chances que cela se produise sont minimes. L'Irak est aligné avec l'Egypte et l'Iran avec la Syrie; besoin d'en dire plus? L'Irak, désormais le protecteur de facto du statu quo régional, a changé sa position envers ses voisins arabes, les Etats-Unis, et même Israël; ses dirigeants ne considèrent plus la question palestinienne comme leur problème. L'Iran, Etat révolutionnaire, est plus susceptible d'utiliser ses armes américaines contre Israël. Il a déjà 1.000 soldats au Liban qui constituent «la brigade du Golan." Ce renversement des rôles suggère la direction appropriée à suivre pour la politique américaine.
Les mesures proposées ici sont principalement destinées à réparer les conséquences politiques et militaires de l'inclinaison secrète américaine envers l'Iran. Si c'était la même chose avec l'Irak, cela pourrait fournir la base d'une relation à long terme. Par exemple, les Etats-Unis pourraient favoriser le rétablissement des relations diplomatiques de l'Irak avec l'Egypte. De pleines relations irakiennes avec le Caire pourraient encore légitimer le traité de paix israélo-égyptien et améliorer sa stabilité. Avec l'assouplissement de son isolement arabe, l'Egypte se sentirait plus confiante quant à l'amélioration des relations avec Israël.
Ce schéma n'est qu'un exemple de la façon dont les Etats-Unis pourraient coordonner leur diplomatie dans le golfe et dans l'arène israélo-arabe pour faire avancer la paix dans les deux sphères. Mais poursuivre de telles possibilités nécessite un changement des mentalités à Washington, y compris la volonté de construire des relations avec l'Irak.