Que signifie le fait que Mohamed Morsi soit président de l'Egypte? Parlant au nom de l'opinion américaine largement répandue, Bret Stephens a récemment argumenté dans le Wall Street Journal contre l'attitude consistant à se consoler en pensant que la victoire des Frères musulmans «est purement symbolique, puisque l'armée a toujours les canons.» Il a conclu en disant «l'Egypte est perdue.»
Nous allons prouver le contraire: l'élection n'était pas seulement symbolique, mais illusoire, et l'avenir de l'Egypte reste en jeu.
Morsi n'est pas le politicien le plus puissant d'Egypte ou le commandant en chef. Sans doute n'a-t-il même pas dirigé les Frères musulmans. Son travail n'est pas défini. L'armée pourrait l'écarter. Pour la première fois depuis 1954, le président égyptien est un personnage secondaire, avec comme rôle celui de simple fonctionnaire qui depuis longtemps est celui que l'on associe au rôle de premier ministre.
Une photo de Morsi et Tantawi montre en quels termes se présente leur relation: Non seulement Tantawi est assis du côté droit, où, les présidents égyptiens d'avant ( Nasser, Sadate, Moubarak ) rituellement s'asseyaient lors qu'ils recevaient un visiteur, mais leur rencontre a eu lieu au sein du ministère de la Défense, et non pas dans le palais présidentiel, ce que le protocole normalement exigerait. |
Le Conseil suprême des Forces armées (SCAF) exploite les Frères musulmans et d'autres mandataires comme ses couvertures civiles, un rôle qu'ils sont heureux de jouer, en permettant aux islamistes d'engranger un énorme pourcentage de vote parlementaire, puis de gagner la présidence. Au cours de la semaine de retard suspecte avant que les votes présidentiels n'aient été annoncés, le Conseil suprême des forces armées (SCAF) a rencontré le véritable leader des Frères musulmans, Khairat El-Shater, et conclu un accord selon lequel Morsi devient président, mais le SCAF gouverne encore.
Pour comprendre le pouvoir du Conseil Suprême des Forces armées (SCAF), notons trois mesures qu'il a prises conjointement avec les élections présidentielles:
Imposition de la loi martiale: Le 13 juin, le ministre de la justice a autorisé les services des renseignements généraux et la police militaire à arrêter des civils comme ils le veulent et à les incarcérer pendant six mois s'ils expriment toute forme d'opposition écrite ou artistique contre le conseil suprême des forces armées (SCAF), la police, ou leurs mandataires islamistes, tandis que protester contre ces mêmes institutions dans la rue peut conduire à la prison à vie.
Dissolution du parlement: Au motif que les élections législatives de novembre 2011-janv. 2012, avaient violé la Constitution (qui interdit aux candidats du parti de se présenter pour des sièges«individuels», la haute Cour administrative a statué sur leur validité en février 2012. Le 14 juin, la cour suprême constitutionnelle -que contrôle le conseil suprême des forces armées (SCAF) [la cour suprême constitutionnelle (CSC), une cour composée de juges nommés par Moubarak, a statué qu'un tiers des sièges au parlement étaient invalides parce que les candidats des partis politiques avaient été élus pour des sièges réservés exclusivement aux indépendants non rattachés à un parti (NDLT)]- a confirmé cette décision et dissout le parlement. Rétrospectivement, il apparaît que le conseil suprême des forces armées (SCAF), qui a supervisé ces élections, intentionnellement a laissé les islamistes violer la loi de manière à avoir une excuse à volonté pour dissoudre le parlement frauduleux de l'Egypte.
Mettre en place le principe de la loi martiale: le conseil suprême des Forces armées (SCAF) a publié une déclaration constitutionnelle le 17 juin qui a officialisé son intention de prolonger un règlement de l'armée datant de 60 ans. L'article 53/2 indique que, face à des troubles internes, «le président peut émettre la décision de diriger les forces armées - avec l'approbation du conseil suprême des forces armées (SCAF) -pour maintenir la sécurité et la défense des biens publics». La base pour une prise en charge militaire complète ne pouvait guère être plus crûment affirmée, le plan de Morsi de reconvoquer le parlement dissous pourrait justifier une telle action.
Morsi a prêté le serment de fonction devant la Cour suprême constitutionnelle et non devant le parlement. Notons une autre victoire symbolique pour le SCAF. |
Le conseil suprême des forces armées (SCAF) se bat pour perpétuer le statu quo, selon lequel le corps des officiers profite de la bonne vie et le reste du pays sert à ses besoins. Faire de Morsi le président apparent de l'Egypte habilement lui refile la responsabilité alors que les problèmes économiques du pays s'aggravent. Mais les stratagèmes du conseil suprême des forces armées (SCAF) font courir de graves dangers et ils pourraient se retourner contre lui, car une population qui en a marre de la tyrannie et de l'arriération se retrouve en pire dans la même situation. La prochaine explosion pourrait rendre le soulèvement de début 2011 fade en comparaison.
Pour tenter d'éviter l'explosion prochaine, les gouvernements occidentaux devraient adopter une politique faisant progressivement pression sur le conseil suprême des forces armées (SCAF) afin de permettre d'accroître la participation politique véritable.
Mr. Pipes est le président du Forum du Moyen-Orient et chercheur du centre Taube à la Hoover Institution de l'université de Standford. Mme Farahat, chercheur au Forum du Moyen-Orient, travaille également au Centre pour la politique de sécurité et de solidarité copte.
Mises à jour du 11 juillet 2012: (1) Voici une description poétique de la situation du nouveau président, par Jeffrey Fleishman et Reem Abdellatif du Los Angeles Times: "Morsi a été élu président sans constitution et avec peu de pouvoirs définis, en arrivant au palais, comme une figure accidentelle jetée dans un jeu de société mouvant. "
(2) Morsi semble avoir déjà capitulé devant le SCAF sur la question du Parlement, annonçant indirectement que «Si la décision d'hier de la Cour constitutionnelle empêche le Parlement de s'acquitter de ses responsabilités, nous respecterons cela, parce que nous sommes un Etat de droit. Il y aura des consultations avec les forces (politiques), les institutions et le Conseil suprême pour les autorités juridiques afin d'ouvrir une voie appropriée pour sortir de cette situation » ,d'après ce qui ressort d'une déclaration de son bureau.