Yehoshafat Harkabi, un général à la retraite israélien, lance un cri du cœur assorti d'une déclaration inhabituelle. «Je reconnais le droit démocratique des Juifs en Israël de commettre un suicide national et, si cela arrive, je serai avec eux. Mais il est de mon devoir, et du devoir des autres qui ont des vues similaires, de les mettre en garde contre une solution de ce type. "
Et quels sont ces points de vue? Dans l'heure fatidique d'Israël (Harper & Row, 288 pages, 22,50 €), Mr. Harkabi préconise deux principaux changements dans la politique d'Israël. Tout d'abord, les forces israéliennes doivent se retirer de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. Deuxièmement, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), en collaboration avec la Jordanie devraient être autorisées à prendre leur place.
M. Harkabi a un formidable argument pour le retrait militaire. Son analyse des tendances démographiques crève définitivement les nuages de la pensée brumeuse irréaliste qu'Israël peut intégrer de façon permanente la Cisjordanie sans grandes conséquences néfastes. A juste titre aussi, il met l'accent sur les tendances démographiques comme étant potentiellement le facteur le plus décisif pour l'avenir des relations israélo-arabes. En outre, Mr. Harkabi montre comment les dirigeants arabes ont, au fil des années, commencé à distinguer leur politique de tous les jours (accepter Israël) de leur grand dessein (la destruction d'Israël). Pour favoriser ce processus, il déclare qu'encourager les Arabes à la modération devrait être «l'impératif central de la politique étrangère d'Israël.»
Jusqu'ici, tout va bien. Mais l'étape qui suit, en préconisant un accord avec l'OLP, Mr. Harkabi s'engage sur un terrain glissant. En effet, il arrive à cette conclusion grâce à une série d'analyses erronées, erreurs qui sont d'autant plus flagrantes ([erreurs directes] et indirectes) compte tenu du fait que l'auteur se pose en interprète de premier plan des attitudes arabes envers Israël.
Plusieurs erreurs sautent aux yeux. La première c'est que Mr. Harkabi voit le conflit israélo-arabe à travers des oeillères terriblement étroites. Il est tout à fait faux, -comme il le pose en postulat-, que l'OLP soit le seul parti arabe «directement impliqué dans le conflit.» Que fait-il des gouvernements de l'Egypte, de la Jordanie et de la Syrie? Il envoie promener les intérêts jordaniens en Cisjordanie, tandis que les ambitions syriennes là-bas ne sont pas mentionnées une seule fois. Pourtant, la participation des Etats arabes ne peut pas être ignorée. Les Israéliens ne peuvent pas simplement se réconcilier avec l'OLP, ils doivent aussi affaiblir les régimes voisins. L'accord avec Yasser Arafat serait de toujours laisser avions de chasse, missiles et armes (ogives) chimiques des Syriens, en place. Et, en dernière analyse, l'immense arsenal implanté en Syrie menace plus les Israéliens que les jets de pierres sur la Cisjordanie.
Puis, Mr. Harkabi pose en principe établi qu' «Israël peut obtenir de bien meilleures conditions maintenant plutôt que dans l'avenir», parce que les Arabes modérés par rapport aux radicaux vont perdre, sauf si intervient un changement de politique israélienne. Cela va à l'encontre de la tendance que l'auteur note lui-même, qui est que les ennemis d'Israël de plus en plus acceptent le fait que l'Etat d'Israël est là pour rester. En outre, son hypothèse que l'équilibre des forces évolue en faveur des Arabes ignore un fait essentiel: que la participation à part entière d'Israël dans l'économie mondiale moderne et de haute technologie permet encore à l'Etat juif de compenser le fait que son armée est relativement petite.
Mr Harkabi se qualifie lui-même de «colombe machiavélique», mais il est difficile de voir où il diffère de la version ordinaire. Il est stupéfiant de constater que l'analyste le plus savant et le plus en vue dans le monde sur la charte nationale (covenant) adoptée par l'OLP puisse inciter les Palestiniens à «condamner (l'alliance) à l'oubli en cessant d'y faire référence." Est-ce qu'il pense aussi que moins faire d'allusions à Marx et Lénine devrait changer le système soviétique? Remarquablement naïve, aussi, cette affirmation que toutes les attaques arabes contre Israël sont «plus de l'ordre de la rhétorique que de la conviction.»
Aussi, le livre est bien infecté par cette maladie politique terrible qu'est le relativisme moral, [l'équivalence morale]. Il commence avec la dédicace: «Pour les victimes de leurs dirigeants - les Juifs et les Arabes." L'implication est claire et répugnante: à savoir que les politiciens démocratiquement élus d'Israël ne sont moralement pas différents des autocrates qui gouvernent les Etats arabes. Dans un autre passage, l'auteur fait référence aux «extrémistes des deux bords», ce qui suggère qu'on établit une comparaison entre Menahem Begin et Abou Nidal. Pire, il excuse le comportement de l'OLP, en nous disant que les Palestiniens «ont tendance à ignorer» que leur objectif implique la destruction d'Israël. Peut-il vraiment penser que ce n'est rien de plus qu'un oubli?
En bref, M. Harkabi semble désormais être l'Israélien qui apporte de l'eau au moulin à cette foule de gens pour qui tout est d'abord la faute de l'Amérique [pour tous les problèmes du monde, quel que soit le problème (NDLT)]]. Les relations difficiles avec l'Egypte sont le résultat de «la réticence d'Israël à faire des concessions sérieuses», les Egyptiens n'y sont pour rien. Plus généralement, il estime que «la laideur de notre politique menace notre existence." Pardonnez à un Américain de vous déranger, mais n'est-ce pas les Arabes qui menacent l'existence d'Israël?
Que Mr. Harkabi, un analyste tout à fait compétent et souvent brillant du conflit israélo-arabe, puisse faire autant d'erreurs montre la difficulté de la situation. Cela souligne également l'attention et la patience dont auront besoin tous ceux appelés à résoudre ce conflit.