Supposez un instant qu'on ne découvre aucune arme de destruction massive en Irak.C'est aller vite en besogne, je sais. Néanmoins: imaginez que les renseignements collectés concernant le fait que Saddam Hussein avait mis sur pied un programme de construction d'armes chimiques biologiques et nucléaires, ainsi qu'un programme de construction de missiles pour transporter celles-ci, s'avèrent inexacts.
Que pourrait-on en déduire?
Les Démocrates opposés à George Bush disent que la décision d'entrer en guerre contre l'Irak apparaitrait alors comme une "supercherie" ou une imposture. En procédant à ce genre d'affirmations, ils laissent de côté un point important: il existe des preuves, nombreuses et indiscutables, du fait que le régime irakien construisait des armes de destruction massive (ADM).
Divers informateurs irakiens, dont des transfuges, sont venus au fil du temps corroborer ces preuves. Le gouvernement irakien, en s'opposant longtemps bec et ongle à l'idée d'inspections par les Nations Unies, en pratiquant la dissimulation et en laissant passer toutes les chances de voir les sanctions économiques levées a lui-même longtemps semblé adopter un comportement plus que suspect.
Rich Lowry, journaliste à la National Review a rappelé récemment que l'administration Clinton dans son ensemble, les Nations Unies, mais aussi les gouvernements français et allemands, pensaient tous que les ADM irakiennes existaient.
Si les ADM irakiennes n'existent réellement pas, la question n'est pas de savoir pourquoi l'administration Bush a fait la même erreur que tout le monde: elle est de savoir pourquoi Saddam Hussein a tout fait pour donner l'impression, fausse, qu'il avait des ADM. Elle est de savoir comment et pour quel motif, Saddam s'est lui-même placé dans la position bizzarre de celui qui semble faire construire des ADM, et qui semble en même temps dissimuler ces armes inexistantes.
On peut penser que le but de Saddam était de se donner de l'importance. Comme l'écrivait voici peu un éditorialiste du Washington Post: " il pourrait bien avoir mis en place un programme de tromperie destiné à convaincre tout à la fois le monde et son peuple qu'il était plus dangereux qu'il ne l'était en réalité".
Peu à peu néanmoins, la posture de Saddam est devenue autodestructrice. L'apparente possession d'ADM par l'Irak a impliqué la continuation de sanctions économiques qui a privé Saddam de milliards de dollars, affaibli son économie, et mis en péril son arsenal conventionnel. Pire encore pour lui: la tromperie concernant les ADM a haté son renversement, l'exécution de ses fils, et le fait qu'il soit lui-même mis hors d'état de nuire.
Pourquoi un dirigeant qui a atteint le sommet du pouvoir par la ruse éhontée persisterait-il à mener une politique aussi contreproductive? Ses biographes, Efraim Karsh et Inari Rautsi décrivent les caractéristiques personnelles de Saddam en utilisant les mots suivants: "prise de précautions proche de l'obsession, patience infinie, persévérance obstinée, capacités de manipulation impressionnantes et absence totale de scrupules".
Comment peut-on penser en ces conditions que Saddam n'ait pas choisi de limiter les dégâts et de sauver son régime en admettant et en montrant qu'il n'avait pas de programme de construction d'ADM ?
On peut considérer qu'une telle erreur, si elle est avérée, a été le résultat du fait que Saddam était dans la position de l'autocrate totalitaire trop sûr de lui, et deux dimensions jouent un rôle clé en cela:
- La mégalomanie: Le dirigeant absolu peut faire tout ce qu'il veut, et il finit par penser qu'il n'y a pas de limites à son pouvoir.
- L'ignorance: Le "dirigeant qui sait tout" n'est jamais contredit par personne, et ses conseillers, craignant pour leur vie, lui disent ce qu'il veut entendre.
Ces deux dimensions incapacitantes s'aggravent en général avec le temps, et le tyran se coupe toujours davantage de la réalité. Ses impulsions, ses excentricités et ses fantasmes finissent par dominer la politique du pays. En résulte tout un ensemble d'erreurs monumentales.
On pourrait citer là deux exemples venant à l'appui de nos thèses. Hitler était en train de gagner la Seconde Guerre Mondiale au moment où il a décidé, contre l'avis de ses généraux, de mener les combats sur deux fronts en attaquant l'Union Soviétique.
Staline, de son côté, a répondu aux informations selon lesquelles les forces nazies se rassemblaient le long de la frontière en affirmant qu'il ne se passait rien.
L'erreur de Hitler est considérée par les historiens comme ayant été le tournant de la guerre, et la raison essentielle de la défaite subséquente de l'Allemagne. L'erreur de Staline a causé la mort de millions de ses sujets. La guerre entre nazis et soviétiques a été la plus brutale et la plus meutrière des temps modernes et elle a été le fruit de l'orgueil démesuré de deux dictateurs.
Saddam Hussein a commis dans le passé des erreurs comparables (rappelez-vous les désastres auxquels l'ont conduit l'invasion de l'Iran, puis celle du Koweit), se placer en la position de celui qui semble faire construire des armes de destruction massive, en fait inexistantes, et ce même si cela devait le conduire à sa perte ne devrait pas sembler surprenant. Nous ne pouvons pour le moment qu'imaginer les ambitions démentielles qui l'ont conduit à prendre ses décisions.
La propension des demi-dieux totalitaires à s'infliger à eux-mêmes des blessures graves peut nous donner à réfléchir concernant la conduite à tenir face à la Corée du Nord, à la Libye et à d'autres Etats voyous. La vanité et l'isolement de leurs dirigeants peut conduire le reste du monde à une catastrophe absurde, mais très destructrice.