Sans entrer dans les détails, le livre de Joan Peters From Time Immemorial [Depuis la nuit des temps], a été reçu de deux manières à deux époques différentes. Les premières recensions considérèrent son livre comme une contribution sérieuse à l'étude du conflit arabo-israélien, les dernières le taxent de propagande. Deux ans après la publication du livre, la recension du professeur Yehoshua Porat dans votre numéro du 16 janvier 1986 met probablement un terme au deuxième 'round'. En tant que l'un des recenseurs du livre, lors de sa première parution - et puisque j'ai été mentionné, pour cette raison, dans la recension du professeur Porat - j'aimerais, à ce stade, commenter la discussion.
Il n'est pas difficile d'expliquer la différence entre les deux 'rounds'. Pour la plupart, les premiers critiques, moi-même y compris, se sont concentrés sur le fond de la thèse centrale de Mlle Peters ; les recenseurs postérieurs, en revanche, ont souligné les défauts - techniques, historiques, et littéraires - du livre de Mlle Peters.
Je ne contesterai pas l'existence de ces défauts. From Time Immemorial cite imprudemment, utilise peu soigneusement les statistiques, et ignore les faits gênants [pour sa thèse]. Une grande partie du livre n'a rien à voir avec la thèse centrale de Mlle Peters. Les aptitudes linguistiques et scientifiques de l'auteur sont sujettes à caution. Son utilisation excessive des guillemets, des notes de bas de page bizarres, et une tonalité polémique et quelque peu hystérique causent du tort à l'ouvrage. En bref, From Time Immemorial se profile comme un livre terriblement mal rédigé ["an appallingly crafted book"].
Ceci étant dit, reste le fait que le livre expose une thèse que ni le professeur Porat, ni quelque autre critique n'a réussi à réfuter jusqu'à maintenant. La thèse centrale de Mlle Peters est qu'une substantielle immigration des Arabes vers la Palestine s'est produite durant la première moitié du vingtième siècle. Elle étaie cet argument d'une collection de statistiques démographiques et de comptes-rendus contemporains, qui, pour l'essentiel, n'ont été remis en cause par aucun critique, y compris le professeur Porat.
Néanmoins, le professeur Porat discrédite son argumentation comme "fantaisiste". Il affirme que "la principale raison" de la croissance de la population est que les naissances arabes sont demeurées constantes, tandis que la mortalité infantile diminuait. Il conclut que le mouvement de la population [allégué par J. Peters], comparé à son augmentation naturelle n'était pas significatif.
Il n'est pas question de contester le fait que l'amélioration des conditions sanitaires ont contribué à l'augmentation de la population arabe. Mais rien ne permet d'en déduire que la baisse de la mortalité infantile ait été plus importante que l'immigration. Le professeur Porat l'affirme, mais il n'apporte pas la preuve nécessaire pour convaincre un lecteur.
La réfutation de la thèse de Mlle Peters exige un examen détaillé des archives de décès, des registres d'immigration, d'émigration et d'emploi, des normes de l'habitat nomade [d'alors], et ainsi de suite. Il se peut qu'elle ait tort; mais on n'en aura la preuve que lorsque un autre chercheur aura examiné les preuves et établi que l'immigration [arabe en Palestine] était négligeable. L'existence ou l'inexistence d'une immigration arabe massive en Palestine n'a, bien sûr, rien à voir avec les motivations de Mlle Peters, ni avec les imperfections évidentes de son livre. Les faits concernant les changement démographiques ne seront pas déterminés par l'accumulation du mépris à l'égard de Mlle Peters, mais uniquement par un nouvel examen des archives.
Malgré une présentation défectueuse, l'hypothèse de Mlle Peters reste posée ; il incombe à ses critiques de cesser de traiter l'auteur de tous les noms et de faire un effort sérieux pour prouver qu'elle a tort en démontrant que des milliers d'Arabes n'ont pas émigré en Palestine dans la période sous revue.
Tant que nous n'en sommes pas là, que penser? Y a-t-il des raisons d'accepter la version des événements de Mlle Peters? Je le crois : même si From Time Immemorial ne place pas l'immigration arabe en Palestine dans un contexte historique, il n'est pas difficile de trouver une raison à ces déplacements [de population]. Les Arabes qui sont allés en Palestine cherchaient à profiter de l'opportunité économique créée par les Sionistes. En tant qu'Européens, les Sionistes avaient apporté avec eux, en Palestine, des ressources et des qualifications bien plus avancées que ce dont disposait la population locale. Les Juifs ont mis en oeuvre des activités économiques créatrices d'emplois et de richesses, et qui ont attiré des Arabes. Les Sionistes ressemblaient aux Anglais, aux Allemands, et à d'autres Européens des temps modernes qui se sont installés dans des régions peu peuplées - l'Australie, l'Afrique du Sud, ou l'Ouest américain - attirant ensuite à eux les populations autochtones.
Il n'y a vraiment rien d'étonnant à tout cela; et c'est parce que cela concorde tellement avec le bon sens, que j'ai cru à l'argument qu'un nombre important d'Arabes se sont rendus en Palestine. Naturellement je rectifierai mes vues, si des preuves évidentes indiquaient le contraire. Mais il faudra pour cela que les critiques de Mlle Peters aillent au-delà de la polémique et prouvent réellement que sa thèse est erronée.
Traduction française de Menahem Macina pour upjf.org