En Hongrie, la victoire électorale écrasante remportée le 8 avril dernier par Victor Orbán a permis à ce dernier de renforcer sa majorité au pouvoir, avec 134 sièges sur les 199 que compte le parlement hongrois, et de conforter sa politique musclée d'exclusion des immigrants illégaux provenant surtout du Moyen-Orient. Ce succès rend plus criant encore cette nouvelle réalité qui concerne toute l'Europe et l'Australie à savoir l'apparition d'un nouveau type de parti qui perturbe le jeu politique et provoque des débats passionnés.
À titre d'exemples de ce phénomène, on notera les trois autres membres du Groupe de Visegrád (Pologne, République tchèque et Slovaquie) ainsi que le gouvernement autrichien en place depuis quelques mois. Aux Pays-Bas, le leader du Parti de la Liberté, Geert Wilders, imagine l'Europe en train d'emboîter le pas au groupe de Visegrád : « En Europe orientale, les partis opposés à l'islamisation et à l'immigration de masse connaissent un soutien populaire grandissant. La résistance augmente en Occident également. »
En France, le Front national s'est hissé à la deuxième place lors de l'élection présidentielle de l'année dernière. En Italie, la situation confuse pourrait entraîner la formation d'un gouvernement semblable à celui d'Orbán alors qu'en Australie, les conservateurs de Cory Bernardi et le parti One Nation de Pauline Hanson ont imprimé leur marque sur la scène politique du pays. Ainsi, pas moins de vingt pays ont vu l'apparition soudaine de partis de cette mouvance devenue une force politique importante.
Résultats (en pourcentages de sièges au parlement) obtenus par les partis civilisationistes lors d'élections générales en Europe. |
Se pose d'emblée un problème : celui de l'appellation correcte à donner à ces partis. Les média les qualifient trop facilement de partis d'extrême-droite et négligent de voir leurs nombreuses idées de gauche notamment sur le plan socio-économique. Les appeler nationalistes est une erreur puisqu'ils ne lancent pas d'appels aux armes ni n'émettent de revendications à l'encontre de pays voisins. Le terme populiste passe à côté de l'essentiel puisque pas mal de partis populistes comme La France insoumise poursuivent des politiques presque diamétralement opposées.
Pour les définir correctement, il faut plutôt cerner les principaux éléments qu'ils ont en commun à savoir, le rejet de l'arrivée massive d'immigrés et plus particulièrement d'immigrés musulmans. Certes les immigrés non-musulmans, notamment ceux venus d'Afrique, génèrent également des tensions mais il n'y a que parmi les musulmans qu'on trouve un programme, de type islamiste, visant à remplacer la civilisation occidentale par un mode de vie radicalement différent. À l'inverse, ces partis sont traditionalistes et de tendance pro-chrétienne, pro-européenne et pro-occidentale : ils sont donc civilisationistes. Par ailleurs, cette définition présente l'avantage d'exclure de ce groupe des partis comme l'Aube dorée, mouvement néonazi grec, qui fustige la civilisation occidentale traditionnelle.
En règle générale, les gens éclairés réagissent avec horreur face aux partis civilisationistes. Et pour cause : ces partis traînent derrière eux pas mal de casseroles. Certains ont des origines douteuses. Constitués principalement de mécontents, novices en politique, ils comptent dans leurs rangs un nombre consternant d'extrémistes antijuifs et antimusulmans, de nostalgiques du nazisme, d'enragés avides de pouvoir, adeptes d'idées économiques excentriques, de thèses révisionnistes et de théories du complot. Certains adoptent une position antidémocratique, anti-Union européenne et anti-américaine. Trop nombreux sont ceux qui comme Orbán ont un faible pour le dictateur russe Vladimir Poutine.
Discussion amicale entre Poutine (à gauche) et Orbán. |
Cependant, les partis civilisationistes apportent dans le même temps une contribution bénéfique au débat politique : réalisme, courage, ténacité et une critique civilisationnelle nécessaire si l'Occident veut survivre dans sa forme historique. C'est pourquoi, contrairement à de nombreux amis et alliés, je suis favorable au fait de travailler avec la plupart des partis civilisationistes et défend l'idée d'une coopération critique plutôt que le rejet et la marginalisation.
Quatre raisons motivent cette décision : premièrement, les partis civilisationistes posent un danger bien moindre que les islamistes. Ils adoptent une attitude traditionaliste et défensive. Ils ne sont pas violents et ne cherchent pas à renverser l'ordre constitutionnel. Leurs erreurs sont rectifiables. On pourrait dire qu'ils sont même moins dangereux que les partis installés qui ont permis l'immigration et esquivé les questions posées par l'islamisme.
Deuxièmement, ils s'adaptent aux réalités politiques. L'attrait du pouvoir a déjà poussé certains partis civilisationistes à gagner en maturité et en modération. À titre d'exemple, en France, le fondateur du Front national a été exclu de son propre parti par sa fille en raison de son antisémitisme persistant. Ce type d'évolution entraîne bien des drames comme des querelles de personnes et des divisions internes qui, bien qu'inélégants, s'inscrivent dans un processus en croissance et qui permettent à ces partis de jouer un rôle constructif. S'ils gagnent en expérience de gouvernement, ces partis continueront à évoluer et à murir.
Troisièmement, les partis centrés sur le civilisationisme ne peuvent pas être écartés au titre de mouvements éphémères. Apparus subitement, ils gagnent systématiquement en popularité car ils représentent une part de l'opinion toujours plus importante. Étant donné qu'ils poursuivent leur marche inexorable vers le pouvoir, il serait préférable de les voir s'impliquer et se modérer plutôt que de les repousser et de les aliéner.
Enfin, et c'est là le point le plus critique, les partis civilisationistes jouent un rôle vital dans la mise en avant des problèmes qu'ils soulignent. Les autres partis ont en effet coutume d'ignorer les défis posés par l'immigration et l'islamisme. Les partis conservateurs ont tendance à passer sous silence ces problèmes en partie parce que les grandes entreprises qui les soutiennent bénéficient d'un travail bon marché. Quant aux partis de gauche, ils font trop souvent la promotion de l'immigration et ne veulent pas regarder l'islamisme en face.
La Grande Bretagne ne dispose d'aucun mouvement civilisationiste car Nigel Farage a décidé que son parti, le UKIP, ne traiterait pas des questions de l'immigration et de l'islamisme. |
Par contraste, en Suède, il existe un parti civilisationiste, les Démocrates de Suède, qui depuis 1998 double le nombre de ses voix tous les quatre ans au point d'avoir modifié profondément le paysage politique du pays et contraint les partis formant la droite et la gauche à s'unir contre lui. Cette manœuvre a permis de l'exclure du pouvoir mais n'a pas empêché certains changements politiques qui laissent présager d'autres évolutions. Ainsi on pourra noter que le parti conservateur, les Modérés, a parlé de coopérer avec les Démocrates de Suède, chose impensable récemment encore.
Autre conséquence de ce phénomène, la présence d'un parti civilisationiste en expansion fait pression sur les partis traditionnels aussi bien de gauche que de droite. Les conservateurs, craignant la perte d'électeurs au profit des partis civilisationistes, adoptent des politiques en vue de garder leur soutien. En France, le parti des Républicains a opéré un virage assez net dans cette direction, d'abord avec François Fillon ensuite avec son successeur Laurent Wauquiez. En Allemagne, le Parti démocratique libre s'est retiré des négociations de la coalition jamaïcaine pour les mêmes raisons. Angela Merkel a beau rester chancelière d'Allemagne, son ministre de l'Intérieur, Horst Seehofer, met tout en œuvre pour appliquer une politique civilisationiste.
Les partis de gauche ont également commencé à réagir face à la perte d'une partie de leurs électeurs notamment les travailleurs les plus exposés aux tensions économiques et culturelles. Les sociaux-démocrates danois ont montré la voie à suivre quand leur leader, Mette Frederiksen, a déclaré : « Nous voulons introduire un plafond pour le nombre d'étrangers non-occidentaux autorisés à venir au Danemark ». Dans un plan détaillé quoique maladroit, le parti a marqué son intention de créer des centres d'accueil hors d'Europe.
Des migrants à Budapest en Hongrie en 2015. |
Même si je reconnais qu'ils ont de nombreux défauts, les partis axés sur l'immigration et l'islamisme sont essentiels pour que l'Europe ne devienne pas une annexe de l'Afrique du Nord et demeure une composante de cette civilisation occidentale qu'elle a créée. Le fait qu'ils s'attaquent aux problèmes de l'immigration et de l'islamisme compense leurs manquements. Cette analyse me conduit à lancer un appel urgent à coopérer avec les partis civilisationistes plutôt qu'à s'en détourner d'un air horrifié. D'après mon expérience, ils sont ouverts à la discussion et prêts à apprendre. Ils ont aussi quelque chose à apporter. À titre d'exemple, en s'intéressant à la loi islamique, ou charia, Anne Marie Waters du mouvement For Britain apporte un nouvel éclairage sur des problèmes complexes.
Revenons à Viktor Orbán. Malgré ses sérieux couacs en tant que dirigeant démocratique et son alignement avec Vladimir Poutine, son succès électoral reflète une angoisse réelle et légitime en Hongrie par rapport à l'immigration et à l'islamisation, surtout depuis la recrudescence des deux phénomènes en 2015-2016. Orbán est au pouvoir mais d'autres après lui n'en sont pas loin et je prédis que dans vingt ans les partis civilisationistes seront peut-être présents en force dans de nombreux gouvernements. Chose non moins importante, leurs politiques auront influencé celle de leurs rivaux conservateurs et de gauche. Il serait insensé d'essayer d'ignorer ou d'ostraciser ce mouvement. Au contraire on ferait mieux de les inciter à se modérer, de les éduquer et d'apprendre d'eux.