BUDAPEST. Aucun chef de gouvernement européen ne tient un langage aussi décalé que celui du Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Récemment, ce dernier a parlé de bâtir en Hongrie un « ordre constitutionnel fondé sur des bases nationales et chrétiennes » de façon à éviter un avenir où « l'Europe dans son ensemble se sera soumise à l'islam ».
C'est en somme une rupture que provoque Orbán (55 ans) avec son parti Fidesz. Il annonce de façon explicite des objectifs conservateurs (ou selon ses termes, « non libéraux ») visant à défendre des « modes de vie issus de la culture chrétienne » et à rejeter l'influence de l'islam. Ce faisant, Orbán a mis à mal le consensus européen et a encouragé les électeurs polonais, autrichiens, italiens et allemands à continuer à résister à l'immigration incontrôlée.
Fidesz est profondément ancré dans la société hongroise. |
Certaines critiques à l'encontre de ce gouvernement sont en revanche exagérées ou injustes. Il est vrai que les juifs locaux se plaignent d'une hostilité croissante mais les incidents antisémites ont diminué et la Hongrie est le pays d'Europe où l'espace public est le plus sûr pour les juifs pratiquants. Orbán argumente judicieusement que la vraie menace pour les juifs c'est de laisser venir un grand nombre de migrants musulmans antisémites. Ses invectives à l'encontre de George Soros, un juif antisioniste et équivoque, ne sont pas plus antisémites que celles, par exemple, de David Horowitz ou Black Cube. La Hongrie est le pays européen qui entretient les meilleures relations avec Israël.
Contraste frappant avec ce qui se passe habituellement en Occident, les institutions juives à Budapest s'affichent ouvertement alors qu'Amnesty International est « cachée derrière une imposante porte blindée. »
À Budapest, on peut voir de nombreuses femmes musulmanes fréquenter les bords du Danube. |
Le gouvernement n'est pas non plus antimusulman. Certes, Orbán a stigmatisé les migrants illégaux en disant qu'ils « ne sont pas des réfugiés mais une force d'invasion musulmane » et qu'un « grand nombre de musulmans crée inévitablement des sociétés parallèles puisque chrétiens et musulmans ne seront jamais unis. » Mais les musulmans qui respectent la loi, par contre, sont les bienvenus et les musulmans qui visitent la Hongrie sont nombreux comme on peut s'en apercevoir rapidement en se promenant le long du Danube, à Budapest.
Des visas de longue durée sont également disponibles. Pendant quatre ans, de 2013 à 2017, le gouvernement dirigé par Fidesz a vendu des « obligations-résidence » d'une valeur d'environ 350.000 euros à des étrangers, notamment de nombreux musulmans, qui en échange ont reçu un passeport hongrois. Un programme universitaire appelé Stipendium Hungaricum a accueilli environ 20.000 étudiants, particulièrement des musulmans venus de Turquie, du Liban, des Émirats et de l'Indonésie.
Les immigrés musulmans jouent un rôle visible dans toute une série d'activités économiques : médecins, ingénieurs, agents immobiliers, agents de change, restaurateurs, boulangers. C'est un artiste turc, Can Togay, qui a créé le mémorial de l'Holocauste de Budapest « Chaussures sur les berges du Danube ».
Le Mémorial des Chaussures sur les berges du Danube. |
Lors d'un referendum qui s'est tenu en octobre 2016, 98,4% des Hongrois ont voté contre l'acceptation par la Hongrie de la part de migrants attribuée par l'Union européenne. Il faut reconnaître que la campagne menée par le gouvernement en faveur du non et le boycott du referendum par l'opposition ont artificiellement gonflé ce chiffre. Toutefois, ce résultat indique qu'une majorité rejette l'immigration incontrôlée. Comme me le disait un allié important d'Orbán, « nous aimons les musulmans chez eux, pas chez nous ».
À Budapest, des discussions centrées sur la question de savoir pourquoi les Hongrois (et leurs voisins) répondent si négativement à l'immigration incontrôlée, ont fait apparaître plusieurs facteurs :
- Le souvenir amer de la menace ottomane et de l'occupation de territoires hongrois pendant plus de 150 ans.
- L'insécurité par rapport à la souveraineté du pays, reconquise sur les Soviétiques il y a à peine 29 ans.
- « L'idéologie de Bruxelles est aussi peu attractive que l'était celle de Moscou », m'a dit Dávid Szabó de la Fondation Századvég, ce qui explique pourquoi les Hongrois se tournent vers une culture traditionnelle d'inspiration chrétienne.
- La conscience de l'existence de problèmes liés à l'immigration musulmane en Europe occidentale, notamment la polygamie, les crimes d'honneur, les viols collectifs, les zones partielles de non-droit, les tribunaux islamiques et les sociétés parallèles.
- Le manque dans cette Europe occidentale influencée par la mentalité américaine, de confiance dans le fait que chaque migrant peut être assimilé.
- La préférence pour un déclin de la population (dû à un faible taux de natalité et à une émigration importante) plutôt que pour un apport de population issue d'une civilisation différente. Comme me le disait un Hongrois : « Mieux vaut des villages vides que des villages somaliens ».
- La vision optimiste selon laquelle la population hongroise, qui diminue d'environ 30.000 personnes chaque année, peut retrouver son dynamisme sans immigration musulmane et grâce à des politiques natalistes, à l'octroi de la citoyenneté à des Hongrois ethniques vivant en dehors de la Hongrie et à l'attraction d'immigrés issus de l'Union européenne.
L'analyste bulgare Ivan Krastev observe que « même si Orbán dirige un petit pays, le mouvement qu'il représente est d'une importance globale. » Bien qu'une étude sur différents pays la classe au 73ème rang sur 80, la Hongrie acquiert à l'échelle européenne une position centrale inédite et Orbán est en train de devenir le dirigeant le plus important du continent.