[la présente critique est celle de l'édition américaine : John V. Tolan, Faces of Muhammad Western Perceptions of the Prophet of Islam from the Middle Ages to Today, Princeton & Oxford: Princeton University Press, 2019. 309 pp. $29.95]
Affirmant que « Muhammad se trouve depuis toujours au cœur des discours européens sur l'islam », Tolan constate que « Muhammad occupe une place aussi ambivalente qu'essentielle dans l'imaginaire européen : en tant qu'incarnation de l'islam, il a tour à tour engendré la peur, la répulsion, la fascination ou l'admiration. » En effet, les opinions à son sujet sont « tout sauf monolithiques », allant de la vision satanique à l'opinion la plus positive.
Sur neuf chapitres, Tolan passe en revue divers exemples de ce phénomène sur une période de 800 ans, depuis les récits de Croisés jusqu'aux savants du XXe siècle tels que Louis Massignon et W. Montgomery Watt. Professeur d'histoire à l'Université de Nantes en France, Tolan n'essaie pas d'esquisser un récit complet mais propose des études de cas distinctes, certaines thématiques (Mahomet, idole ou imposture), d'autres géographiques (Espagne, Angleterre) et d'autres encore aux perspectives variées (les Lumières, le judaïsme).
Auteur de nombreux autres livres sur le thème des réactions européennes face à l'islam (il considère en effet cette étude comme étant « le fruit d'une carrière »), Tolan guide le lecteur avec adresse et élégance à travers une série d'exemples perspicaces afin d'étayer la thèse selon laquelle les opinions sur Mahomet sont « tout sauf monolithiques ». L'un des meilleurs exemples est donné par le passage extraordinaire écrit en 1856 par Heinrich Graetz dans son Histoire des Juifs en 11 volumes : Si Mahomet n'était « pas un fils loyal du judaïsme, ... il en appréciait les buts les plus élevés, et, par ce dernier, fut amené à donner au monde une nouvelle religion, connue sous le nom d'Islam et fondée sur une base noble. Cette religion exerça une influence prodigieuse sur l'histoire juive et sur l'évolution du judaïsme » [passage absent de la version française, parue en 1888, NdT].
Cela dit, l'ouvrage pèche par l'absence de lien cohérent entre tous ces cas. On ne sait pas dans quelle mesure les textes cités en exemple par Tolan sont représentatifs ou significatifs. Ainsi, Massignon et Watt incarnent sans conteste ceux qui, au sein du courant de l'érudition chrétienne, « tentèrent de concilier leur foi chrétienne avec la reconnaissance de la nature positive et spirituelle de la mission de Mahomet », mais on ignore dans quelle mesure ils peuvent rivaliser en importance avec tous ces autres savants chrétiens qui ont rejeté l'idée d'une telle conciliation. Pas un mot non plus sur les relations entre ces différentes écoles et sur l'importance des unes et des autres. Après tout, pourquoi discuter seulement des unes et pas des autres ?