Le 5 mars dernier, Daniel Pipes, Gregg Roman et Michael Rubin – respectivement président, directeur et directeur de l'analyse politique du Middle East Forum – ont participé à une table ronde organisée par la Jewish Republican Alliance (JRA) intitulée « Le nouvel axe du mal : Iran, Turquie et Qatar » et au cours de laquelle chacun des trois intervenants s'est exprimé sur l'un des trois gouvernements hostiles du Moyen-Orient.
Dans son introduction à la discussion, Bruce Karasik, cofondateur de la JRA, a déclaré : « Dans un monde où la dissuasion demeure un objectif central, les spécialistes du Middle East Forum ont fourni des analyses et des recommandations inédites. Leur travail souligne la nécessité impérieuse d'une action claire et décisive pour contrecarrer l'agressivité de ces États qui met à l'épreuve les principes de paix et de sécurité qui nous sont chers. »
Iran
D'emblée, Rubin a déclaré : « Pour résumer, en ce qui concerne l'Iran, le statu quo n'est pas tenable ». L'Iran est « à l'offensive » dans toute la région et « semble à quelques tours de vis de la mise au point de l'arme nucléaire ».
À Washington, nombreux sont ceux qui négligent le danger que constitue l'Iran dans sa course à l'obtention, sans parler de l'utilisation, de l'arme nucléaire et répètent tous en chœur que « l'Iran n'est pas suicidaire ». Le caractère suicidaire du régime des mollahs qui en réprimant brutalement les manifestations de masse « a perdu sa légitimité aux yeux de son peuple », n'est pas ce qui inquiète Rubin mais plutôt le fait que ce régime soit potentiellement « en phase terminale ». Si son effondrement devenait inévitable, « la dissuasion passerait par-dessus bord », a-t-il expliqué, et ferait du sauve-qui-peut des puristes idéologiques du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) un réel danger.
Même si le régime parvient à étouffer la révolte de ses sujets, Rubin envisage une période d'incertitude et d'instabilité pour l'Iran en raison du départ imminent du guide suprême Ali Khamenei, un homme de 85 ans partiellement paralysé qui a surmonté deux cancers. Lorsqu'Oussama ben Laden a été tué et qu'Ayman al-Zawahiri a été proclamé comme son successeur à la tête d'Al-Qaïda, « d'autres prétendants au pouvoir ont rivalisé pour tenter de faire couler le plus de sang possible, de parrainer les attaques terroristes les plus spectaculaires ». En Iran, une dynamique similaire pourrait embraser le Moyen-Orient. Rubin a souligné que Washington ne doit pas rester en retrait à l'heure où les Iraniens sont face à leur destin. « La prochaine administration – démocrate ou républicaine – est-elle prête à tenter de donner du pouvoir aux Iraniens ordinaires qui voudraient se débarrasser du joug de la dictature sous laquelle ils vivent depuis 45 ans ? Sont-ils prêts à essayer de marginaliser le Corps des Gardiens de la Révolution islamique ? »
Rubin a battu en brèche l'hypothèse communément admise selon laquelle des frappes aériennes américaines pourraient mettre un terme à la menace nucléaire iranienne. Les frappes aériennes ne peuvent que « retarder » la progression de l'Iran vers l'acquisition de la bombe et ce, moyennant « un coût important ».
Dès lors se pose pour Rubin la question suivante : « Comment allons-nous mettre ce sursis à profit en vue de résoudre le problème que constitue le régime iranien ? Le recours aux avions à réaction et aux pilotes américains en vue d'un simple report de décision... et ce, au prix d'énormes sacrifices en sang et en argent... serait irresponsable ».
Qatar
Gregg Roman a évoqué ce qu'il appelle le « vieux two-step qatari », à savoir, les efforts menés par l'émirat en vue de se positionner à la fois comme « un allié indispensable » de l'Amérique et comme un des principaux soutiens du terrorisme.
À l'instar d'autres États arabes du Golfe, le Qatar fournit aux États-Unis des installations militaires (base aérienne d'Al Udeid, à l'extérieur de Doha), achète des produits d'exportation militaires américains et dépense des milliards de dollars en investissements dans des entreprises américaines. Contrairement à ses voisins, le Qatar a soutenu et financé avec enthousiasme les islamistes extrémistes dans toute la région. En plus de financer le Hamas et d'offrir un refuge doré à ses principaux dirigeants, le Qatar a accueilli pendant de nombreuses années le défunt chef spirituel des Frères musulmans, Youssouf al-Qaradawi. L'émirat a également fermé les yeux sur la collecte de fonds de l'EI et soutenu les forces islamistes antidémocratiques dans les guerres civiles syrienne et libyenne.
Le Qatar a dépassé les limites avec l'attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas contre Israël, au cours de laquelle 32 citoyens américains ont été tués (et au moins cinq pris en otages). Roman appelle à opposer au Qatar une réaction en quatre temps.
Premièrement, il faut révéler au grand jour les efforts de lobbying politique menés par le Qatar et dénoncer leurs destinataires. « Si un homme politique américain, qu'il soit républicain ou démocrate, entretient des relations avec les Qataris, il doit en assumer la responsabilité. »
Deuxièmement, le Qatar, qui est devenu le plus grand donateur étranger des universités américaines, doit être « éjecté des campus universitaires américains ».
Troisièmement, la présence médiatique tentaculaire du Qatar aux États-Unis doit être contrôlée et jugulée. Al Jazeera possède plus de journalistes accrédités au Capitole que tout autre organe médiatique, ce qui permet de penser que leur rôle n'a pas grand-chose à voir avec le journalisme. La plupart d'entre eux devraient être révoqués, a déclaré Roman. « La propagande du Hamas ne devrait pas pouvoir opérer au cœur de la démocratie américaine. »
Quatrièmement, le Qatar sera certainement confronté à d'importantes « actions civiles intentées par les victimes américaines du Hamas et du terrorisme financé par le Qatar ». Le large éventail d'actifs qataris à la portée du système financier américain « devrait être en alerte », a déclaré Roman, « car je peux vous assurer que les avocats de victimes du terrorisme du Hamas viendront les chercher ».
Turquie
Daniel Pipes observe que « si l'Iran est un ennemi évident et que le Qatar en est un pas aussi évident, la Turquie apparaît comme un ami. C'est un allié formel – un allié de l'OTAN. Si quelque chose arrive à la Turquie, nous devons prendre sa défense, et vice versa. »
Pendant un demi-siècle, entre 1952 et 2002, lorsque les disciples nationalistes de Kemal Atatürk étaient au pouvoir à Ankara, la Turquie était en effet une amie et une alliée. « La politique américaine envers la Turquie était simple... les États-Unis menaient et les Turcs suivaient. » Or, « la corruption et l'incompétence » ont fait tomber l'establishment politique kémaliste et conduit en 2002 à l'élection de l'islamiste Recep Tayyip Erdoğan au poste de Premier ministre (et plus tard à celui de président, après que des changements constitutionnels ont renforcé cette fonction). Avec prudence au début, puis plus récemment avec une rapidité vertigineuse, Erdoğan a constamment orienté la politique étrangère turque contre les intérêts américains. Aujourd'hui, la Turquie n'est un allié que de nom et, comme le Qatar, elle soutient activement les islamistes anti-américains dans toute la région.
Les administrations américaines successives ont fermé les yeux sur cette situation, estimant que « le bon vieux temps peut revenir, qu'il suffise d'attendre la fin d'Erdoğan [et] les choses iront bien », a déclaré Pipes. Mais les décideurs politiques américains n'ont pas compris qu'en 21 années de règne d'Erdoğan, la Turquie est devenue un « autre pays » :
C'est une dictature. C'est vrai, il y a des élections, mais dans quelques jours il y aura aussi des élections en Russie. Les élections ne veulent pas dire grand-chose. C'est une dictature. Erdoğan a consolidé son pouvoir au sein des institutions turques – l'armée, les services de renseignement, la police, la justice, les banques, les médias, les commissions électorales, les mosquées et le système éducatif. Il dispose d'un service de sécurité privé appelé Sadate, qui est en quelque sorte son armée personnelle. Les universitaires et toute personne participant à des manifestations sont accusés de terrorisme et jetés en prison. Alors que sa popularité a diminué... au cours des sept, huit dernières années,... les fraudes électorales, le contrôle sur les médias et les idiots qui attaquent les bureaux de partis rivaux, entre autres choses, ont augmenté.
Contrairement à l'Iran, où la population est devenue davantage pro-américaine sous des décennies de régime islamiste et où les opposants politiques au régime sont invariablement favorables aux États-Unis,
Les Turcs sont devenus anti-américains. Quand [Erdoğan] est arrivé au pouvoir, plus de la moitié des Turcs étaient pro-américains. Désormais, ils sont peut-être un sixième et ce chiffre continue de baisser. L'anti-américanisme est omniprésent dans la politique, les médias, les films, les manuels scolaires, etc. Pire encore, les nationalistes et les gauchistes sont encore plus anti-américains que les islamistes, ce qui fait que le pays est devenu très hostile.
En conclusion, Pipes aura prévenu : « Il n'y a aucune chance pour que la Turquie revienne aux relations amicales qui existaient avant 2003 tant qu'il n'y aura pas un changement fondamental de gouvernement ». En attendant, nous devons « accepter le fait qu'Ankara soit hostile, sans nous faire d'illusions. Cela nécessite un grand changement dans notre attitude. La Turquie n'est pas notre amie, elle n'est pas notre alliée. C'est un État voyou et hostile ».
Les organisateurs et les intervenants ainsi que le technicien. |