Propos recueillis par Marcello Iannarelli
World Geostrategic Insights : Dans un article de la National Review du 12 avril 2013, « The Case for Supporting Assad », vous avez déclaré que « lorsque les ennemis de l'Occident sont en conflit, il est dans notre intérêt d'aider le camp perdant ». À propos de la Syrie, vous avez ajouté : « Il est vrai que la survie d'Assad profite à Téhéran qui est le régime le plus dangereux de la région. Toutefois, une victoire des rebelles renforcerait considérablement le gouvernement turc de plus en plus voyou, tout en renforçant les djihadistes et en remplaçant le gouvernement Assad par des islamistes triomphants et enflammés. » Douze ans plus tard, maintenez-vous ce constat ?
Daniel Pipes : Oui – et merci d'avoir rappelé cette citation. Une idéologie morte, une économie exsangue et une guerre civile perpétuelle signifiaient que le régime d'Assad, pitoyable et à bout de souffle, représentait un danger limité pour les intérêts occidentaux. Nous ne savons pas comment le gouvernement de transition syrien de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) dirigé par Ahmed al-Charaa se comportera. Cependant, deux facteurs me rendent pessimiste : Charaa est un djihadiste issu d'Al-Qaïda et de l'EI et il travaille en étroite collaboration avec le régime dynamique, agressif et idéologique de la Turquie.
![]() Charaa (à gauche) et Erdoğan se tiennent la main à Istanbul, le 4 février 2025. |
DP : Bien que Recep Tayyip Erdoğan soit le dirigeant puissant et quasi dictatorial d'un grand pays depuis plus de vingt ans, la Turquie possède des institutions qui remontent à un siècle et que même lui ne peut feindre d'ignorer. Notons, par exemple, ses récentes défaites électorales dans les deux plus grandes villes du pays, Istanbul et Ankara. En revanche, au terme de la guerre civile de 2011-2024 qui a plongé la Syrie dans l'anarchie, Erdoğan a aidé son agent islamiste HTC à prendre le pouvoir et s'est ainsi créé l'occasion unique d'établir un État djihadiste sunnite. Prenons l'exemple le plus évident : Erdoğan peut appeler à la destruction d'Israël et aider son ennemi du Hamas mais il ne peut pas réellement recourir à la violence contre l'État juif alors que son agent syrien, lui, le peut.
WGI : Quelles sont vos attentes en termes de relations entre Israël et la Syrie ?
DP : Je vois de la part de Damas envers Israël une hostilité persistante qui est aujourd'hui plus marquée qu'au cours des décennies précédentes. Le régime d'Assad, celui du père Hafez (1970-2000) et du fils Bachar (2000-2024), était ancré dans la communauté alaouite. Toujours suspecté par les sunnites de ne pas être vraiment antisioniste, il compensait par son agressivité. Maintenant que les sunnites ont pris toutes les commandes, ils vont pouvoir exprimer pleinement leur antisionisme invétéré.
À court terme, Israël a, certes, bénéficié du renversement du régime d'Assad par HTC et de la réduction conséquente de la puissance iranienne au Liban. En outre, l'anarchie a permis aux forces israéliennes de détruire une grande partie de l'arsenal syrien et de créer des zones tampons dans le pays. À long terme, cependant, je prévois des problèmes majeurs à mesure que l'économie et l'armée syriennes se rétabliront.
WGI : À la mi-mai, le président Donald Trump a annoncé la levée des sanctions américaines contre la Syrie et a rencontré Charaa. Pouvez-vous donner votre avis sur ces mesures.
![]() Charaa serre la main de Trump sous le regard approbateur de Mohammed ben Salmane à Riyad, le 14 mai. |
DP : Voilà un autre exemple de la diplomatie peu orthodoxe de Trump. Il a pris cette mesure d'une part à la demande de ses amis du Moyen-Orient (Erdoğan, Mohammed ben Salmane, Mohamed ben Zayed) et d'autre part, pour contrecarrer la politique menée depuis des décennies par ses prédécesseurs qu'il méprise viscéralement. Étant donné que je vois le nouveau gouvernement syrien comme un outil djihadiste d'Ankara, le fait de lui accorder des avantages sans conditions me semble être une erreur.