Deux jours après le 10 août – date à laquelle les autorités britanniques ont mis fin à un complot présumé visant à faire sauter plusieurs avions au-dessus de l'Atlantique –, l'establishment musulman «modéré» de Grande-Bretagne publia une lettre ouverte agressive au premier ministre Tony Blair.
Celle-ci suggérait que Blair lutterait mieux contre le terrorisme en reconnaissant que la politique du gouvernement britannique actuel donne en fait «des munitions aux extrémistes», notamment à cause de la «débâcle d'Irak». Les auteurs de la lettre exigeaient qu'il modifie sa politique étrangère afin d'«améliorer notre sécurité à tous». L'un des signataires d'envergure, le député du Labour Sadiq Khan, ajouta que les réticences de Blair à critiquer Israël faisaient croître le groupe de gens auprès desquels les terroristes peuvent trouver des recrues.
En d'autres termes, les islamistes travaillant au sein du système exploitèrent le complot terroriste islamiste pour faire pression sur le gouvernement britannique afin qu'il réalise leur souhait commun et fasse machine arrière au Moyen-Orient. Des islamistes légaux tiraient ainsi honteusement parti de milliers de victimes potentielles pour soutenir leur programme politique.
En dépit de certaines craintes d'agitations parmi les Musulmans, le gouvernement Blair rejeta sèchement la proposition. La secrétaire aux Affaires étrangères Margaret Beckett la qualifia de «plus grave erreur possible». Le ministre des Affaires étrangères Kim Howells la trouva «facile». Le secrétaire de l'Intérieur John Reid considéra comme une «effrayante erreur de jugement [de penser que la] politique étrangère de ce pays devrait être forgée, partiellement ou totalement, en fonction de la menace d'activités terroristes». Le secrétaire des Transports Douglas Alexander jugea la lettre «dangereuse et imprudente».
Loin de laisser décourager, l'establishment musulman «modéré» insista davantage encore sur le front intérieur. Le 14 août, lors d'une réunion avec de hauts représentants du gouvernement, y compris l'adjoint du premier ministre, ses membres émirent deux nouvelles exigences: que deux fêtes religieuses islamiques deviennent des jours fériés officiels et que les lois islamiques relatives au mariage et à la vie familiale soient appliquées au Royaume-Uni. En outre, un Musulman présent à cette réunion mit plus tard le gouvernement en garde contre toute intention de profiler les passagers aériens, affirmant que cette mesure aurait pour effet de radicaliser encore davantage les jeunes Musulmans.
Pourquoi ces ultimatums et pourquoi à ce moment précis? Selon le Daily Mail, le dirigeant de la délégation musulmane du 14 août, Syed Aziz Pasha, expliqua ainsi la logique de son groupe: «Nous avons dit [aux politiciens:] si vous nous donnez des droits religieux, nous serons en meilleure position pour convaincre les jeunes gens qu'ils sont traités de la même manière que les autres citoyens.» Se faisant plus inquiétant encore, Pasha menaça les leaders du gouvernement: «Nous sommes disposés à collaborer, mais il doit s'agir d'un partenariat. Il faut qu'ils comprennent nos problèmes, alors nous comprendrons les leurs.»
La presse réagit avec colère à ces exigences: Polly Toynbee, du Guardian, condamna la lettre ouverte comme étant «périlleusement proche de suggérer que le gouvernement se mette aux ordres». Sue Carroll, du Daily Mirror, qualifia la démarche de Pasha de «dangereusement proche du chantage».
Ce n'était pas la première tentative de jiu-jitsu des leaders musulmans «modérés» britanniques, tentant ainsi de transformer la violence islamiste en un coup politique. Le même mécanisme, quoiqu'en moins agressif, a été mis en uvre au lendemain des attentats à la bombe de juillet 2005 à Londres, lorsqu'ils profitèrent de la mort de 52 innocents pour exiger que les troupes britanniques se retirent d'Irak.
Et cette pression a eu un effet majeur, de deux manières. D'abord, le Ministère de l'Intérieur publia à la suite de cela un rapport produit par des Musulmans «modérés», «Preventing Extremism Together» (prévenir l'extrémisme ensemble) qui acceptait formellement cette politique d'apaisement. Dean Godson, de Policy Exchange, résuma ce document en disant que le terrorisme islamique «a fourni à ces modérés une occasion inespérée et splendide d'exiger plus de pouvoir et d'argent de la part de l'État».
Deuxièmement, 72% des sujets britanniques acceptent à présent l'opinion islamiste selon laquelle «le soutien de Blair aux actions en Irak et en Afghanistan a fait de la Grande-Bretagne une cible plus intéressante pour les terroristes, alors qu'un seul malheureux pour cent d'entre eux pensent que sa politique a amélioré la sécurité dans le pays. Le public soutient donc fermement les islamistes et non le premier ministre.
J'ai affirmé par le passé que le terrorisme entrave généralement le progrès de l'Islam radical en Occident en éveillant l'hostilité envers les Musulmans et en intensifiant la surveillance des organisations islamiques. Mais je dois admettre que la tournure des événements en Grande-Bretagne – où les actes de terrorisme du 7 juillet 2005 inspirèrent davantage d'autocritiques que de fureur contre le djihad – semble indiquer que la violence peut aussi renforcer l'islamisme légal.
Et je vais reconsidérer un autre point aussi: si je maintiens que la question de l'avenir de l'Europe – qui peut soit préserver son identité chrétienne historique, soit devenir une annexe de l'Afrique du Nord musulmane – reste ouverte, le comportement du public britannique, ce maillon faible de la chaîne occidentale, indique que lui, au moins, pourrait bien être trop désorienté pour résister au destin de son Londonistan.