Un simple coup d'œil rapide à l'histoire des peuples musulmans montre le rôle extraordinaire joué par des esclaves d'origine dans les forces armées. Ils servaient comme soldats et officiers, ensuite ils exerçaient souvent des rôles de premier plan dans l'administration, la police et toutes les facettes des affaires publiques.
Comme ce congrès l'explique, les esclaves ont été utilisés comme soldats dans de nombreux endroits dans le monde ; mais je vais soutenir qu'il y avait quelque chose d'unique dans leur utilisation dans les pays musulmans. Parmi les musulmans, cet usage des esclaves acquit un caractère systématique qui permettait aux esclaves d'exercer des fonctions militaires capitales et de monter dans la hiérarchie de l'Etat, parfois même en la contrôlant. Je crois que l'usage systématique d'esclaves comme soldats a constitué l'aspect le plus remarqué de la vie publique musulmane dans les temps pré-modernes.
Pour commencer, un peu de terminologie. Le mot « esclave » utilisé ici, veut dire « une personne d'origine esclave » sans tenir compte de sa condition postérieure. Le terme n'indique pas si postérieurement il est libre de droit, de fait, ou les deux choses. Cet usage spécial correspond à l'usage du mot « esclave » dans les langues vernaculaires musulmanes.Un soldat esclave est une personne d'origine esclave qui est acquise de manière systématique, ensuite entraînée et employée comme soldat. Ce terme ne s'applique pas à tous les esclaves qui luttent dans la guerre, mais seulement à ceux dont la vie tourne autour du service militaire. Le soldat esclave maintient cette application, même quand il atteint la liberté légale ou réelle. L'esclavage militaire est le système qui acquiert, prépare et emploie des esclaves soldats.
Dans l'histoire
Durant tout un millénaire, depuis les débuts du IXè siècle jusqu'au début du XIX è les musulmans régulièrement et expressément employèrent des esclaves comme soldats. Cela se produisit pour presque tout le monde musulman, de l'Afrique Centrale à l'Asie Centrale, de l'Espagne au Bengale, et peut-être plus au-delà. Peu de dynasties dans cette longue période et dans cette vaste aire n'eurent pas d'esclaves militaires.
Les dynasties
Précisément par son importance et sa grande extension, l'esclavage militaire dans le monde musulman défie la description brève ; les esclaves occupèrent trop de charges, servirent en trop de fonctions. Pour cela, la documentation complète de sa répercussion et de ses activités ne peut être présentée ici, seulement quelques indications de sa distribution. Quelques exemples choisis démontrent l'importance, la diffusion et la fréquence de l'esclavage militaire.
Les premières dynasties du monde musulman dépendent presque toutes des esclaves militaires. Ce sont les gouvernements qui gouvernaient dans les aires les plus vastes mais ils perdurèrent et eurent le plus d'influence dans le déroulement des institutions musulmanes. J'ai choisi 17 dynasties principales ; de ces dynasties, toutes sauf une dépendaient des esclaves militaires. L'exception, la dynastie omeyyade, fut antérieure à l'existence d'un système d'esclavage militaire. Cependant, elle utilisa les non-libres d'une manière qui annonçait l'esclavage militaire.
Ensuite, une brève caractérisation des esclaves militaires dans ces dynasties :
Les Omeyyades (661-750). Le gouvernement omeyyade installé à Damas, dépendait des mawlas (mawalis),mawâlis hommes non libres qui ressemblaient aux soldats esclaves ; l'institution de l'esclavage militaire n'existait pas avant le IXè siècle, mais les Omeyyades allèrent le plus loin qu'ils purent dans la voie d'utiliser la même sorte de soldats.
Les Abbassides (749-1258). Les esclaves militaires dominèrent l'armée et le gouvernement abbasside de Bagdad au milieu du IX è siècle. Ensuite, bien après, quand les Abbassides ressurgirent au XIII è siècle, les esclaves jouèrent de nouveau un rôle militaire de premier ordre.
Les Omeyyades d'Espagne (756-1031). Les Omeyyades d'Espagne aussi élaborèrent un système d'esclaves au commencement du IXè siècle.Les esclaves jouèrent un grand rôle durant l'existence de la dynastie. A sa dissolution en 1031 émergèrent quelques dynasties avec des gouvernants d'origine esclave.
Les Bouyides (932-1062) Quoique les soldats d'origine tribale des monts Daylami d'Iran les eussent porté au pouvoir, les Bouyides rapidement recrutèrent des soldats esclaves turcs. Ce changement marqua aussi un changement de la guerre d'infanterie à celle de la cavalerie.
Les Fatimides (909-1171). Comme les Bouyides, d'une armée tribale initiale, les Fatimides ( originairement de Tunis, ensuite du Caire) dépendirent rapidement des esclaves militaires, bien qu'ils employassent des esclaves d'origines diverses, comme turcs, berbères, noirs et slaves.
Les Ghaznavides (977-1186). Fondée par un esclave soldat qui se sépara des Samanides, les Ghaznavides de l'Iran oriental recoururent aux esclaves pour leurs armées premièrement d'Asie centrale, en second lieu d'Inde.
Les Seldjoukides (1038-1194). Les Seldjoukides établirent la dynastie la plus influente sur les institutions musulmanes. Ils arrivèrent au pouvoir comme leaders de tribus de guerriers de steppes mais rapidement, en Iran, ils firent un usage abondant d'esclaves militaires. A l'époque de la chute des Seldjoukides, les esclaves avaient quasiment pris le contrôle de la dynastie.
Les Almoravides (1056-1147). La première dynastie importante basée en Afrique du Nord, les Almoravides commencèrent comme un mouvement religieux mais graduellement ils arrivèrent à dépendre modérément des esclaves pour leurs armées.
Les Almohades (1130-1269). Ils furent semblables aux Almoravides comme provenance, origines religieuses et usage modéré des esclaves militaires.
Les Ayyoubides (1171-1250) en Egypte : jusqu'à une époque postérieure dans le reste du Levant). Commençant avec les troupes kurdes et turques libres, les Ayyubides arrivèrent à dépendre amplement des esclaves militaires d'Asie centrale. Les fournitures depuis là-bas furent augmentées considérablement pour le désordre occasionné par les invasions mongoles ; La dynastie ayyoubide prit fin quand ses esclaves militaires usurpèrent le trône.
Le sultanat de Delhi (1206-1555). Le sultanat de Delhi fut en réalité six dynasties différentes, toutes firent usage des esclaves militaires. La première, les Mu'izzis fut fondée par un soldat esclave qui se sépara de ses maîtres Ghourides . Quelques mu'izzis postérieurs et autres gouvernants furent aussi d'origine esclave et les esclaves jouèrent un rôle militaire toujours important.
Les Hafsides (1228-1574). Les gouvernants hafsides de Tunis employèrent une garde noire africaine d'esclaves, mais il n'est pas clair si les Turcs qu'ils employèrent arrivèrent comme hommes libres ou comme esclaves. En tout cas, les esclaves militaires jouèrent seulement un rôle secondaire.
Les Mamelouks (1250-1517). La dynastie militaire esclave par excellence ; presque tous les soldats non seulement commencèrent leur carrière comme esclaves, mais ils formèrent le gouvernement du Caire et passèrent le gouvernement à d'autres esclaves. Les Mamelouks maintinrent une oligarchie esclave qui se perpétua durant des siècles, recrutant principalement en Asie centrale et dans la région de la Mer noire.
Les Ottomans (1281-1924). Jointe aux Mamelouks, cette dynastie établie à Istanbul eut le système d'esclavage militaire le mieux connu. Les soldats esclaves furent introduits au XIV è siècle et leurs derniers vestiges furent abolis en 1826 ; En plus de fournir à l'armée des soldats d'infanterie ( les janissaires), les esclaves exercèrent beaucoup de tâches de l'administration centrale.
Les Safavides (1501-1732). Les esclaves compensèrent les troupes tribales qui avaient porté les Safavides au pouvoir en Iran. Les esclaves provenaient principalement de la région du Caucase et cela dura jusqu'à la fin de la dynastie ;
Les Chérifs du Maroc (Saadiens et Alaouides 1511- ). L'usage saadien d'esclaves dans l'armée continue à être secondaire , mais les Alaouides dépendirent beaucoup d'eux, spécialement au 18 ème siècle. Les esclaves étaient des nègres africains.
Les Mongols (1566-1858). Tandis que le gouvernement central de Delhi utilisait des esclaves comme soldats seulement de façon sporadique, d'autres les recrutaient largement. Le gouvernement central trouve des soldats en de nombreux lieux , normalement libres.
En résumé, toutes les dynasties musulmanes les plus influentes ont dépendu militairement d'esclaves. Dans beaucoup ; ces soldats jouèrent des rôles importants. Le rôle visible et prédominant des esclaves militaires dans les principales dynasties met en évidence leur grande importance militaire et politique. Observant plus au-delà de ces dynasties clef, il est évident que les esclaves militaires combattirent dans tout le monde musulman. Peut-être 4/5 de toutes les dynasties musulmanes les utilisèrent régulièrement. Quelques cas des extrêmes du monde musulman ( particulièrement les aires non représentées par les principales dynasties énumérées) peuvent aider à l'illustrer :
Les dynasties musulmanes africaines subsahariennes probablement firent le plus grand usage de soldats esclaves, un fait que reflète la place spécialement importante des esclaves dans leur économie et vie sociale. Les esclaves exerçaient des rôles politique et militaire de premier plan dans beaucoup de dynasties. Quelques-unes des mieux étudiées sont le Darfour, les Mahdiya soudanais, Bornu, les émirats fulani et les Ton-Dyon.
L'esclavage militaire existait dans la majeure partie de la péninsule arabique, mais surtout dans la région d'institutions politiques plus développées- le Yémen.
Par exemple, une dynastie du XI è siècle, les Najahides, surgit d'un corps d'esclaves militaires. Un des derniers incidents de la milice esclave apparut à la Mecque au commencement du XXème siècle.
En Inde, les esclaves soldats du nord provenaient d'Asie centrale, tandis que ceux du Sud et de l'Est provenaient d'Afrique. Par exemple, Malik Ambar, qui gouverna une partie importante du Deccan entre 1601 et 1626, fut un esclave d'origine africaine. Il n'est pas clair si l'esclavage militaire en sa forme avait fini d'exister à l'est du Bengale mais cela paraît probable.
Le cas égyptien. La concentration de l'usage des soldats esclaves dans une seule région ou période de temps peut exprimer l'intensité de son usage. Tandis que n'importe quelle aire du monde musulman pourrait servir, l'Egypte a le double avantage d'être facile à observer et d'être bien étudiée.
La première expédition à grande échelle de soldats esclaves dans l'histoire a été probablement celle de al-Mu'tasim en 828, consistant dans les 4000 Turcs envoyés en Egypte durant deux années. Comme les soldats esclaves arrivèrent à former une grande partie de l'armée abbasside dans les décennies suivantes, ils acquirent un rôle majeur en Egypte aussi, culminant en 868, quand le fils d'un soldat esclave turc, Ahmad b. Tulun, arriva à être gouverneur de la province et ensuite dirigeant indépendant, qui dépendait en grande partie d'une force armée composée d'esclaves. A l'époque où les Abbassides récupérèrent le contrôle du pays en 905, les esclaves militaires eurent un rôle de premier plan dans la structure militaire. Sous la dynastie suivante, les Ikhchidides, « beaucoup d'esclaves libérés portaient des armes et entrèrent dans l'organisation militaire, quelques-uns d'entre eux atteignant des charges élevées ». Kefir, un eunuque esclave noir avec expérience militaire, assuma le gouvernement ikhshidide en 946 ( se convertissant en son chef militaire en 966) et il gouverna jusqu'à la conquête fatimide d'Egypte en 969.
Avec l'arrivée du gouvernement fatimide, les soldats esclaves acquirent une nouvelle importance ; peut-être de façon caractéristique les soldats de diverse provenance luttèrent sous l'égide chiite, ce qui produisit un désordre constant dans les forces armées. Depuis l'époque où les Ayyoubides dominèrent en 1169, prédominèrent les esclaves de provenance du centre asiatique. Depuis leur maîtrise de l'armée et du gouvernement augmenta, jusqu'à ce que, en 1250 ils assument le pouvoir , aussi, le conservant au-delà de deux siècles et demi. Même après la conquête ottomane en 1517, les soldats esclaves et leurs descendants continuèrent à dominer la politique égyptienne. Ils perdirent face à Napoléon en 1798 et furent anéantis par Mehemet Ali en 1811, qui termina avec sa domination sur la vie publique égyptienne. Quelques-uns de ces descendants appelés turcs-égyptiens, conservèrent des charges importantes jusqu'au renversement du roi Farouk par Gamal Abdel Nasser en 1952.
Le système. Existait-il un système ? Nous connaissons beaucoup de faits sur les esclaves militaires mais presque rien sur l'esclavage militaire. Quoique les soldats esclaves apparurent dans presque toutes les dynasties musulmanes pré-modernes de l'Espagne jusqu'au Bengale, on sait qu'il existait un système qui les employait seulement en de rares occasions. Ce curieux état de la connaissance reflète l'information contenue dans les sources contemporaines. Quoique très conscients des esclaves soldats comme individus, les écrivains ne semblent pas se rendre compte qu'un système faisait fonctionner l'esclavage militaire. Dans le substantiel et varié débit de littérature musulmane pré-moderne, seule une poignée d'écrivains – surtout Nizam al-Mulk et Ibn Khaldun- se rendirent compte de ce système et le décrivirent.
Malgré l'ignorance des contemporains il exista un système pour acquérir – et utiliser les soldats esclaves ; de pénibles reconstructions ont établi ce système à partir de témoignages dispersés par des dynasties variées, très significatives pour quelques-unes du XIII è siècle et après. Les organisations des Mamelouks et des Ottomans sontn avec des différences, les mieux connues mais nous avons aussi une certaine connaissance des systèmes des autres régions du monde musulman. Pour différente en détail que l'une soit de l'autre, une lecture comparative montre que toutes partagent ces traits essentiels : acquisition systématique, formation organisée et emploi de soldats comme soldats professionnels.
En résumé, le système fonctionnait ainsi : né comme non musulman dans une région hors du contrôle musulman, le soldat esclave était acquis par une figure musulmane dirigeante, étant suffisamment majeur pour être formé mais encore assez jeune pour être modelé. Emporté comme esclave vers un pays musulman, il se convertissait à l'islam et participait à un programme d'entraînement militaire, sortant cinq à huit années après comme soldat adulte. S'il avait des aptitudes spéciales, il pouvait gravir à quelque grade dans l'armée ou (parfois) dans le gouvernement ; tandis que la majeure partie des esclaves soldats passaient leur vie adulte dans l'exercice du gouvernement ; ils n'étaient pas seulement soldats mais un élément clef de l'élite gouvernante dans la majeure partie des dynasties
La cécité des contemporains sur le système d'esclavage militaire constitue la première difficulté à laquelle est confronté un historien moderne qui désire l'étudier. Mais quoique rien ne puisse remédier aux déficiences des sources, une investigation étendue et une hypothèse prudente peuvent rendre à la vie cette institution. L'information sur l'esclavage militaire avant avant le XIII è siècle est rare. David Ayalon, la principale autorité sur cette institution, se donne pour vaincue avec cette époque : « Notre information est très limitée en ce qui concerne le système mamelouk depuis son origine à 1250. Il est improbable que les sources que nous devrions connaître puissent être utilisées pour illuminer suffisamment cette longue période. » Mes investigations sur les deux premiers siècles islamiques confirment la conclusion de Ayalon : les sources ne nous offrent pas assez de preuves ni pour supposer l'existence d'un système, beaucoup moins pour le reconstruire.
Supposés- Pour étudier le système, par conséquent, commençons par postuler son existence ; les deux suppositions suivantes peuvent servir de base pour le faire :
1. Quand les soldats d'origine esclave arrivent à être une force militaire dominante, il doit exister un système pour les acquérir, les former et les employer. Les esclaves peuvent exercer des fonctions de soutien, d'auxiliaire ou d'émergence pour une armée de manière non organisée , mais pour se convertir en un pouvoir indépendant important ils doivent être utilisés systématiquement. Cela n'est pas une théorie mais une déduction ; les esclaves arrivèrent à un pouvoir prédominant dans beaucoup de dynasties musulmanes pour lesquelles nous avons à peine une indication de système. Cependant cette hypothèse reçoit une certaine confirmation dans une étude comparative des systèmes esclavagistes. En particulier, deux faits l'appuient : quand on sait qu'il existe un programme de formation, les esclaves atteignent souvent une grande importance ( par exemple, les Abbassides avec Al-Mu'tadid, les Seldjoukides, les Mamelouks, Tunis avec les Beys et le Darfour) ; en dehors du monde musulman, où on ne sait pas qu'il existe un système, les esclaves n'acquirent jamais une telle prépondérance.
2. Il doit exister un système d'esclavage militaire au moins trente ans avant que les esclaves soldats réclament le pouvoir. Trente ans marquent la durée approximative entre la préparation des esclaves dans une société ( autour de quinze ans) et leur accès à la prépondérance (autour de 45 ans). Aussi il pourrait falloir aux esclaves beaucoup plus de temps pour arriver au pouvoir , ou il se peut que jamais ils ne l'obtiennent, mais son progrès à un rôle important militaire et politique en moins de trente ans paraît très improbable.
En combinaison, ces deux supposés me permettent de postuler l'existence d'un système esclavagiste militaire au moins trente ans avant que les esclaves arrivent à dominer une dynastie. Par exemple les Ayyoubides perdirent le pouvoir en faveur de leurs esclaves soldats en 1250 ; ceci implique qu'un système existait au moins en 1220.
Le système lui-même. A partir du moment où un gouvernant ou autre notable décide d'acquérir des esclaves militaires, il prodigue un soin exceptionnel à la sélection des recrues. Plus précisément le futur propriétaire cherche deux qualités : la capacité militaire et la malléabilité. La préférence pour les jeunes d'origine noble et les prix élevés payés pour les recrues en circulation reflète l'intérêt du maître pour trouver les candidats les plus qualifiés comme esclaves militaires. Dans un cas bien connu on dit que al-Mansur Qala'un Al-Alfi, un sultan mamelouk (1280-1290) a reçu la dernière partie de son nom (alf « mille » en arabe) de son prix d'achat considérable, mille dinars. Les critères de sélection aussi déterminent les origines géographiques des esclaves militaires, parce qu'on sait que quelques régions produisent de meilleurs soldats que d'autres. Ainsi, tandis que les soldats indiens ne combattent pas souvent, les esclaves d'Asie centrale presque toujours le font.
Outre la qualité, un maître cherche la fidélité potentielle chez ses esclaves militaires. Un maître s'assure de liens solides en faisant l'acquisition d'esclaves, jeunes et étrangers. Les esclaves ordinaires peuvent être contraints de faire leur travail (y compris certaines tâches militaires), mais les esclaves militaires doivent être convaincus.
Etant donné que ces hommes presque toujours assument de grandes responsabilités et acquièrent une liberté considérable d'action, les liens personnels entre le maître et son esclave ont une grande importance. Les enfants étaient braucoup plus influençables que les adultes, le maître ne ménage aucun effort dans l'acquisition de jeunes recrues. Il accepte des jeunes de 17 ans mais il préfère ceux de 12 ans ; à cet âge ils sont prêts à être formés mais ils ont déjà l'expérience des arts martiaux de leurs propres peuples. Le versement de ces compétences à l'armée du maître constitue un des principaux avantages de l'esclavage militaire. Parmi les nombreuses qualités désirées chez un esclave militaire, la jeunesse est sans doute la plus importante. L'origine noble, le haut potentiel et être étranger tout cela aide, mais la jeunesse importe particulièrement parce que cette qualité à elle seule suffit pour assurer le succès de la prochaine étape, le programme de formation.
Un propriétaire d'esclaves recrute des étrangers parce que leur origine étrangère augmente leur susceptibilité à être moulé ; le propriétaire peut isoler un étranger en éliminant les liens en dehors de la famille immédiate et le forçant à dépendre entièrement du petit monde du maître et de ses compagnons esclaves. Pour compléter cet isolement, la majeure partie des esclaves soldats arrivent sur les lieux ignorant la langue du pays dans lequel ils vont servir.
Le statut particulier du soldat esclave devient de plus en plus marqué au cours de ses premières années dans la servitude. A l'arrivée dans son nouveau pays, il est confronté à un certain nombre d'expériences destinées à le préparer à une carrière militaire. De toute évidence, pour que l'esclave soit employé avec le maximum d'efficacité, il ne peut être inscrit directement dans l'armée mais il doit apprendre ses méthodes et établir de nouvelles fidélités. La période de transition sert à changer un jeune homme obstiné étranger en un soldat compétent et loyal. Ses capacités, sa jeunesse et l'isolement combinés à la rigueur du programme de travail de formation garantissent ce changement. Tandis que les esclaves ordinaires sont exploités pour leur travail, les esclaves militaires sont formés et instruits. Ces longues années de scolarité et de réorientation marquent encore davantage le contraste entre eux.
Le programme de formation est au cœur de l'esclavage militaire. Pour comprendre les succès de ces soldats, nous devons étudier leur formation, parce que cette expérience influe sur leur vie adulte. Tandis que les esclaves sans formation ont un travail et une loyauté douteuses, seulement aptes pour des fonctions militaires limitées, les esclaves formés occupent tout poste de qualification et de responsabilité. Le programme dure de 5 à 8 ans et a un double objectif : développer les compétences et inculquer la loyauté. Les compétences sont transmises à travers un programme intensif d'enseignement physique et mental, avec l'accent un peu plus mis sur le premier d'entre eux. A travers des jeux, des concours, des chasses et ainsi de suite, les recrues s'exercent continuellement dans les arts martiaux. Le résultat est un soldat magnifiquement formé et très discipliné. Maintenant , s'il est estimé comme intellectuellement prometteur, un esclave peut continuer à être éduqué et préparé pour le travail gouvernemental
La formation a aussi un autre objectif ; transformer l'identité de la personne recrutée. Il commence en étant un étranger païen avec une loyauté seulement à son propre peuple ; à la fin de la période de transition il est musulman, familiarisé avec les coutumes de son nouveau pays et intensément fidèle à son maître et compagnon d'esclavage. En conséquence, les soldats esclaves démontrent habituellement qu'ils sont les troupes les plus fidèles et loyales à leur maîtres.
Une fois la formation achevée, les esclaves militaires s'incorporent à l'armée. Non comme des troupes d'appui, auxiliaires ou d'urgence : ils s'inscrivent comme soldats professionnels à temps plein. Leur maître leur donne un soutien financier direct, pour ce qui n'a pas d'intérêts opposés qui puisse les distraire du service militaire. Les esclaves militaires remplisse des fonctions militaires clef et portent de lourds fardeaux ; ils servent toute l'année, forment des corps d'élite, offrent beaucoup d'officiers et montent rapidement dans la hiérarchie militaire..
Nous ne pouvons donner ici une liste complète de leurs activités ; en différentes circonstances, ils assument n'importe quelle tâche militaire imaginable.
Le rythme. Une nouvelle dynastie normalement ne dépend pas de soldats esclaves quand elle arrive au pouvoir ; normalement ils apparaissent deux ou trois générations après, quand un gouvernant cherche à remplacer les soldats indignes de confiance par d'autres provenant de nouvelles sources qu'il peut mieux contrôler. En règle générale, la tendance est celle-ci : les esclaves soldats en premier lieu servent le gouvernant comme gardes du corps royaux, ensuite ils changent pour d'autres de son entourage, et de là à l'armée, au gouvernement et même l'administration provinciale. A mesure que le gouvernant dépend des esclaves soldats, ils acquièrent des bases de pouvoir indépendant et parfois prennent les choses en mains propres, contrôlant le gouvernant et même usurpant son poste. Pas toujours cependant, dans de nombreux cas, lorsqu'ils sont employés prudemment, les esclaves soldats rendent un service compétent et fidèle à leurs maîtres durant de longues périodes de temps.
Les différences avec les autres esclaves.
Contrairement à tous les autres esclaves, l'esclave soldat consacre sa vie au service militaire. Ses traits caractéristiques dérivent du fait qu'il fonctionne comme un soldat ; depuis le temps où il est acquis jusqu'à sa retraite, il vit différemment des autres esclaves, parce qu'il participe à un système durable avec ses propres normes et fondements. En particulier, il diffère des deux autres classes. Les esclaves ordinaires qui de temps en temps combattent et les esclaves du gouvernement.
Les esclaves ordinaires dans la guerre. Les esclaves ordinaires sont tous ceux qui ne sont pas dans l'armée ou dans le gouvernement. Ils viennent à l'esprit quand on pense à l'esclavage sous sa forme habituelle : le service domestique ou le travail à quelque tâche productive économiquement. De tels esclaves à l'occasion combattent sporadiquement, mais ils sont tout à fait différents des esclaves militaires. Par souci de comparaison avec les esclaves ordinaires, la vie d'un soldat esclave peut être divisée en trois parties : acquisition, transition et emploi ; à chaque étape de sa vie, son modèle de vie diffère considérablement de la vie de l'esclave ordinaire.
Les différences commencent avec la propriété, parce que la possession d'un esclave soldat est beaucoup plus limitée que celle d'esclaves ordinaires. Tandis que même une personne pauvre peut posséder un esclave ordinaire, seules les figures politiques haut de gamme , le gouvernant, ses fonctionnaires, les leaders provinciaux- peuvent posséder des esclaves soldats , parce qu'ils représentent le pouvoir militaire. La majeure partie des esclaves soldats, de fait, appartiennent au gouvernant et au gouvernement central. Cette propriété exclusive signifie que les esclaves soldats respirent toujours un air raréfié et sont en compagnie des puissants.
En outre, si la décision d'acheter un esclave ordinaire ressortit à une simple question d'économie (Est-ce que le maître peut se permettre le luxe de services domestiques ou envisage t-il des activités économiques avec son esclave ?) ; l'acquisition d'un esclave soldat dépend de considérations d'ordre militaire, mais dépend aussi de la disponibilité d'esclaves jugés aptes pour ce genre de travail. Le maître exige de plus grandes capacités que celles requises des esclaves ordinaires, tandis que n'importe quel inadapté peut transporter de l'eau ou creuser le sol, un futur soldat doit assumer des responsabilités plus graves. En conséquence, le trafic des esclaves soldats a une dynamique et un rythme propres. Un maître cherche des esclaves ordinaires parmi de jeunes adultes, quand ils sont au sommet de leur productivité économique ; pour les esclaves militaires, il les préfère beaucoup plus jeunes, il peut alors les modeler.
Contrairement aux esclaves ordinaires, de manière habituelle ils deviennent le pilier de l'armée qu'ils servent. Et tandis que les esclaves ordinaires appartiennent à des particuliers, les esclaves soldats appartiennent aux dirigeants, pour cela les premiers ont tendance à se battre aux côtés de leurs maîtres, tandis que les seconds forment de grands corps et combattent en unités séparées d'esclaves.
En vertu de leur force militaire, les vies de ces hommes diffèrent notablement de celles des esclaves ordinaires. Loin d'être des humbles domestiques ou des travailleurs esclaves, ils jouissent du respect et du pouvoir des soldats. Quoiqu'esclaves, ils font partie de l'élite au pouvoir, ils portent des armes, ont accès au gouvernement, occupent des charges importantes et jouissent des bénéfices de la richesse et du pouvoir. En plus, ils jouissent de nombreux avantages que beaucoup d'hommes libres ne peuvent obtenir et, en conséquence, leur condition d'esclave ne comporte aucune stigmatisation. Au contraire, cela devient un signe de distinction ; l'esclavage, dans un extraordinaire retournement, donne accès au pouvoir et à la supériorité sociale que l'origine sociale pourrait empêcher. Loin de le considérer comme une humiliation, les hommes libres convoitent ce statut et les esclaves le protègent jalousement. Rien de tout cela, bien sûr ; n'est vrai pour les esclaves ordinaires.
Le pouvoir des esclaves soldats leur permet d'obtenir le contrôle de leur propre destin. Les esclaves ordinaires se libèrent seulement quand leur maître décide de les libérer. Ils peuvent fuir ou se révolter mais ces efforts échouent habituellement ; les révoltes d'esclaves peuvent causer de grands bouleversements et font tomber des gouvernements mais ils ne placent pas des esclaves au pouvoir pour longtemps. Quelle différence avec la situation des esclaves militaires ( Ils ont l'habitude de se libérer grâce à un glissement progressif dans les relations avec leur maître. Avec le temps, ils évoluent de la situation de subordonné à la force militaire indépendante. Cette possibilité d'acquérir le pouvoir de l'intérieur est complètement fermée aux esclaves ordinaires.
Esclaves du gouvernement. Un gouvernant peut utiliser ses esclaves domestiques comme des agents politiques ; ils partagent la position élevée des esclaves militaires mais ils ne sont pas soldats ; Les esclaves du gouvernement acquièrent le pouvoir politique si un gouvernement a besoin d'agents fidèles, parce que en tant que ses esclaves domestiques, ils sont totalement sous son contrôle et le servent avec une grande loyauté. Dépourvus de toute base de pouvoir autre que sa faveur, de tels hommes sont pour leur maître des outils idéaux et s'il veut se consacrer à de plus agréables activités, ils peuvent prendre en charge les responsabilités de l'Etat sans menacer sa position de dirigeant.
Les esclaves du gouvernement se trouvent dans tout le monde. En Europe les Caesaris Servi dans l'empire romain sont les plus connus et les mieux étudiés ; mais ils sont loin d'être uniques. On trouve des esclaves de gouvernement, par exemple, dans les royaumes goths de l'Orient, Vandales et Burgondes ; ils ont été appelés « ministériels » dans l'Allemagne médiévale, ; en Moscovie ils dominèrent les gouvernements central et provincial durant plusieurs siècles jusqu'à environ 1550. Hors d'Europe l'utilisation des premiers administrateurs ch'ing est peut-être l'exemple le plus connu ; leur présence en Ethiopie peut être due à l'imitation des modèles musulmans.
Malgré le pouvoir élevé que les esclaves du gouvernement partagent avec les esclaves militaires, les deux groupes sont fondamentalement différents. Tandis que les esclaves du gouvernement sont choisis parmi les serviteurs du gouvernant, les esclaves militaires sont soldats. Les esclaves du gouvernement ne peuvent pas construire une base de pouvoir par eux-mêmes et presque jamais ils menacent leurs maîtres, les esclaves soldats, peuvent, eux, créer une telle base à partir leur propre organisation et l'utiliser pour résister au gouvernant. Ici la différence s'explique par l'origine non les fonctions, parce que les esclaves du gouvernement peuvent assumer des tâches militaires et les esclaves soldats souvent reçoivent des postes administratifs. Cependant, même quand ils ont le commandement militaire , les esclaves du gouvernements ne sont toujours que les agents de leur maître ; les esclaves militaires en charge administratives ou politiques, conservent, cependant leur base militaire et peuvent ériger un pouvoir politique indépendant à partir de là. Leurs liens avec l'armée, la solidarité de groupe et les liens étroits avec le souverain les propulsent dans une grande variété de postes – comme conseillers personnels, administrateurs de haut niveau, gouverneurs provinciaux, agents spéciaux, agents confidentiels et ainsi de suite – cas après cas, ils entrent dans l'entourage du gouvernant, continuant à dominer la Cour, puis le gouvernement central, et parfois même ils prennent le royaume lui-même. Toutes ces diverses possibilités sont ouvertes uniquement aux esclaves militaires.
Réflexions
Deux brèves conclusions. Premièrement, pourquoi l'esclavage militaire a-t-il eu un rôle clé dans le monde musulman ? L'asservissement systématiquement des soldats n'est certainement pas un précepte islamique ni ne fut un aspect du Moyen-Orient mais plutôt je crois qu'il résulta du non-accomplissement par les gouvernants des préceptes et idéaux islamiques dans la vie publique, résultant du retrait de la vie publique par une grande majorité de la population musulmane et la nécessité pour les gouvernants de sortir et de trouver des remplaçants dignes de confiance. Quand les peuples musulmans observèrent que l'ordre public ne correspondait pas aux objectifs, ils se retirèrent de leurs propres armées, obligeant les gouvernants à chercher des soldats d'ailleurs, qui à son tour conduit à l'élaboration de l'esclavage militaire comme une solution. En ce sens, le système symbolise l'impossibilité historique des peuples musulmans d'atteindre les objectifs politiques et militaires prévus par leur religion.
En second lieu, cette utilisation d'esclaves musulmans comme soldats est unique. Contrairement à l'usage institutionnalisé d'esclaves comme soldats dans le monde musulman, les esclaves partout combattirent comme forces d'urgence , personnelle, auxiliaire ou chair à canon. Nulle part ailleurs ils furent utilisés à grande échelle et régulièrement comme soldats professionnels, et encore moins comme un outil quasi-universel de la politique. Aussi, il faut signaler que les rares exemples systématiques de non musulmans utilisant des esclaves datant seulement du XVI è , bien après l'établissement et la prolifération du système musulman. Hormis ces cas exceptionnels, seuls les musulmans ont choisi de recruter des soldats au moyen de l'esclavage.