Au début du mois de février 1995, les journaux du monde entier ont mis en vedette une photographie prise au Caire qui montrait, pour la toute première fois, le Premier ministre d'Israël côte à côte avec le roi de Jordanie, le président de l'Organisation de Libération de la Palestine et le Président d'Egypte.
Ces messieurs se réunissaient apparemment pour discuter du processus de paix toujours instable entre les Arabes et Israël. Pourtant cet évènement encore sans précédent d'un dirigeant israélien en réunion privée avec ses collègues arabes était remarquable à un autre égard : quatre dirigeants confrontés à un problème commun – l'islam intégriste - étaient prêts à travailler ensemble. Selon un compte-rendu de la réunion, Rabin a déclaré que les Israéliens étaient la cible des attaques intégristes. Arafat s'est lancé dans la conversation pour dire : « moi aussi. Ils ont menacé de me tuer ». C'est à ce stade de la conversation que Moubarak et Hussein, tous deux, ont hoché la tête en signe d'approbation et déclaré qu'eux aussi avaient été personnellement menacés par les radicaux.
La photo symbolise parfaitement le grand décalage en train de s'opérer actuellement dans la politique au Moyen-Orient. Les questions israélo-arabes restent officiellement le principal sujet à l'ordre du jour mais la violence islamiste est devenue le plus grand souci de presque tous les gouvernements de la région. Ce changement marque une transformation profonde du Moyen-Orient. Depuis six décennies, l'attitude d'un homme politique par rapport au conflit israélo-arabe définissait plus que toute autre chose sa position politique [ sur l'échiquier] du Moyen-Orient. Ce n'est plus le cas. Maintenant, sa position sur l'islamisme, première et plus grande menace pour la région, est ce qui détermine principalement ses alliés et ses ennemis.
Pourquoi les dirigeants du Moyen-Orient se sentent-ils tellement menacés par les mouvements islamistes ? Peut-être exagèrent-ils la menace ? Et comment le gouvernement américain fait-il face à ce nouveau problème ?
Une variété de menaces
Bien qu'il soit ancré dans la croyance religieuse, l'islam intégriste est un mouvement radical utopique plus proche par l'esprit des autres mouvements tels que le communisme et le fascisme que de la religion traditionnelle. Antidémocratique et agressif, antisémite et anti-occidental par nature, il a de grands projets. En effet, les porte-paroles de l'islam intégriste voient leur mouvement en concurrence directe avec la civilisation occidentale dans la course à la suprématie mondiale. Examinons chacun de ces éléments plus en détail
Schéma radical utopique. En dehors de leur propre mouvement, les intégristes islamistes considèrent tout système politique du monde musulman comme profondément compromis, corrompu et mensonger.Comme l'un de leurs porte-parole l'a dit, dès 1951 : « Il n'existe pas [sic] une ville dans le monde entier où l'islam est observé ainsi que le prescrit Allah, que ce soit au niveau politique, économique ou social : ce qui est implicite ici c'est que les musulmans vraiment fidèles au message d'Allah doivent rejeter le statu quo et créer des institutions tout à fait nouvelles.
Pour construire une nouvelle société musulmane les islamistes annoncent leur intention de faire tout ce qu'ils peuvent ; ils affichent ouvertement une attitude extrémiste « Dans le vocabulaire culturel islamique il n'y a pas de termes tels que compromis ou capitulation » a déclaré un porte-parole du Hamas. Si cela doit signifier la destruction et la mort des ennemis de l'islam authentique, peu leur importe. Le chef spirituel du Hezbollah, Mohammed Hussein Fadlallah renchérit : « comme islamistes, dit-il, nous cherchons à raviver le penchant vers l'islam par tous les moyens possibles.
Voyant l'islam comme la base d'un système politique qui touche tous les aspects de la vie, les intégristes sont totalitaires. Quel que soit le problème, « l'islam est la solution ». Entre leurs mains, l'islam est transformé à partir d'une foi individuelle, en un système de gouvernement sans limites. Ils scrutent les textes du Coran et d'autres textes islamiques en quête d'indices sur la médecine islamique, l'économie islamique, la politique et la diplomatie islamiques : tout cela dans le but de créer un système global pour les fidèles et un pouvoir absolu pour les dirigeants. Les islamistes sont révolutionnaires dans leurs visions, extrémistes dans leur comportement et totalitaires dans leurs ambitions.
Fait révélateur, ils vantent l'islam comme étant la meilleure idéologie, pas la meilleure religion, exposant ainsi qu'ils sont focalisés sur le pouvoir. Alors qu'un musulman traditionnel dirait quelque chose comme « Nous ne sommes pas juifs, nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes musulmans », le leader islamiste malaisien Anwar Ibrahim a fait une comparaison très différente « Nous ne sommes pas socialistes, nous ne sommes pas capitalistes, nous sommes islamiques ». Bien que l'islam intégriste diffère dans les détails d'autres idéologies utopiques, il leur ressemble beaucoup par l'ampleur du but et l'ambition. Comme le communisme et le fascisme il offre une idéologie d'avant-garde, un programme complet pour améliorer l'homme et créer une nouvelle société ; un contrôle complet sur la société et des cadres prêts, voire impatients , à l'idée de verser le sang.
Antidémocratique. Comme Hitler et Allende ; qui ont exploité le processus démocratique pour accéder au pouvoir, les islamistes prennent part activement aux élections ; et comme leurs deux prédécesseurs, ils y rencontrent un succès consternant. Les islamistes ont remporté haut la main les élections municipales en Algérie en 1990 et ils se sont emparés des mairies d'Istanbul et d'Ankara en 1994. Ils ont connu le succès lors des élections libanaises et jotrdaiennes et devraient remporter un vote substantiel en Cisjordanie et à Gaza, lorsque les élections palestiniennes devraient avoir lieu.
Une fois au pouvoir, restent-ils démocrates ? Il n'y a pas beaucoup de preuves tangibles sur ce point, l'Iran étant le seul cas à portée de main où les Islamistes au pouvoir ont fait des promesses à propos de la démocratie.( Dans tous les autres régimes islamistes, - Pakistan, Afghanistan, Soudan- les chefs militaires ont pris les rênes). L'ayatollah Khomeiny a promis une vraie démocratie ( une assemblée « basée sur les votes du peuple ») lorsqu'il a pris le pouvoir. Une fois en place, il a tenu parole pour partie : les élections sont très disputées en Iran, et le parlement dispose d'une réelle autorité. Mais il y a un gros piège : les parlementaires doivent souscrire aux principes de la révolution islamique. Seuls les candidats (y compris les non-musulmans) qui adhèrent à l'idéologie officielle peuvent se présenter aux élections. Le régime de Téhéran ne respecte donc pas le test clé de la démocratie car il ne peut pas être jeté hors du pouvoir par les électeurs.
A en juger par leurs déclarations, les autres islamistes offrent encore moins de démocratie que les Iraniens. Les déclarations des porte-parole islamistes dans des pays très divers ont un mépris marqué pour la souveraineté populaire. Ahmad Nawfal, un Frère musulman de Jordanie, a dit que « Si nous avons le choix entre la démocratie et la dictature, nous choisissons la démocratie ». Mais si c'est entre l'islam et la démocratie, nous prenons l'islam. »
Hadi Hawang, du PAS [Parti islamique de Malaisie] de façon plus directe : « Je ne suis pas intéressé par la démocratie, l'islam n'est pas la démocratie, l'islam est l'islam. Ou dans les célèbres (même si pas totalement vérifiées) paroles de Ali Belhadj, un dirigeant du Front Islamique du Salut (FIS) algérien, « Quand nous serons au pouvoir, il n'y aura plus d'élections parce que Dieu sera au pouvoir. »
Anti-modéré. L'islam intégriste est aussi agressif. Comme les autres révolutionnaires, les islamistes, très peu de temps après leur prise de pouvoir, cherchent à s'étendre au détriment des voisins. Les khomeynistes ont presque immédiatement cherché à renverser les régimes musulmans modérés (ce qui signifie ici, non intégristes) de Bahreïn et d'Egypte. Pendant six ans (1982-1988), ils ont continué la guerre contre l'Irak, après que Saddam Hussein a voulu y mettre un terme ; et ils ont occupé trois îles, petites mais stratégiques dans le golfe persique, près du détroit d'Ormuz. La campagne terroriste iranienne dure depuis quinze ans et a atteint en ordre dispersé depuis les Philippines jusqu'à l'Argentine. Les mollahs se sont dotés d'un vaste arsenal qui comprend des missiles, des sous-marins et toute l'infrastructure d'armes non conventionnelles. Dans le même esprit, les islamistes Afghans ont envahi le Tadjikistan. Leurs homologues soudanais ont relancé la guerre civile contre les chrétiens et animistes dans le sud et, pour faire bonne mesure, soulevé des problèmes à Halayib, un territoire contesté sur la frontière entre le Soudan et l'Egypte.
Les islamistes sont si agressifs qu'ils attaquent leurs voisins, avant même d'avoir pris le pouvoir. Au début de février de cette année ; alors que le FIS d'Algérie se battait pour survivre, certains de ses membres ont attaqué un avant-poste de police,le long de la frontière de Tunisie, tuant six officiers et saisissant leurs armes
Antisémite. Conformément à l'observation de Hannah Arendt sur les mouvements totalitaires nécessairement antisémites, les musulmans islamistes débordent d'hostilité envers les Juifs. Ils acceptent pratiquement tous les mythes chrétiens sur les Juifs cherchant à contrôler le monde et ils ajoutent leur propre touche à propos des Juifs détruisant l'islam. La charte du Hamas considère les Juifs comme l'ennemi ultime : ils
« ont utilisé leurs richesses pour prendre le contrôle du monde des médias, des agences de presse, des journaux, des stations de radio etc…Ils étaient derrière la révolution française et la révolution communiste…Ils ont provoqué la Première Guerre mondiale…Ils ont causé la Seconde Guerre mondiale. Ce sont eux qui ont donné les instructions pour établir l'Organisation des Nations Unies et pour que le Conseil de sécurité remplace la Société des Nations, afin de régner sur le monde à travers eux. »
Les intégristes parlent des Juifs en utilisant les métaphores les plus violentes et les plus grossières.
Khalid Kuka, l'un des fondateurs du Hamas, a dit que « Dieu a rassemblé les Juifs en Palestine non pas pour les faire bénéficier d'une patrie mais pour y creuser leur tombe et débarrasser le monde de leur pollution ». L'ambassadeur de Téhéran en Turquie affirme que « les sionistes sont comme les germes du choléra qui infectent toute personne en contact avec eux. » Un tel venin est monnaie courante dans le discours des islamistes.
La violence ne se limite pas à des mots. Depuis la signature, en septembre 1993, à la Maison Blanche, de la déclaration de principes par l'OLP et le gouvernement israélien, le Hamas et le Djihad islamique ont à plusieurs reprises attaqué des Israéliens et d'autres Juifs, tuant quelque cent cinquante individus.
Anti-occidental . Bien que cela ait été ignoré par la plupart des occidentaux, la guerre a été déclarée unilatéralement à l'Europe et aux Etats-Unis.
Les islamistes sont en train de répondre à ce qu'ils considèrent comme un complot séculaire de l'Occident pour détruire l'islam. Inspiré selon eux par une haine de l'islam qui remonte aux Croisades et par une avidité impérialiste envers les ressources du monde musulman, l'Occident a depuis des siècles tenté de castrer l'islam. Il l'a fait en attirant les musulmans loin de l'islam à travers sa culture de masse ( blue jeans, hamburgers, émissions de télévision, musique rock) et par sa culture un plus sophistiquée ( haute couture, gastronomie française, universités, musique classique). Dans cet esprit, un groupe islamiste pakistanais a récemment estimé que Michael Jackson et Madonna étaient des « terroristes culturels » et demandé que les deux Américains soient jugés au Pakistan. Comme Bernard Lewis l'a noté « c'est la tentation et non l'ennemi que Khomeiny craint de la part de l'Amérique, c'est la séduction, l'attrait du mode de vie américain, plutôt que la puissance américaine. Ou, selon les mots propres de Khomeiny « Nous n'avons pas peur des sanctions économiques ou des interventions militaires. Ce que nous craignons, ce sont les universités occidentales.
Craignant de maintenir la culture occidentale dans leur propre peuple, les islamistes réagissent par des attaques au vitriol contre la civilisation occidentale.
Il est grossièrement matérialiste dit 'Adil Husayn, un écrivain égyptien de premier plan, de considérer l'homme « comme n'étant rien d'autre qu'un animal dont le souci majeur est de se remplir le ventre ». Pour dissuader les musulmans de s'occidentaliser, ils décrivent notre mode de vie comme une forme de maladie. Kalim Saddiqui, le principal polémiste iranien en Occident, juge que la civilisation occidentale n'est « pas une civilisation, mais une maladie ». Et pas n'importe quelle maladie, mais « un fléau, une peste ». Belhadj, du FIS en Algérie, se moque de la civilisation occidentale comme étant une « syphilisation ».
Depuis 1983, les groupes islamistes capitalisant sur cette haine ont recours à la violence anti-occidentale. Les Américains ont été la cible de deux attentats à la bombe contre l'ambassade américaine à Beyrouth, contre la caserne des marines à Beyrouth, contre l'ambassade des Etats-Unis au Koweït, contre le World Trade Center. Des incidents moindres comprennent le meurtre de passagers américains sur plusieurs avions de ligne, les nombreuses prises d'otages au Liban, plusieurs accidents mortels sur le territoire américain. Nous ne pouvons que conjecturer sur combien d'attentats ( comme une attaque à l'explosif contre le Holland Tunnel à New York) ont été déjoués et combien sont encore en préparation.
Alors que le gang du World Trade Center a à peu près tenu sa langue, un Tunisien nommé Fouad Salah expose ses vues sur la violence. Condamné en 1992 pour avoir fait exploser des bombes qui ont tué treize Français dans la campagne terroriste entre 1985-1986, Salah s'est adressé au juge saisi de son cas
« Je ne renonce pas à mon combat contre l'Occident, qui a assassiné le prophète Mahomet. Nous les musulmans devons vous tuer vous les Occidentaux jusqu'au dernier ». Il n'est pas le seul à éprouver de tels sentiments.
Pas disposé à coexister. La haine envers l'Occident incite les Islamistes à lutter contre les valeurs de celui-ci pour parvenir à la suprématie culturelle. Les Islamistes voient la rivalité comme culturelle et non pas militaire. « C'est une lutte des cultures » explique un dirigeant des Frères musulmans, ce n'est pas une lutte entre les pays forts et les pays faibles. Nous sommes convaincus que la culture islamique triomphera ».Mais comment la victoire sera-t-elle atteinte ? En produisant une meilleure musique ou en découvrant un remède contre le cancer ? Non. Saddiqui, un porte-parole iranien à Londres l'indique clairement : les GI américains embrassant la photographie de leur petite amie ne peuvent pas rivaliser avec les soldats de l'islam qui serrent le Coran sur leur cœur et recherchent le martyr (shahâda) L'islam triomphera par la volonté et l'acier.
Les islamistes ne limitent pas leurs vues à la partie musulmane de la population mondiale mais aspirent à la domination universelle. Siddiqui annonce cet objectif de façon un peu indirecte « Dans le tréfonds de sa conscience historique, l'Occident sait aussi que la civilisation islamique en fin de compte le remplacera en tant que civilisation dominante du monde ». Les hommes d'action partagent la même ambition. Le gang qui a bombardé le World Trade Center avait de grands projets. Omar Abd Ar-Rahman, le cheikh égyptien qui les guidait, est accusé devant un tribunal de Manhattan de conspiration séditieuse, autrement dit de tentative de renversement du gouvernement des Etats-Unis. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est logique du point de vue d'Abd Ar-Rahman. Selon lui, l'Union soviétique s'est écroulée sous les assauts des « Moudjahidin » d'Afghanistan. Méconnaissant totalement la robustesse d'une démocratie mature, Abd Ar-Rahman pensait apparemment qu'une campagne d'attentats terroristes déstabiliserait à tel point les Etats-Unis que lui et son groupe pourraient prendre le relais (s'emparer du pouvoir). Un quotidien de Téhéran a fait allusion à la façon dont le scénario allait se dérouler quand il décrit l'explosion de Février 1993 au World Trade Center comme preuve que l'économie américaine « est exceptionnellement vulnérable ». Plus que cela, l'attentat « aura un effet négatif sur les plans de Clinton pour freiner l'économie ». Certains islamistes pensent vraiment qu'ils peuvent prendre les Etats-Unis.
Politique américaine : le compte-rendu
Cependant les problèmes causés par les islamistes sur le territoire des Etats-Unis , ce sont des enfantillages en comparaison du danger qu'ils représentent au Moyen-Orient ; leur prise de pouvoir limitée à quelques cantons pourrait créer un nouvel ordre politique dans la région, avec des conséquences désastreuses. Israël aurait à faire face probablement à un retour à la situation difficile de ces derniers jours, assiégé par le terrorisme et entouré d'Etats ennemis. Des troubles civils dans les régions productrices de pétrole pourraient conduire à une flambée spectaculaire du coût de l'énergie. Les Etats voyous, déjà nombreux au Moyen-Orient (Iran, Irak, Syrie, Soudan, Libye), se multiplieraient conduisant à une course aux armements, en plus du terrorisme international et des guerres, beaucoup de guerres. Des flux massifs de réfugiés vers l'Europe pourrait bien rapidement prendre un tour politique réactionnaire qui augmenterait considérablement le recours déjà préoccupant à des fascistes tels que Jean-Marie Le Pen, qui a remporté 15% des suffrages dans la récente élection présidentielle.
Quelles mesures l'administration Clinton a-t-elle prises pour protéger les Américains contre de telles perspectives ? Le côté positif, c'est qu'il a été fait des efforts pour isoler et affaiblir l'Iran, mais malheureusement, aucune autre puissance industrielle n'a accepté de s'engager de la même manière, ce qui a conduit à la quasi-négation de l'impact des sanctions américaines. Washington a également attiré l'attention du monde sur les atrocités commises par le régime soudanais.
Mais si l'administration Clinton a une attitude saine sur les Islamistes déjà au pouvoir, elle a des idées terriblement erronées à propos des intégristes dans l'opposition. Plutôt que de s'opposer à eux, elle a entrepris un dialogue avec les mouvements palestiniens, égyptiens, algériens et peut-être avec d'autres. Pourquoi rencontrer ces groupes? Comme le président Clinton, James Woolsey, Peter Tarnoff, Martin Indyk et d'autres l'ont expliqué, la politique américaine s'oppose au terrorisme, pas à l'islam radical. La plupart des islamistes sont des gens sérieux prônant (selon les mots de Robert Pelletreau, secrétaire d'Etat adjoint pour le Moyen-Orient) « une nouvelle mise en exergue des valeurs traditionnelles ».
Tant qu'un groupe n'est pas impliqué dans des activités violentes, les deux, nous et son gouvernement devrions l'encourager à poursuivre le processus politique.
Nous ne sommes en conflit qu'avec les extrémistes violents ; disent-ils. En fait, regardez attentivement et vous verrez que ces éléments ne sont même pas de bons musulmans mais des criminels exploitant leur foi pour leurs propres fins malveillantes. « L'extrémisme islamique utilise la religion pour dissimuler ses ambitions » a dit Anthony Lake, conseiller pour la sécurité nationale. En d'autres termes, ceux qui utilisent la violence au nom de l'islam ne sont pas seulement des marginaux au sein de l'islamisme, mais ce sont des imposteurs dont les activités vont à l'encontre de ses objectifs louables.
Cette distinction entre les bons et les mauvais islamistes conduit à une implication politique importante : que le gouvernent américain travaille avec les premiers et pas avec les autres. Oui, et même lorsque les islamistes accusent les Etats-Unis et Israël des crimes les plus horribles et annoncent la haine qu'ils ont de nous, le gouvernement américain décide que ce sont des gens avec lesquels nous pouvons faire des affaires. D'où les relations politiques avec le Hamas, les Frères Musulmans d'Egypte et le FIS.
C'est un mauvais jugement et cela conduit à une mauvaise politique. Il semblerait que le gouvernement américain ait été mal conseillé. D'où l'espoir de relations politiques avec le Hamas, les Frères musulmans d'Egypte et le FIS. Il serait presque toujours préférable de ne pas travailler avec ces groupes, les seules exceptions étant celles d'extrême nécessité.
Mauvais conseils
En partie, la responsabilité de la politique erronée des Etats-Unis doit retomber sur les épaules des suspects habituels-les spécialistes universitaires. Si d'ordinaire, le pouvoir exécutif essaie de ne pas compter sur les conseils de l'extérieur, lorsqu'ils manquent d'experts, sir certaines questions, ils font appel à des spécialistes. L'islam est une de ces questions. Depuis la révolution iranienne de 1978, les diplomates américains se sont tournés vers les iranisants et les islamologues pour les aider à développer la politique américaine.
Presque à l'unanimité ces spécialistes ont conseillé au gouvernement de ne pas s'inquiéter. Certains disent que le défi islamiste s'est évanoui. Fouad Ajami, d'ordinaire doué de bon sens, a expliqué que « l'ère panislamique a fait son temps, la décennie islamique est terminée ». De même, Olivier Roy, l'influent spécialiste français, a annoncé en 1992 que « la révolution islamique est derrière nous ». D'autres analystes vont plus loin et disent que le danger n'avait, en fait, jamais existé. John Esposito, probablement le plus influent des conseillers universitaires, a publié un livre destiné à dissiper la notion de « menace islamique ». Léon Hadar, un Israélien associé au Cato Institute a renforcé sur l'ensemble du sujet cela, en disant que l'islam intégriste était « une menace artificielle ».
Les spécialistes ont déclaré que le dialogue entre gouvernement américain et islamistes offrirait au moins deux avantages. D'abord, ils assument le fait que les islamistes sont tenus de parvenir au pouvoir (une hypothèse non moins douteuse que les prédictions il y a une génération d'un inévitable triomphe du socialisme) et qu'il valait mieux établir très tôt des relations amicales avec eux.
Deuxièmement les spécialistes présentent l'islamisme comme une force essentiellement démocratique qui contribuera à stabiliser la vie politique dans la région et qui mérite donc notre soutien. Graham Fuller ex-membre de la CIA et maintenant à la RAND, plaide en faveur de l'intégrisme comme un développement sain : il est « politiquement domptable..[et] représente un ultime progrès politique vers plus de démocratie et de gouvernement populaire » . Le savant égyptien Saad Eddin Ibrahim est même allé jusqu'à suggérer que les islamistes « pourraient se transformer en quelque chose de semblable aux démocrates –chrétiens d'Occident.
Le problème avec tout cela , c'est que la notion de bons et de mauvais islamistes n'a pas de fondement dans la réalité. Certes les groupes, les idéologies, les discours, les tactiques des islamistes diffèrent les uns des autres de plusieurs façons – certains sont sunnites et d'autres chiites, certains travaillent à l'intérieur du système, d'autres pas, les uns recourent à la violence, les autres non, mais tous sont extrémistes par nature.
Les groupes islamistes ont procédé entre eux à une division du travail : certains cherchent le pouvoir à travers les moyens politiques et d'autres par l'intimidtion. En Turquie, par exemple, les Nurcus et le parti de la prospérité (Refah Partisi) de Necmettin Erbakan acceptent le processus électoral, contrairement aux Süleymancis et aux Milli gorüs. En Algérie beaucoup de preuves indiquent qu'il y a eu une répartition des tâches entre le FIS, plus modéré et le meurtrier groupe islamique armé (GIA)
Les musulmans non islamistes comprennent qu' en aspirant à créer un homme nouveau et une société nouvelle tous les islamistes oeuvrent, en dernière instance, pour renverser l'ordre établi. Les musulmans non islamistes le savent parce qu'ils ont vu la lueur dans les yeux des islamistes parce qu'ils ont entendu leurs discours, souffert de leurs déprédations, subi leurs meurtres. Les non islamistes considérés comme des traîtres comme Salman Rushdie ou Taslima Nasrin sont les premières cibles avant même les juifs ou les chrétiens.
Les musulmans non islamistes tentent inlassablement de sensibiliser les Occidentaux sur la question de l'islamisme avec des résultats décevants. Comme l'explique le militant laïc d'Algérie « Un islamiste modéré, c'est quelqu'un qui n'a pas les moyens d'agir pour prendre le pouvoir immédiatement par la violence impitoyablement. Le président pro-occidental de Tunisie note que le but « final » de tous les islamistes est le même : « la création d'un Etat totalitaire et théocratique ». Peut-être la déclaration la plus ferme émane de Mohammad Muhadessin, directeur des relations internationales pour les Moudhajidin du peuple d'Iran, une puissante force d'opposition « les gondamentalistes modérés n'existent pas. C'est comme parler de nazis modérés. »
Approches de l'islam intégriste
Si les islamistes modérés n'existent pas, alors le gouvernement américain a besoin d'une nouvelle politique envers les groupes d'opposition intégristes. Mais avant de proposer des mesures spécifiques, il faut poser la nécessité d'établir une distinction entre l'islam et l'islam intégriste, la nécessité pour les Américains de faire leurs preuves, et la raison pour laquelle nous devons travailler avec la gauche [musulmane] contre la droite.
L'islam radical n'est pas l'islam. Il est nécessaire de distinguer entre l'Islam et l'Islam radical. L'islam est une religion ancienne et une grande civilisation; l'islam radical est un mouvement idéologique étroit et agressif du XXe siècle. Peu importe comment on choisit d'appeler le phénomène - Islam extrémiste, Islam fondamentaliste, Islam militant, Islam politique, Islam radical, Islamisme, Renaissance islamique – ce n'est pas le problème de l'islam en tant que tel.
La distinction entre l'islam et l'islam radical a deux avantages importants. Premièrement, elle permet au gouvernement américain d'adopter une attitude raisonnable envers les deux. Un gouvernement laïque ne peut pas avoir une opinion sur une religion, surtout quand elle est pratiquée par un nombre significatif de ses propres citoyens. Mais il peut très certainement avoir une opinion sur un mouvement idéologique qui est hostile à ses intérêts et à ses valeurs. Deuxièmement, cette distinction permet de s'allier avec les musulmans non islamistes. Beaucoup d'entre eux, y compris ceux cités ici, sont de courageux défenseurs de la vérité. Leurs points de vue guident ceux d'entre nous qui sont en dehors de la foi islamique; leur courage nous inspire, et - lorsque les islamistes ou leurs apologistes nous accusent d'être «anti-islam" - leur soutien nous légitime.
Faire ses preuves. Les islamistes considèrent l'Occident, malgré toute sa force apparente, comme dépourvu de volonté ; il leur rappelle le régime du Shah en Iran - riche, vaniteux, corrompu et pourri. Ali Akbar Mohtashemi, la ligne dure iranienne, dédaigne les États-Unis comme un «tigre de papier creux sans pouvoir et sans force." Pour sûr, il dispose de richesse et de missiles, mais il ne peut résister à la foi et à la détermination. Les islamistes ne prennent même pas la peine de cacher leur mépris pour les pays occidentaux. L'ayatollah Ahmad Jannati, par exemple, affirme publiquement "Les Britanniques aujourd'hui sont sur leur lit de mort. D'autres pays occidentaux sont également dans un état semblable."
Ce mépris à l'égard de l'Occident oblige à agir encore plus vigoureusement et de façon décisive. Il est nécessaire de prendre des positions très dures à la fois comme une fin en soi et pour montrer que nous ne sommes pas des dégénérés avachis dépeints par l'imagination des islamistes. Le gouvernement américain doit prouver, aussi absurde que cela puisse paraître, que les Américains ne sont pas des débiles accrocs à la pornographie et à la drogue. Bien au contraire, nous sommes un peuple sain, ferme et prêt à défendre notre vie et nos idéaux. Les islamistes sont tellement fascinés par leur propre vision de l'Occident que ces évidences simplistes doivent être répétées sans relâche.. Soheib Bencheikh, ancien islamiste lui-même, explique que l'Occident doit leur administrer une partie de leur propre médecine: "Pour lutter contre les islamistes, il faut l'avoir été un peu soi-même."
Mieux vaut la gauche que la droite. Jusqu'à il y a cinq ans, la gauche avait un réseau mondial qui menaçait les intérêts américains, tandis que la droite se composait d'une série de régimes isolés et faibles. Il est incontestablement logique de travailler avec les tyrans amis de la droite contre le complexe marxiste-léniniste de la gauche. Depuis 1990, ces rôles ont, grosso modo, été inversés, en particulier dans le monde musulman. Aujourd'hui, la gauche est constituée du naufrage étrange d'un régime: le FLN (Front de libération nationale) en Algérie par exemple. Ces gouvernements présentent des idées ou des visions de leurs dirigeants qui veulent simplement rester au pouvoir. Quel que soit le degré de corruption et de méchanceté, ils présentent moins de dangers au Moyen-Orient ou aux États-Unis que leurs homologues islamistes. En outre, comme les simples tyrannies, ils ont une meilleure chance d'évoluer dans la bonne direction que des régimes intensément idéologiques.
Au lieu de cela, c'est la droite, constituée principalement de musulmans islamistes, qui a construit ce que le Premier ministre Yitzhak Rabin d'Israël appelle «une infrastructure internationale." Cette infrastructure fournit une aide concrète aux terroristes et aux autres islamistes du monde. Il est établi, par exemple, que les Iraniens fournissent au Soudan des armes, de l'argent, des cadres, des conseils politiques, la formation militaire, le soutien diplomatique et des renseignements. L'infrastructure fournit également un important soutien psychologique. Les islamistes se sentent beaucoup plus forts pour faire partie d'une alliance internationale en pleine expansion, un peu comme les marxistes-léninistes l'avaient fait les années précédentes. Ce nouveau réseau, comme l'ancien, a les États-Unis d'Amérique dans le collimateur. Pour ces raisons, le gouvernement américain doit maintenant - avec soin, intelligemment, de manière sélective – soutenir la gauche contre la droite lorsque les circonstances suggèrent de le faire.
Ce qu'il faut faire
En ce qui concerne les recommandations de politiques spécifiques, l'objectif primordial de la politique américaine doit être d'empêcher les islamistes musulmans de s'emparer du pouvoir. Une fois qu'ils prennent le relais -ce que les mollahs de Téhéran ont clairement montré- ils s'accrocheront avec ténacité. Comment, alors, empêcher les intégristes de prendre le pouvoir?
Ne pas s'engager dans un dialogue officiel ou public. Le dialogue sape les gouvernements en place sans apporter aucun avantage. Le président Hosni Moubarak à Washington conseille dans ce sens. "Engager le dialogue avec les intégristes radicaux est une perte de temps." En fait, c'est pire que cela, car ce genre de dialogue à la fois légitime les intégristes et renforcent leur conviction que l'Occident est faible. Le gouvernement américain ne devrait pas parler à des groupes islamistes, et encore moins s'allier avec eux ; des réunions avec les islamistes, qu'ils soient palestiniens, algériens, égyptiens, doivent cesser.
Ne pas apaiser. Un ancien agent de la CIA, spécialiste de l'Iran note ceci : «l'intégrisme est une guerre menée principalement dans l'imagination des musulmans. Les rêves, personnels ou collectifs, ne se prêtent pas à des négociations." Comme les autres totalitaristes, les islamistes musulmans répondent à l'apaisement en exigeant davantage de concessions. Saïd Sadi, le laïc algérien, conseille à ses compatriotes de ne pas céder quoi que ce soit aux islamistes "parce que si nous faisons la moindre concession, toutes nos libertés seront menacées. Encore une fois, M. Moubarak a raison quand il dit: «Je peux vous assurer que les groupes islamistes ne seront jamais en bons termes avec les États-Unis. " Un simple changement dans la politique étrangère ne suffira pas parce que les islamistes ne nous méprisent pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Sans l'adoption de leur version de l'Islam, il n'y a aucun espoir de les satisfaire.
Ne pas aider les islamistes. Avec la fin de la guerre froide, cet objectif devrait être plus facile à réaliser. Pour obtenir la permission du Pakistan d'armer les moudjahidins afghans contre les forces soviétiques dans les années 1980, la CIA fut contrainte d'armer des islamistes de façon disproportionnée. Washington accepta, et à juste titre, car bar cela revenait à choisir le moindre mal pour lutter contre un plus grand mal. Maintenant que l'intégrisme est le plus grand mal - ou, du moins, le plus dynamique - cette situation est moins susceptible de se produire. Il est difficile d'imaginer un scénario aujourd'hui dans lequel le gouvernement des États-Unis devrait aider les islamistes.
Faire pression sur les Etats islamistes pour qu'ils réduisent leur agressivité. L'Occident doit faire pression sur les États islamistes- Afghanistan, Iran, Soudan – pour qu'ils réduisent leur agressivité et l'aide qu'ils fournissent à leurs frères de même idéologie dans des pays comme la Turquie, la Jordanie, l'Egypte et l'Algérie ainsi que les territoires palestiniens.. Le gouvernement américain et ses alliés ont une large gamme d'instruments commerciaux et diplomatiques à leur disposition, afin d'affronter l'agression islamiste, y compris, en cas de besoin, l'option militaire.
Soutenir les adversaires de l'islam radical. Les gouvernements aux prises avec les islamistes méritent une aide des États-Unis. Nous devrions soutenir les musulmans non islamistes, même si cela signifie accepter, dans certaines limites, la manière forte (l'Egypte, l'OLP), l'abandon des élections (en Algérie), et les expulsions (d'Israël). Cela signifie également soutenir la Turquie dans son conflit avec l'Iran et l'Inde contre le Pakistan sur la question du Cachemire.
La même chose s'applique aux institutions et aux individus. Comme un rideau de silence et la terreur s'abat sur eux, les musulmans non islamistes au Moyen-Orient ont perdu leur voix. Le fait d'être célébrés par les Américains renforcerait considérablement leur moral et leur prestige, tandis que les fonds de l'Agence américaine d'information, l'Agence pour le développement international, et des sources privées leur feraient beaucoup de bien. Encore une fois, cela signifie travailler avec certains qui ne sont pas toujours impeccables, notamment les Moudjahidine du peuple d'Iran, malgré la controverse que cela sans doute suscitera.
Exhorter à la démocratisation progressive. Enfin, le gouvernement américain doit faire très attention aux fins de promouvoir la démocratie. Malheureusement, il est devenu commun d'identifier la démocratie avec des élections, conduisant à privilégier résolument les élections, comme une fin en soi. En fait, la "démocratie" pour la plupart des Américains inclut la liberté, un vaste ensemble de préceptes politiques, pas seulement un moyen d'élire un gouvernement.
Les élections rapides ne résolvent pas les problèmes. Souvent, elles ne font qu'aggraver la situation en renforçant les mouvements islamistes, qui sont généralement les mieux organisés alors que les citoyens ne sont pas prêts à prendre des décisions électorales en connaissance de cause,. Au lieu de cela, nous devrions viser des objectifs plus modestes: la participation politique, la primauté du droit (y compris un système judiciaire indépendant), liberté d'expression et de religion, les droits de propriété, les droits des minorités, et le droit de former des associations (en particulier les partis politiques). En bref, nous devons contribuer à la formation d'une société civile. Les élections ne sont pas le début du processus démocratique, mais son couronnement et la finale, le signal que la société civile a en effet vu le jour. Comme Judith Miller du New York Times le résume, nous devons encourager "demain des élections et une société civile aujourd'hui."
En fin de compte, la bataille idéologique de l'ère post-guerre froide provoquée par l'islam radical sera décidée par les musulmans, pas par les Américains. Le défi islamiste réussira ou échouera en fonction de ce qu'eux-mêmes et leurs adversaires non-islamistes feront. Pourtant, les Américains sont des spectateurs importants qui peuvent prendre des mesures importantes pour aider nos alliés naturels contre nos adversaires inévitables.