Le 24 mars 1997, le principal quotidien d'Egypte annonçait en fanfare à la Une un "accord avec le dessinateur connu dans le monde entier, Lurie, pour présenter son travail chaque jour aux lecteurs de Al-Ahram (les pyramides)". En page 6 du même exemplaire, le journal publiait un dessin de Ranan Lurie où les présidents Bill Clinton et Husni Mubarak sont sur le point de faire un repas de Binyamin Netanyahu (figure 1)
Le président de l'Egypte Mubarak visite la Maison Blanche
"Saignant ou à point ?"
"Bien cuit, svp !"
Bien que le dessin montrait indubitablement les leaders américain et égyptien unis ensemble contre leur homologue israélien, un dessinateur égyptien s'offensa gravement du dessin. Le 31 mars, Gam'at Farhat publia un dessin dans le très en vue et à la recherche du sensationnel hebdomadaire égyptien Ruz al-Yusuf qui prétendait montrer ce que Lurie réellement voulait dire : Clinton et Netanyahu en train de dépecer Yasser Arafat ( figure 2). Dans l'article d'accompagnement Farhat lançait une série d'accusations sauvages contre Lurie : - qu'il avait servi dans la Légion Etrangère française en Algérie et ensuite comme parachutiste israélien durant la guerre de 67 dans le Sinaï, les deux fois complice dans l'action de tuer des Arabes; que Anwar as-Sadat avait interdit à cet "artiste sioniste" d'entrer en Egypte et que Lurie avait offert ses dessins gratuitement aux publications égyptiennes ( impliquant une intention de propagande).
Le 5 avril, le dessin quotidien de Lurie, p 6, dans Al-Ahram était accompagné par sa réplique à l'agression de Farhat. Intitulée " je n'ai jamais combattu dans le Sinaï et je n'ai pas tué d'Egyptiens prisonniers de guerre ", elle incluait un démenti détaillé de quinze points concernant sa propre biographie et bibliographie.
L'empressement de Al-Ahram à publier la défense de Lurie, encouragea une réponse furieuse. Dix-neuf dessinateurs égyptiens rédigèrent une pétition contre Lurie : " Employer Lurie ne respecte pas les décisions de l'Association des Journalistes de boycotter Israël". 'Adil Hamuda, Rédacteur en chef adjoint de Ruz al-Yusuf ajouta aux accusations de Farhat dans le numéro du 7 avril de son magazine , hurlant contre " l'artiste israélien qui a réussi à s'approcher de nous, un loup masqué déguisé en mère-grand". Le numéro du 14 avril de Ruz al-Yusuf contenait un autre dessin de Farhat attaquant Lurie, cette fois le montrant comme un parachutiste tombant sur la grande pyramide qu'il effritait en même temps de sa plume ( figure 3). Hamuda intervint de nouveau avec un article intitulé " Lurie...l'artiste charlatan qui tue les Arabes", illustré par une photo du visage de Lurie, avec une étoile de David en surimpression. (figure 4)
Cédant à cette fureur, Al-Ahram annonçait dans un autre article à la Une du 14 avril que "serait suspendue la publication du dessinateur Lurie" jusqu'à ce que les charges contre lui aient été prouvées "et spécialement sa participation à la guerre contre les Arabes". Interviewé le même jour , le directeur de la rédaction Muhammad 'Abd al-Mun'im reconnaissait que les accusations les plus scabreuses contre Lurie seraient démenties, mais pour son journal il s'avérait impossible de " se tenir un contre tous"
Deux semaines plus tard, le 28 avril, Farhat en révéla davantage sur son point de vue en publiant un dessin dans Ruz al-Yusuf qui montrait un juif orthodoxe se tenant sur une pile de New York Times et dénudant la Statue de la Liberté (figure 5). Tandis que Lurie pensait poursuivre en justice Ruz al-Yusuf mais il n'a pas trouvé d'avocat égyptien pour le représenter, car , comme il le dit " ils ne peuvent pas travailler pour un Israélien."
Et ce fut tout. Malgré les remords de quelques Egyptiens et l'attention internationale considérable, les trois semaines de Lurie à Al-Ahram se sont terminées, avec peu d'espoir de renouvellement , un incident petit mais révélateur de la réticence de l'élite égyptienne à normaliser les relations avec Israël.