Les musulmans fondamentalistes [intégristes] sont à nouveau dans les nouvelles - de nouveau associés à la violence. Cette fois, certains apparemment ont essayé de tuer le président de l'Egypte Hosni Moubarak. Les fondamentalistes sont engagés dans une quasi-guerre civile avec le pouvoir en Algérie. Ils ont fait du Cachemire un véritable enfer. Ils font sauter des autobus en Israël. Ils attaquent des cibles occidentales à New York, Londres et Buenos Aires.
Ces meurtres soulèvent deux questions: Pourquoi les musulmans sont-ils attirés vers un mouvement aussi extrême et violent? Qu'est-ce que l'Occident peut faire, si tant est qu'il puisse faire quelque chose, pour enrayer leurs agressions?
A la fois au Moyen-Orient et en Occident, tout le monde semble d'accord sur les mêmes réponses. En effet, c'est devenu quasi un article de foi que la pauvreté a provoqué la flambée de l'islam fondamentaliste, et ce sont uniquement les aides qui feront que l'intégrisme se calmera.
Les musulmans laïques régulièrement font cette remarque. Le premier ministre de Turquie Tansu çiller dit que si les fondamentalistes ont fait un si bon score aux élections de mars 1994 c'est que «les gens ont réagi à l'économie." Les fondamentalistes eux-mêmes sont d'accord avec ce lien entre la pauvreté et l'islam radical. Selon les mots d'un fougueux cheikh du Caire, "l'islam est la religion des mauvais moments." Mahmoud az-Zahar, un dirigeant du Hamas à Gaza, dit que «Il suffit de voir la frappante pauvreté des banlieues d'Alger ou des camps de réfugiés à Gaza pour comprendre les facteurs qui nourrissent la force du Mouvement de résistance islamique».
L'argument de la pauvreté a également obtenu le soutien quasi universel en Occident. Le ministre des Affaires étrangères d'Israël Shimon Peres affirme que «la base du fondamentalisme est la pauvreté." C'est «une façon de protester contre la pauvreté, la corruption, l'ignorance et la discrimination." L'ancien ministre de l'Intérieur de la France,Charles Pasqua, estime qu'il "a coïncidé avec le désespoir de la part d'une grande partie des masses, et en particulier les jeunes." Martin Indyk, l'ambassadeur américain en Israël, dit que ceux qui veulent faire face à l'islam fondamentaliste doivent d'abord résoudre des problèmes économiques, sociaux et politiques qui constituent sa zone de reproduction.
Si la pauvreté produit l'islam intégriste, la croissance économique est le moyen d'en sortir. En Algérie, où le gouvernement plaide pour l'aide économique occidentale, il menace implicitement que sans elle, les fondamentalistes violents l'emporteront.
Ce nouvel accent mis sur l'emploi a entraîné un changement fondamental dans la compréhension du conflit israélo-arabe. Pendant des décennies, sa solution , pensait-on, était de trouver des frontières mutuellement acceptables et de gagner l'acceptation de l'État juif ; ces jours-ci, construire une richesse palestinienne est considérée comme la clé. À cette fin, les États occidentaux ont remis des milliards de dollars d'aide à l'Autorité palestinienne (AP). Ils espèrent qu'un démarrage des économies de Gaza et de Cisjordanie donnera aux Palestiniens un intérêt dans le processus de paix, et réduira ainsi l'appel du Hamas et du Jihad islamique.
Les Israéliens ont suivi la même démarche; Shimon Peres explique que "la terreur islamique ne peut être combattue militairement, mais par l'élimination de la faim qui l' engendre." Le gouvernement Rabin est si impatient queYasser Arafat reçoive l'aide étrangère, qu'il a offert des fonds israéliens au PLOA.
Mais la pauvreté est-elle vraiment la force motrice qui se trouve derrière l'islam fondamentaliste? Un examen attentif du dossier montre peu de corrélation entre la misère économique et l'islam radical. La richesse et la croissance économique ne permettent pas de prédire dans quels pays l'islam fondamentaliste sera fort, et dans lesquels il ne le sera pas.
La richesse n'immunise pas contre l'islam fondamentaliste.. Bien que les Koweïtiens jouissent d'un revenu de style occidental, les fondamentalistes ont obtenu 40 pour cent des sièges aux élections d'octobre 1992. La Cisjordanie est beaucoup plus prospère que la bande de Gaza, mais les groupes fondamentalistes y bénéficient de plus de popularité que dans la bande de Gaza.
La pauvreté n'engendre pas nécessairement l'islam fondamentaliste. Le Bangladesh, le cas international désespéré, n'a pas vraiment fait le lit de l'intégrisme virulent, ni le Yémen ou le Niger. En outre, comme un spécialiste américain le note à juste titre, "le désespoir économique, cité souvent comme la source du pouvoir de l'Islam politique, est connu du Moyen-Orient." Pourquoi n'était-ce pas une force encore plus forte dans les années passées, lorsque la région était plus pauvre qu'elle ne l'est aujourd'hui?
Une économie prospère n'empêche pas l'islam radical.
Dans les années 1970, précisément au moment où les Etats exportateurs de pétrole ont profité des richesses sans compter, les mouvements fondamentalistes d'aujourd'hui ont démarré. C'est alors que Mouammar al-Qadhdhafi a développé sa version excentrique de l'intégrisme, que des groupes fanatiques en Arabie saoudite se sont violemment emparé de la Grande Mosquée de La Mecque ; et c'est quand l'ayatollah Khomeiny prit le pouvoir en Iran. La Jordanie, la Tunisie et le Maroc ont tous connu un essor économique dans les années 1990, de même que leurs mouvements fondamentalistes.
Une économie qui décline contribue au radicalisme en général mais pas nécessairement. Les revenus iraniens ont baissé de moitié depuis que la République islamique est arrivée au pouvoir en 1979: loin d'un soutien croissant à l'idéologie fondamentaliste du régime, cet appauvrissement a entraîné une éloignement grave de l'islam. Les Irakiens ont connu une baisse encore plus abrupte du niveau de vie: Bien que le pays ait connu une augmentation de la piété personnelle, il n'y a aucun signe d'une remontée de l'intégrisme.
De même, les facteurs économiques n'expliquent pas ce qui se passe pour l'individu qui va devenir un fondamentaliste musulman. Le sociologue égyptien Saad Eddin Ibrahim a interrogé des fondamentalistes radicaux dans les prisons égyptiennes et a conclu dans une étude de 1980 que le membre type est «jeune (la vingtaine), d'origine rurale ou d' une petite ville, de classe moyenne ou moyenne inférieure, avec rendement élevé et une haute motivation, mobilité pour s'élever, avec une formation scientifique ou d' ingénieurs, et d'une famille normalement unie. " En d'autres termes a conclu Ibrahim, ces jeunes gens sont"significativement supérieurs à la moyenne de leur génération", ils sont" le jeune Égyptien idéal ou modèle. "
D'autres chercheurs confirment ces résultats pour l'Egypte. Galal A Amin ., économiste égyptien, conclut une étude sur les problèmes économiques du pays en observant « combien il est rare de trouver des exemples de fanatisme religieux parmi soit les classes sociales plus élevés, soit les couches les plus basses de la population égyptienne. "
La même chose s'applique dans d'autres pays. Au moins un quart des membres de l'organisation intégriste de la Turquie, appelé Parti de la prospérité, sont des ingénieurs - un nombre étonnant. En effet, le cadre type d'un parti islamiste est un ingénieur né dans les années 1950 dans une ville de parents qui ont déménagé de la campagne. Khalid M Amayreh., un journaliste palestinien, estime que l'islam fondamentaliste "n'est pas un produit ou un sous-produit de la pauvreté." En fait, "la grande majorité des islamistes et leurs supporters viennent les couches socio-économiques moyennes et supérieures." Lors des élections législatives jordaniennes de 1994, par exemple, les Frères musulmans ont réussi aussi bien dans les quartiers de classe moyenne que dans les quartiers pauvres. "
Ce qui motive les jeunes radicaux de l'Egypte, conclut Ibrahim, n'est pas la pauvreté mais le fort sentiment que l'Egypte est en crise en raison de "l'envahissement étranger." Les conclusions d'Ibrahim ont été confirmées à plusieurs reprises: ceux qui participent à la violence au nom de l'islam sont motivés par le pouvoir, pas par la prospérité. Khomeiny a saisi ce sentiment avec sa causticité habituelle «Nous n'avons pas créé une révolution pour faire baisser le prix du melon ».C'est certain, la puissance économique est importante, car elle renforce les musulmans dans leur combat contre l'Occident, mais les fondamentalistes voient la richesse comme un moyen, non comme une fin. L'argent sert à former des cadres et à acheter des armes, pas à profiter d'une bonne.vie.
Si les fondamentalistes font rarement mention de la prospérité, ils parlent sans cesse du pouvoir. Dans une déclaration typique, Ali Akbar Mohtashemi, le leader iranien ligne dure, prédit que «L'Islam finira par devenir le pouvoir suprême." De même, Mustafa Mashhur, un fondamentaliste égyptien, déclare que le slogan «Dieu est grand" résonnera "jusqu'à ce que l'Islam se répande à travers le monde."
Comme le fascisme et le marxisme-léninisme dans leurs beaux jours, l'islam fondamentaliste attire les individus très compétents, motivés et ambitieux, cherchant à accéder au pouvoir. Abdessalam Yassine, un intégriste marocain, affirme «Nous réclamons le pouvoir»; l'homme se tenant à l'écart, le roi Hasan, conclut à juste titre que pour les fondamentalistes, l'islam est "l'ascenseur pour prendre le pouvoir"
Ce schéma suscite quatre observations. Tout d'abord, l'erreur de considérer le fondamentalisme en fonction de l'économie reflète un parti pris matérialiste dans notre pensée. Nous sommes tous des marxistes actuellement en supposant que la situation économique motive les êtres humains plus que les croyances, en voyant la religion comme une couverture pour quelque autre motif. De puissants mouvements idéologiques se dissolvent dans la fragile couverture de l'intérêt personnel. C'est l'analyse marxiste, la plus superficielle. Rejeter les croyances exaltées de musulmans fondamentalistes comme n'étant qu'une façade passe complètement à côté de leur importance culturelle et morale ; c'est aussi un acte d'arrogance culturelle étonnante. Les fondamentalistes doivent être pris au sérieux,[analysés] dans des conditions qui sont les leurs..
Deuxièmement, les analystes sont peu susceptibles d'être en mesure de prévoir quand et où l'islam fondamentaliste gagnera en force. De même, dans les années 1950, les Américains ont fait un effort massif pour discerner pourquoi certaines personnes ou sociétés se félicitaient du communisme et d'autres pas, sans jamais parvenir à une réponse satisfaisante: le phénomène s'est avéré avoir trop de variables pour qu'une seule thèse s'applique universellement. Quarante ans plus tard, la combinaison de facteurs qui tournent un individu ou un peuple vers l'Islam radical peut à nouveau contenir un trop grand nombre de facteurs-personnalité, traditions, institutions-pour qu'un observateur prédise ce qui arrivera et où.
Troisièmement, si la pauvreté n'est pas la force motrice de l'intégrisme, il va de soi que la prospérité n'est pas concernée par ce problème. Dans certains cas (par exemple, de l'Algérie), elle peut être utile, dans d'autres (Arabie Saoudite), elle pourrait faire du mal. Aussi, tandis que la prospérité peut réduire le soutien de masse pour le fondamentalisme, elle n'aura aucun effet sur le noyau de militants- précisément les personnes les plus susceptibles de s'engager dans la violence. L'aide étrangère ne peut manifestement pas être le principal outil du monde extérieur pour lutter contre l'intégrisme.
Au lieu de cela, ceux qui cherchent à arrêter la vague fondamentaliste, qu'ils soient musulmans ou non, doivent affronter les intégristes de front. Cela signifie accepter l'intégrisme comme une fin en soi, en se concentrant sur sa logique et ses objectifs, réfutant ses erreurs (en particulier celles à propos de l'Occident), et en s'opposant à ses organisations (dislocation de leurs bandes, arrêt de la circulation de l'argent de l'étranger, exercice de représailles quand ils nous causent des dommages). C'est seulement de cette manière que le fléau intégriste sera arrêté.
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Mise à jour du 1er janvier 2002 Pour un élargissement et une version mise à jour de cet article, voir Dieu et Mammon : est-ce que la pauvreté est la cause de l'islam militant ?
Mise à jour du 24 juin 2002: Pour ce que d'autres ont à dire sur ce sujet, voir l'article de mon blog, The Causes of Terrorism: Its Not about Money