Actualisé le 31 octobre 2019
J'ai été marqué par le fait que la British Broadcasting Corporation (BBC), la plus grande chaîne d'information au monde, a décidé en janvier de ne pas qualifier de terroristes les assaillants de Charlie Hebdo. Le chef du service arabe de la BBC, Tarik Kafala, a expliqué son raisonnement :
Le terrorisme est un mot tellement chargé. Pendant plus de dix ans, l'ONU s'est efforcée de définir le mot, sans y parvenir. C'est très compliqué. Nous savons ce qu'est la violence politique, nous savons ce que sont les meurtres, les attentats à la bombe et les fusillades et nous les décrivons. C'est beaucoup plus révélateur, selon nous, que d'utiliser un mot comme terroriste, un terme que les gens trouvent très connoté.
La BBC n'est pas le seul organe de presse à buter sur le concept de terrorisme. En septembre 2003, lors du drame atroce de Beslan où des islamistes ont assassiné au moins 385 personnes, dont la plupart étaient des enfants, les médias ont trouvé une vingtaine d'euphémismes, notamment militants et activistes, pour qualifier les auteurs d'un acte terroriste des plus manifestes.
Il n'y a pas que les médias et les Nations Unies qui peinent à définir ce simple mot. Une étude intitulée Political Terrorism, énumère pour celui-ci 109 définitions et le débat sur sa signification détourne l'attention des spécialistes. Il se fait que le concept renferme trop d'éléments variables – protagonistes, armes, tactiques, réseaux et objectifs. Un spécialiste américain de la sécurité, David Tucker, encourage même ceux qui en donneraient une définition à « abandonner tout espoir », à l'instar de ceux qui entrent en enfer. Son homologue israélien, Boaz Ganor, déclare sous forme de boutade que « la lutte pour définir le terrorisme est parfois aussi difficile que la lutte contre le terrorisme lui-même ».
À cela s'ajoute le problème des autocrates qui usent et abusent du terme pour discréditer leurs opposants. En Turquie, il suffit de signer une pétition critiquant le gouvernement ou de transporter des billets d'un dollar pour être d'un coup considéré comme terroriste. Il en va de même si vous exprimez des idées athées en Arabie saoudite.
Si la BBC, l'ONU et les spécialistes ne s'entendent pas sur le sens de ce mot, les politiciens et la police non plus. Est-il logique de se battre pour mener une bataille sémantique qui ne sera jamais gagnée ? Pourquoi plaider pour un mot dont tout le monde s'accorde à dire qu'il prête à confusion et que certains trouvent chargé ?
C'est pourquoi j'ai moi aussi cessé d'utiliser les termes terrorisme et terroriste (contre-terrorisme, cependant, est un mot plus difficile à abandonner). Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il est préférable d'utiliser des mots comme violent, meurtrier, islamiste et djihadiste, autant de termes qui ne génèrent pas de tumulte définitionnel. Mieux vaut ne pas perdre de temps à discuter sur les raisons pour lesquelles les gouvernements américain ou israélien ne sont pas terroristes.
Pire, cette controverse sur le terrorisme détourne l'attention du fait important, qui est la destruction et le meurtre. Plutôt que d'avoir un débat pour savoir si un acte de violence atteint un certain seuil théorique, concentrons-nous sur les vrais problèmes.
J'ai écrit et parlé quelque 200 fois sur le terrorisme. Pendant des décennies, j'ai plaidé pour un usage cohérent de ce terme. On notera à ce sujet ma lettre adressée en 1984 au rédacteur en chef du Washington Post et, en 2000, une lettre au rédacteur en chef de la National Review. Pas plus tard qu'en octobre dernier, j'ai co-écrit un article affirmant que les implications juridiques et financières du mot terrorisme exigent pour ce terme « une définition précise et exacte, appliquée de manière cohérente ». Mon nouveau point de vue est que les documents juridiques et financiers devraient être réécrits en évacuant le terme terrorisme.
Tiré du Washington Post. |
Cela fait maintenant cinq mois que ces mots sont sortis de mon vocabulaire, le temps de pouvoir constater que mes analyses tiennent bon et que mes efforts politiques demeurent intacts. En fait, je me trouve mieux maintenant que je suis débarrassé de ce terme et des débats sémantiques qui l'entourent. Vous le seriez aussi. (2 juin 2015)
Mise à jour du 3 juin 2015. Certains lecteurs ont mal compris mon analyse. Je ne fais pas de la BBC mon guide moral ni ne deviens politiquement correct : je dis que le débat sur la question de savoir si un acte de violence constitue ou non du terrorisme est stérile. Je préfère me concentrer sur ses liens avec l'idéologie islamiste, les régimes voyous ou les cartels de la drogue – sur de vrais problèmes, et non sur un débat académique autour d'un concept abstrait.
Mise à jour du 20 juin 2015. James Comey, le directeur du FBI soutient que la fusillade mortelle de neuf personnes noires dans une église de Caroline du Sud par un raciste blanc n'est pas un acte de terrorisme pour une raison plutôt étrange :
Le terrorisme est un acte de violence commis ou des menaces exercées dans le but d'essayer d'influencer un organisme public ou des citoyens, il s'agit donc davantage d'un acte politique. ... D'après ce que je sais jusqu'à présent, je ne considère pas cela comme un acte politique. Cela ne rend pas l'étiquette moins horrible mais le terrorisme a une définition dans la loi fédérale.
Commentaire : une fois de plus, il s'agit d'un débat stérile et non pertinent sur la signification du terme terrorisme qui détourne l'attention de questions bien plus importantes, telles que la motivation de l'agresseur et le réseau sur lequel il a pu s'appuyer.
Mise à jour du 13 juillet 2015. Le débat sur le terme terrorisme étouffe considérablement les efforts d'autoprotection en Turquie, où quelque 80 % de la population considèrent l'EI comme un groupe terroriste. Or, les avocats disent que ce n'est pas le cas. Par conséquent, il n'en est rien et il en résulte une grande confusion :
Bien que la majorité des Turcs identifient l'EI comme une organisation terroriste et que les services de sécurité introduisent des mesures plus strictes contre l'EI, la Turquie n'est pas en mesure de lancer une lutte efficace en raison des lacunes que présente le système juridique turc et que les militants de l'EI connaissent parfaitement. Si la Turquie décide de mener une lutte sérieuse contre l'EI, il faut au préalable modifier le code pénal. Sinon, l'opinion publique turque applaudira lorsque des militants de l'EI seront appréhendés mais ne saura pas que la plupart d'entre eux seront libérés peu de temps après.
Mise à jour du 15 novembre 2015. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a laissé entendre que, parce que le Hezbollah n'a pas attaqué la Russie, ce n'est pas un groupe terroriste : « Certains disent que le Hezbollah est une organisation terroriste. Nous entretenons des contacts et des relations avec eux parce que nous ne les considérons pas comme une organisation terroriste. Ils n'ont jamais commis d'actes terroristes sur le territoire russe. » Commentaire : voilà un critère particulièrement objectif.
Mise à jour du 1er février 2016. Les procureurs fédéraux américains ont déclaré que Samy Hamzeh, 23 ans, prévoyait de lancer une attaque à la mitrailleuse avec deux autres personnes sur le Humphrey Scottish Rite Masonic Center au centre-ville de Milwaukee avec l'intention de tuer au moins 30 francs-maçons. Pourquoi les francs-maçons ? La plainte pénale cite Hamzeh disant que les francs-maçons « traitent le monde comme un jeu, mec, et nous, on est comme des cons ... c'est eux qu'il faut tuer ».
La plainte décrit également comment, en préparation de l'attaque, il s'est rendu au centre et s'est entraîné au tir. Il a également expliqué en détail comment l'équipe allait procéder lors de l'assaut à savoir, tuer la réceptionniste, puis passer méthodiquement de pièce en pièce en tuant toutes les personnes présentes dans le bâtiment. « On va entrer tous les trois ensemble et à la minute où on entre, on tire sur celui qui est devant nous. Il faut tous les éliminer. » À cette fin, il a acheté deux pistolets entièrement automatiques et un silencieux.
Anti-israélien obsessionnel, il a expliqué son mobile : « Nous sommes ici pour défendre l'islam, les jeunes s'unissent pour défendre l'islam, c'est tout, c'est notre intention. » Son objectif à long terme d'inspirer des attaques similaires à travers les États-Unis. « Nous marcherons sur le front de la guerre », a-t-il déclaré à un informateur.
Tout cela pourrait ressembler à une définition classique du terrorisme. Mais il y a un problème : selon une analyse du Milwaukee Journal Sentinel, « il n'existe pas de lois fédérales pour traiter une affaire comme celle montée contre Hamzeh – un soi-disant suspect loup solitaire qui a planifié une attaque à l'aide d'armes à feu. » Pour des raisons que je ne connais pas, le terrorisme concerne les étrangers, les groupes, les complots et les attentats à l'explosif. (L'attaque de Hamzeh n'est pas une véritable conspiration car ses partenaires potentiels étaient des informateurs.) Il concerne la propriété du gouvernement, les groupes protégés (les francs-maçons échouent à ce test) et l'appartenance à un groupe terroriste répertorié.
William Snyder, ancien procureur fédéral de Pennsylvanie, va plus loin et plaide pour ne pas qualifier Hamzeh ou ses semblables de terroristes pour leur refuser la notoriété publique qu'ils recherchent. « Pourquoi leur donner une tribune ? Pourquoi leur donner les gros titres ? Pourquoi risquer d'embrouiller un jury ? »
Commentaires : (1) Cette affaire illustre le caractère totalement erratique et subjectif de l'usage du terme terrorisme. (2) Je suis particulièrement séduit par l'idée que le fait de ne pas qualifier un coupable de terroriste le prive de la gloire qu'il recherche.
Mise à jour du 15 mars 2016. Selon Anna Borshchevskaya, « Assad et Poutine définissent tous deux le terme "terroriste" comme toute personne armée qui s'oppose au régime [syrien] ».
Mise à jour du 18 mars 2016. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a adopté la définition donnée au terrorisme par Assad et Poutine mais il va plus loin en incluant également l'opposition non armée. Il dénonce les « terroristes non armés » quand il déclare : « Il n'y a pas de différence entre un terroriste avec un fusil et une bombe à la main et ceux qui se servent de leur travail et de leur plume pour soutenir la terreur. Le fait qu'un individu puisse être un député, un universitaire, un auteur, un journaliste ou le directeur d'une ONG ne change rien au fait que cette personne est un terroriste. »
Il va même plus loin : « Certains segments de notre société et de la scène internationale sont à la croisée des chemins. Ils seront soit de notre côté, soit du côté des terroristes. » Comme le souligne Mustafa Akyol, « le simple fait de ne pas être du 'côté' du gouvernement pourrait conduire quiconque à être stigmatisé et poursuivi en justice comme terroriste ». Nous avons atteint le point où la mauvaise pensée est assimilée à du terrorisme.
Commentaire : Encore une fois, préférant me concentrer sur les vrais problèmes plutôt que de polémiquer interminablement sur la sémantique, je préfère abandonner les mots terrorisme et terroriste.
Mise à jour du 12 juillet 2016. Voir l'article de Mariam Khan "Why Law Enforcement Isn't Calling Dallas Gunman a Terrorist" (Pourquoi les forces de l'ordre ne traitent pas le tireur de Dallas de terroriste) sur les raisons étonnamment complexes pour lesquelles Micah Johnson, qui a tué cinq policiers, n'est pas considéré comme un terroriste.
Mise à jour du 18 septembre 2016. Le gouverneur de l'État de New York, Andrew Cuomo, a déclaré à la suite d'une explosion à Manhattan qu'"une bombe qui explose est généralement un acte terroriste". Bien entendu, cela n'a aucun sens. Un criminel peut faire exploser une bombe pour faire sauter un coffre-fort. Un amant en colère ou l'auteur d'un crime d'honneur peut se servir d'une bombe contre sa victime. Un fou peut entendre Dieu lui dire de faire sauter une bombe pour s'ouvrir la route vers la sainteté. Et ainsi de suite.
Mises à jour du 17 janvier 2017. (1) Créatif, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a innové en qualifiant de terroristes les détenteurs de devises étrangères :
il n'y a pas de différence entre un terroriste qui a un fusil et une bombe entre les mains et ceux qui ont des dollars, des euros et des rentes. L'objectif est de mettre la Turquie à genoux, de la soumettre et de l'éloigner de ses objectifs. Ils utilisent les transactions avec l'étranger comme une arme.
Commentaire : Fondamentalement, toute action jugée hostile peut être définie comme du terrorisme, raison de plus pour ne pas utiliser ce mot.
(2) Victor Davis Hanson présente un cas convaincant dans "Hate-Crime Legislation Is a Good Idea That Went Bad" (La législation sur les crimes de haine est une bonne idée qui a mal tourné) pour saborder la catégorie des crimes de haine avec celle du terrorisme.
Mise à jour du 19 mars 2017. Voici une raison supplémentaire pour laquelle je n'utilise pas le mot terroriste : un responsable égyptien dit à un activiste sur les réseaux sociaux : « Si vous tweetez, vous êtes semblable à un terroriste. »
Mise à jour du 29 octobre 2019. Cengiz Aktar explique la définition extensive donnée au mot terroriste par Recep Tayyip Erdoğan, ce qui m'incite d'autant plus à éviter l'usage de ce terme :
Toute personne, étrangère ou non, qui conteste la sagesse d'Erdoğan sur n'importe quel aspect de la vie. Le mot fourre-tout « terroriste » englobe tellement de dénotations qu'il est facile de s'y perdre. Par exemple, lorsque la lire turque chute face au dollar, son peuple parle de « terreur du dollar ». Quand les grossistes en alimentation augmentent les prix, Erdoğan dénonce la « terreur des fruits et légumes ». En revanche, le mot terroriste est le plus souvent appliqué aux Kurdes, où qu'ils vivent. ... N'importe qui peut un jour devenir le terroriste d'Erdoğan.