Daniel Pipes, qui dirige le Middle-East Forum de Philadelphie, critique sévèrement l'impréparation tactique, mais aussi conceptuelle, des autorités américaines dans The Wall Street Journal.
Jamais, vraisemblablement, dans l'histoire des Etats-Unis, autant d'Américains n'auront péri de mort violente en un seul jour. Dans cette série d'atrocités, les torts sont partagés. Si la responsabilité morale incombe exclusivement aux auteurs, qui n'ont pas encore été identifiés, la responsabilité tactique doit être imputée au gouvernement américain, qui a manqué à son premier devoir : celui de protéger les citoyens américains. Les spécialistes du terrorisme étaient conscients, depuis des années, de cette démission du pouvoir ; aujourd'hui, c'est le monde entier qui en a connaissance. En dépit d'une montée régulière du terrorisme organisé au cours des dix-huit dernières années (depuis l'explosion du camion piégé à l'ambassade américaine de Beyrouth, en 1983), Washington n'a pas pris ce problème au sérieux.
Voici quelques-unes de ses erreurs.
* Assimiler le terrorisme à une forme de délinquance. Les autorités américaines ont toujours considéré le terrorisme comme une activité criminelle. Elles se sont donc donné pour objectif d'arrêter et de juger les auteurs de ces actes. Il n'y a rien à redire à cela, mais le problème est qu'elles s'en tiennent là. Cet esprit légaliste permet aux commanditaires, aux organisateurs et aux chefs des opérations terroristes de poursuivre leur action en toute tranquillité et de préparer d'autres attaques. Mieux vaut considérer le terrorisme comme une forme de guerre et s'en prendre non seulement aux fantassins qui opèrent sur le terrain, mais aussi aux organisations et aux gouvernements qui les soutiennent.
* Trop compter sur l'intelligence électronique. Il est beaucoup plus facile d'installer une gigantesque oreille dans le ciel que d'infiltrer des agents au sein d'un groupe terroriste. C'est pourquoi la CIA et les autres agences du renseignement ont mis leur casque et écouté. Mais, manifestement, cela ne suffit pas. Organiser les actions du 11 septembre requiert une énorme préparation, ce qui implique des effectifs et des délais importants. Que le gouvernement américain n'ait pas été informé dénote une ignorance quasi criminelle. Les services spéciaux américains doivent apprendre des langues étrangères, se cultiver et aider les gens qui le méritent.
* Ne pas comprendre la haine vouée à l'Amérique. Des bâtiments comme le World Trade Center et le Pentagone sont des symboles universels de la présence commerciale et militaire de l'Amérique dans le monde. Le premier a déjà été attaqué en février 1993. On aurait donc pu se douter que ces édifices seraient les premiers visés et renforcer leur protection.
* Ignorer l'infrastructure terroriste en place dans le pays. De nombreux indices donnaient à penser qu'un vaste réseau de terreur islamiste s'est développé aux Etats-Unis, visible pour tous ceux qui voulaient bien le voir. Dès 1997, Steven Emerson avait déclaré dans la revue trimestrielle Middle East Quarterly: "[La menace terroriste] est plus grande aujourd'hui qu'avant l'attentat du World Trade Center, car le nombre de ces groupes et de leurs membres augmente. Je dirais même qu'ils ont désormais l'infrastructure nécessaire pour faire sauter simultanément vingt cibles comme le World Trade Center à travers les Etats-Unis."
L'information était bien là, mais les forces de l'ordre et les hommes politiques n'ont pas voulu la voir. L'heure est venue de sévir, et durement, contre tous ceux qui sont liés à cette infrastructure de la terreur.
Si les morts et les traumatismes peuvent servir à quelque chose, ce sera à déclencher un changement rapide et profond dans la politique américaine, un changement qui l'amène à considérer la menace pesant sur les Etats-Unis comme une menace militaire, à compter davantage sur l'intelligence humaine, à comprendre la mentalité terroriste et à démanteler le réseau intérieur de la terreur.