C'est aujourd'hui, 31 mai, que Bernard Lewis célèbre son centième anniversaire.
Trois citations résument sa carrière. Martin Kramer, ancien élève de Lewis, résume l'œuvre de son maître comme suit :
Bernard Lewis est apparu comme l'historien de l'islam et du Moyen-Orient le plus influent de l'après-guerre. Ses synthèses pleines d'élégance ont rendu l'histoire de l'Islam accessible à un large public en Europe et en Amérique. Dans ses études plus spécialisées, il a été un pionnier de l'histoire sociale et économique et dans l'utilisation des nombreuses archives de l'époque ottomane. Son œuvre sur le monde musulman prémoderne a mis en lumière à la fois la richesse fabuleuse et l'autosatisfaction suffisante de celui-ci. Ses études sur l'histoire moderne ont permis de comprendre les échanges internes aux peuples musulmans dans leur rencontre avec les valeurs et la puissance occidentales.
R. Stephen Humphreys, de l'Université de Californie, retient « l'étendue extraordinaire de son savoir et sa capacité à maîtriser l'ensemble de l'histoire de l'Islam et du Moyen-Orient, depuis Mahomet jusqu'à nos jours. » Enfin, comme le disait Fouad Ajami de l'Université Johns Hopkins à l'occasion du 90ème anniversaire de Bernard Lewis, ce dernier est « l'oracle de ces temps nouveaux des Américains dans les territoires des mondes arabe et islamique. »
La carrière de Bernard Lewis s'étend sur une période impressionnante de 75 années, depuis son premier article sur les confréries islamiques (« The Islamic guilds ») publié en 1937 jusqu'à son autobiographie, parue en 2012. C'est vers le milieu de sa carrière, en 1969, qu'il est entré dans ma vie. C'était en Israël, durant l'un des étés où j'étais étudiant à l'université. Alors que j'aspirais, avec des doutes, à devenir mathématicien, j'ai décidé de changer d'orientation pour me lancer dans l'étude du Moyen-Orient. Afin d'explorer ce nouveau champ d'étude, je me suis rendu à la célèbre librairie Ludwig Mayer à Jérusalem pour y acheter le livre de Bernard Lewis, Les Arabes dans l'histoire, publié en 1950.
C'est ce livre qui a lancé ma carrière. Pendant les 47 années qui ont suivi cette date, Lewis a continué à exercer une profonde influence sur mes recherches. Même si je n'ai jamais été l'un de ses élèves, j'ai, bien plus que pour tout autre auteur, fait miennes ses opinions, lu pratiquement tous ses écrits et fait la critique favorable de sept de ses livres (en 1982, 1986, 1988, 1989, 1994, 1996 et 2000) au point que son nom apparaît sur 508 pages de mon site internet. Au-delà des chiffres, il a plus que tout autre influencé ma perception du Moyen-Orient et de l'Islam.
Ceci dit, lui et moi avons eu des échanges animés lors des années Bush junior, plus spécifiquement sur la politique menée en Irak (j'étais plus sceptique par rapport à l'intervention américaine) et plus généralement sur la question de l'apport de la liberté au Moyen-Orient (idem).
C'est en 1973, à Londres, que j'ai rencontré le professeur Lewis pour la première fois. Il m'avait alors fait l'honneur de m'inviter chez lui et de me prodiguer quelques conseils sur mes études doctorales. Plus récemment, je l'ai revu à deux reprises, dans son petit appartement situé dans la banlieue de Philadelphie.
Bernard Lewis (à droite) avec le père de l'auteur, Richard Pipes, en Londres en mai 1974. |
Il possède une forme physique et mentale impressionnante, passe du temps à l'ordinateur, toujours prêt à plaisanter (« Qu'est-ce qu'une blague juive ? Une blague que les non-juifs ne peuvent pas comprendre et dont les juifs connaissent une meilleure version. ») et à se remémorer l'une ou l'autre anecdote datant d'une époque à laquelle nous autres n'étions pas nés (la discussion qu'il eut en 1946 avec Abba Eban au sujet des choix de carrière de ce dernier). C'est magnifique de le voir se porter aussi bien même si malheureusement – et on peut le comprendre – il ne se consacre plus à la recherche ni ne manifeste ses opinions sur les sujets d'actualité.
Bernard Lewis et Daniel Pipes à New York, en mai 2008. |
Bernard Lewis est né quinze jours à peine après les accords Sykes-Picot qui ont redessiné le Moyen-Orient contemporain. Cent ans plus tard, alors que la Syrie et l'Irak sont en lambeaux, Bernard Lewis est plus que jamais une source d'inspiration pour tous ceux qui, comme moi, se considèrent comme ses disciples.